Document généré le 6 jan. 2019 23:31 Laval théologique et philosophique Poésie,

Document généré le 6 jan. 2019 23:31 Laval théologique et philosophique Poésie, philosophie et mystique Bernard Grasset Hasard et déterminisme dans l’évolution biologique Volume 61, numéro 3, octobre 2005 URI : id.erudit.org/iderudit/012580ar https://doi.org/10.7202/012580ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Grasset, B. (2005). Poésie, philosophie et mystique. Laval théologique et philosophique, 61(3), 553–581. https:// doi.org/10.7202/012580ar Résumé de l'article Il s’agit de mettre en regard les domaines à la fois proches et différents de la poésie, de la philosophie et de la mystique, en conjuguant démarche diachronique et synchronique. Après avoir exploré les sources grecques et patristiques, l’analyse essaie de montrer, à partir d’auteurs comme Jean de la Croix, Pascal, Péguy, R. Tagore…, comment la philosophie s’approfondit à la rencontre de la poésie, comment la poésie s’élève à la rencontre de la pensée. Réunies l’une à l’autre par l’esprit, philosophie et poésie s’accomplissent dans la mystique. La fidélité au mystère incline la pensée vers le poème et le poème vers la sagesse. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 2005 Laval théologique et philosophique, 61, 3 (octobre 2005) : 553-581 553 POÉSIE, PHILOSOPHIE ET MYSTIQUE Bernard Grasset RÉSUMÉ : Il s’agit de mettre en regard les domaines à la fois proches et différents de la poésie, de la philosophie et de la mystique, en conjuguant démarche diachronique et synchronique. Après avoir exploré les sources grecques et patristiques, l’analyse essaie de montrer, à partir d’au- teurs comme Jean de la Croix, Pascal, Péguy, R. Tagore…, comment la philosophie s’appro- fondit à la rencontre de la poésie, comment la poésie s’élève à la rencontre de la pensée. Réu- nies l’une à l’autre par l’esprit, philosophie et poésie s’accomplissent dans la mystique. La fidélité au mystère incline la pensée vers le poème et le poème vers la sagesse. ABSTRACT : The attempt is made here to confront the fields at once close and different of poetry, philosophy and mysticism, joining together a diachronic and a synchronic approach. Having explored Greek and Patristic sources, the analysis tries to show, starting from authors such as John of the Cross, Pascal, Péguy, R. Tagore…, how philosophy acquires greater depth through contact with poetry, and how poetry reaches in turn greater heights thanks to its contact with thought. Brought together by spirit, philosophy and poetry culminate in mysticism. Faithful- ness to mystery draws thought to the poem and the poem to wisdom. ______________________ INTRODUCTION (ENFANCE ET PRÉSENCE) enfance est ce qui en l’homme rapproche de la beauté et de la vérité. Il y a en l’enfant un accueil du mystère dans la clarté des commencements. « Et la voix des enfants est plus pure que la voix du vent dans le calme de la vallée. » — « Et le regard des enfants est plus pur que le bleu du ciel […]1 ». À travers cette pureté, c’est notre enfance spirituelle qu’il faut retrouver, une enfance qui sait humblement écou- ter, questionner et transformer l’existence en poème. L’enfance spirituelle se laisse aimanter par la présence. L’enfant apparaît à l’intérieur de l’homme comme le poète et l’ami de la sagesse. Il aime intuitionner la présence ineffable, en une immédiateté incandescente. Poésie et philosophie sur le chemin de l’enfance mènent au mystère. La présence se donne à découvrir en un embrasement2. Au feu de la présence, le poème et le philosophème s’unissent. La poésie et la philosophie entrent en dialogue dans l’horizon d’une mystique. Explorer, de manière diachronique mais aussi syn- chronique, les voisinages entre poésie, philosophie et mystique, sans rechercher 1. Charles PÉGUY, Le porche du mystère de la deuxième vertu, dans Œuvres poétiques complètes, Paris, Gal- limard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1975, p. 532. 