LE PASSAGE DE L'ARITHMETIQUE A L'ALGEBRIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQU
LE PASSAGE DE L'ARITHMETIQUE A L'ALGEBRIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES AU COLLEGE Troisième partie VOIES DIATTAQUE ET PROBLEMES DIDACTIQUES Yves Chevallard IREM d'Aix-Marseille 1 - La modélisation comme concept 1.1. La connaissance antécédente de l'objet d'étude On a montré, dans la seconde partie de ce travail (Chevallard, 1989 a), en quoi la notion de modélisation pennet de rendre compte de l'activité mathématique. Cette notion est fondée sur une distinction classique: celle du système (à étudier) et de ses modèles (qui en pennettent l'étude). Mais le remaniement qu'on a tenté d'y opérer conduit, nous semble-t-il, à une notion étendue, triplement unificatrice. Tout d'abord, on l'a souligné (ibid., pp.60-61), la perspective proposée pennet de prendre une vision d'ensemble sur l'enseignement des mathématiques, depuis la Maternelle jusqu'à l'Université. Mais nous nous arrêterons maintenant sur un autre apport, peut-être plus frappant encore pour qui se réfère à l'usage aujourd'hui courant du tenne de modélisation: la modélisation, au sens où nous employons ce mot, peut porter aussi bien sur un système non mathématique (ce qui répond à l'emploi usuel du mot) que sur un système mathématique. C'est là sans doute une affmnation qui, parce qu'elle semble ignorer les frontières entre les mathématiques et la physique, la biologie, etc., ne plaira ni au physicien, ni au biologiste, ni encore à tous ceux qui disent pratiquer la «modélisation mathématique» ou avoir recours à elle. Que faites-vous, diront-ils peut-être, de la connaissance - physique, ou biologique, etc. - du système qu'il s'agira de modéliser «mathématiquement» ? Direz vous - et, déjà, croyez-vous - que les mathématiques suffisent, à elles seules, à mener à bien la mathématisation visée ? La réponse à cette irritation est que, précisément, il s'agit d'importer cette inquiétude jusqu'au coeur même du travail mathématique, tel du moins que l'Ecole le représente et le réalise traditionnellement. S'il est bien vrai que le maniement de l'outil mathématique suppose une connaissance de l'objet - du système - à mathématiser, cela n'est pas vrai «petit x» nO 23 pp. 5 à 38, 1989-1990 6 seulement des systèmes qu'étudient la physique, la biologie, etc. Cela est vrai dès l'étude des systèmes mathématiques les plus simples. 1.2. La mise en rapport du mathématique et du mathématisé Que la chose ne soit pas ordinairement soulignée est évident. Le nom englobant de mathématiques, et plus encore le substantif singulier mathématique, en portent témoignage. Cette oblitération semble n'avoir encore que peu d'effet tant qu'il y a, en quelque sorte, homogénéité du système et du modèle. Mais dès que la distance de l'un à l'autre s'accroît, dès que, par exemple, on veut se donner un modèle algébrique d'un phénomène géométrique (ou l'inverse), alors les choses vont autrement. Surgit là, en effet, un hiatus épistémologique : celui sur lequel physiciens et biologistes attirent notre attention, et qui ne peut manquer d'avoir sa traduction didactique. La délimitation du système, la construction du modèle, la problématique même du travail du modèle, prennent appui sur notre connaissance antécédente du domaine de réalité dont il s'agit d'étudier l'un des fragments - le système considéré. Comment penser que nos seules forces «mathématiques» soient engagées dans l'aventure ? Par un principe de continuité que l'on ne cherchera pas à justifier ici, le soupçon peut alors raisonnablement se porter vers ces cas où l'homogénéité supposée du système et de son modèle paraît éliminer d'emblée tout problème de cet ordre. Tel est, si l'on veut, notre postulat: c'est bien toute activité mathématique, aussi transparente semble-t-elle, qui devra dès lors être réexaminée de ce point de vue. Notre thèse, pour la rappeler brièvement, est qu'il y a toujours, sinon structurellement, du moins fonctionnellement, deux plans, celui du système - le «mathématisé» -, et celui du modèle -le «mathématique» ; que chacun relève d'un registre de connaissance propre; et que la mise en rapport de ces deux plans dans et par le travail de modélisation suppose un troisième type de connaissance, que l'absence ou l'évitement du concept de modélisation permet d'occulter. D'occulter; non d'ignorer tout à fait. Ce troisième type de connaissance, en effet, est bien représenté, mais de manière partielle, déformée, dans le langage ordinaire de la classe: il s'y réduit au mot d'application (sur lequel nous reviendrons). Il s'y représente et s'y réduit encore, dans la période récente, à travers quelques autres signifiants «magiques», ceux d'activité et de résolution de problèmes notamment: nous verrons que tout cela, bien sûr, n'est pas sans raison. 1.3. L'Ecole et la société: un exemple De la même façon que le concept de modélisation permet de prendre une vue d'ensemble sur les activités de production de connaissances relevant de disciplines de savoir différentes (physique, biologie, etc.), ou de secteurs différents d'une même discipline (numérique, algébrique, géométrique, ete.), la lecture de l'activité mathématique comme activité de modélisation mathématique permet en outre de pointer, de l'intérieur même de l'Ecole, un aspect fondamental de la gestion sociale des connaissances. Nombre de connaissances que nous «côtoyons» chaque jour, par le fait des médias ou des modes traditionnels de transmission (famille, groupe d'amis, etc.), sont en effet produites à l'aide de mathématiques. Elles sont le fruit de modélisations mathématiques. En ce sens, comme la plupart des «objets» - objets matériels ou objets de savoir - produits aujourd'hui, elles «incorporent» des mathématiques ; mais, au niveau de la pratique sociale où nous rencontrons ces objets, ces mathématiques «cristallisées» dans les objets sont généralement devenues presque entièrement invisibles (Chevallard, 1988 b). 7 Le concept de modélisation pennet alors d'interroger la production même de ces connaissances, et de rétablir par cela une certaine visibilité culturelle de la prégnance et du fonctionnement social du savoir mathématique. Nous ne donnerons ici qu'un seul exemple. Une affirmation fréquemment entendue à propos des sociétés européennes actuelles concerne le vieillissement de la population. On ajoute que, afin de combattre cette évolution, il convient de favoriser la naissance d'un troisième enfant (d'où, notamment, des politiques d'aide «au troisième enfant»). Plus précisément encore, le nombre de familles accueillant trois enfants (ou plus) doit, dit-on, être suffisamment élevé pour que le nombre moyen d'enfants par famille dépasse 2, et même, plus exactement, 2,10. D'où provient ce chiffre ? C'est de ce point que partira l'enquête. Pour répondre à cette question, il convient d'identifier le savoir à partir duquel une telle connaissance a été mise en circulation. Il s'agit ici, bien sûr, de la démographie (Legrand, 1979, pp.25-27). La poursuite de l'enquête met alors en évidence un concept démographique qui est, en l'espèce, la notion-clé : celle de «remplacement des générations». Le premier point que l'on peut noter, à cet égard, est le suivant: cette notion se fonnule en ne tenant compte que de la population des femmes. On suppose en effet qu'il y a toujours suffisamment d'hommes, et cela parce que, s'il y a suffisamment de femmes, il en ira de même des hommes, puisqu'il naît à peu près autant d'hommes que de femmes. On dira donc que, du point de vue auquel on s'intéresse ici, le «remplacement des générations» est assuré lorsque, en moyenne, une femme en âge de procréer est «remplacée», à la génération suivante, par une femme (au moins) elle-même en âge de procréer. Mais qu'est-ce qu'une femme «en âge de procréer» ? La définition retenue par les démographes, légèrement arbitraire, est fort simple : c'est une femme entre 15 et 49 ans. On néglige donc les naissances, fort peu nombreuses, avant 15 ans ou après 49 ans. Cela noté, puisque l'on raisonne «en moyenne», on peut, afin de comprendre la question du remplacement des générations, recourir à l'image suivante (qui se réfère à chaque femme prise individuellement et ne constitue donc qu'une manière de parler) : arrivée à l'âge de procréer, toute femme doit chercher à être remplacée par une femme en âge de procréer, c'est-à-dire doit avoir une fille qu'elle conduira jusqu'à l'âge de quinze ans; elle aura alors accompli son «devoir» de «remplacement des générations»•.. Bien entendu, c'est au niveau de l'ensemble des femmes, et non à celui de chaque femme prise individuellement, que le phénomène de remplacement est étudié. Supposons donc que, dans une population donnée, le nombre moyen de naissances par femme (en âge de procréer) soit x. Peut-on alors déterminer, en fonction de x, le nombre moyen, F(x), de femmes en âge de procréer qui en résultera? Si cehi est possible, on pourra dire alors que le remplacement des générations sera assuré si l'on a: F(x) ~ 1. Comment maintenant détenniner F(x) ? On peut envisager de procéder en deux étapes. On détermine d'abord le nombre moyen, f(x), de filles qui naissent, puis on ne considère, parmi celles-ci, que celles qui atteignent l'âge de procréer, soit 15 ans. La première étape se règle aisément: il naît toujours à peu près 105 garçons pour 100 filles. Pour assurer la naissance de 100 filles, il faut donc (en moyenne !) assurer 205 naissances. On en déduit que l'on a: f(x) = (l00/205)x. De ces filles, une fraction n'atteindra pas l'âge de procréer. Posons qu'une naissance féminine conduira en moyenne à k femmes en âge de procréer, avec k uploads/Philosophie/ le-passage-de-l-x27-arithmetique-a-l-x27-algebrique-dans-l-x27-enseignement-des-mathematiques-au-college.pdf
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- Publié le Apv 12, 2022
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