2. En Ex 3,2, Dieu apparaît à Moïse au milieu du buisson, avant de révéler son nom — l’Être —, « dans une flamme de feu » (« belabat - ’esh »). (Nous citerons l’Écriture, sauf exception, dans la traduction de la Bible de Jérusalem et selon les abréviations en usage). L’ BERNARD GRASSET 554 l’exhaustivité mais en jetant quelques éclairages qui nous paraissent significatifs, tel sera l’axe essentiel de cette étude. I. DES SOURCES GRECQUES 1. Aux origines de la pensée Le contact avec la nature, ses forces, ses secrets, a été essentiel pour la naissance et le développement de la poésie, de la philosophie en Grèce3. Les quatre éléments, l’eau, la terre, le feu, l’air, deviendront comme une clef de compréhension de l’uni- vers. À partir de la contemplation de la nature se formera une pensée qui prendra vo- lontiers une coloration symbolique. 1.1. Sagesse, éthique L’interprétation du réel doit devenir itinéraire de sagesse. Il faut remonter à la source qui explique les phénomènes4. Cette recherche de la sagesse aimera dans la pensée présocratique se distiller en expressions lapidaires, en maximes qui confèrent à la réflexion une tournure concrète. « Tout sort de la terre et tout retourne à la terre », souligne Xénophane de Colophon5. La volonté de sagesse a pour finalité non seule- ment d’élucider l’univers mais aussi de fonder une éthique. Ainsi l’hédonisme peut-il être dénoncé et un comportement vertueux encouragé. Chez ceux que l’on appelle les Sept Sages, on rencontre des apophtegmes, dont le climat n’est pas étranger aux pro- verbes bibliques, qui invitent à l’honnêteté et à la prudence de parole. « Ne te con- sacre qu’à ce qui est honnête6. » — « Déteste la précipitation et le bavardage […]7 ». Une sagesse, par éclats de formules, prend forme. 1.2. Poésie, philosophie Les philosophes présocratiques comme Xénophane, Parménide… emprunteront une forme poétique. La pensée se donne à comprendre dans l’espace des vers. Même lorsque la philosophie n’a pas recours à la versification, le choix d’une formulation proverbiale, qui éloigne les détails pour concentrer, de manière frappante, le regard sur ce qui importe, rapproche du poème. « Ne nous empressons pas de porter un juge- 3. Cf. M. KLIPPEL, Philosophie et poésie. Les origines de la pensée philosophique, Paris, Félix Alcan, 1925, p. 34, 45, 132… 4. « La sagesse consiste en une seule chose, à connaître la pensée qui gouverne tout et partout » (HÉRACLITE D’ÉPHÈSE, Fragments, no 41, dans Les penseurs grecs avant Socrate, de Thalès de Milet à Prodicos, trad. Jean Voilquin, Paris, Garnier Flammarion, 1964, p. 76). 5. De la nature, no 27, dans ibid., p. 65. La sagesse profane rejoint ici la sagesse révélée. Voir Gn 3,19 et son prolongement en Qo 3,20 : « […] tout vient de la poussière, tout s’en retourne à la poussière. » 6. SOLON L’ATHÉNIEN, dans Les penseurs grecs avant Socrate, p. 26. 7. BIAS DE PRIÈNE, dans ibid., p. 27. (Cf. également SOLON : « Scelle tes paroles par le silence […] », dans ibid., p. 26). POÉSIE, PHILOSOPHIE ET MYSTIQUE 555 ment sur les choses essentielles8. » Ici la frontière devient évanescente entre philoso- phie et poésie. Par de telles sentences, le penseur du feu et du logos, qui expérimente la condition humaine comme traversée d’être et de non-être, se montre aussi poète. À l’origine de la pensée, la philosophie devient poétique. Il y a une alliance forte entre poésie et philosophie comme si leur accomplissement passait par leur commun che- minement. La philosophie poétique s’efforce de conjoindre sagesse et beauté. Cette philosophie poétique s’inscrira dans le cadre religieux polythéiste de son temps. Mais on pourra trouver en particulier chez Xénophane de Colophon une con- ception plus élevée de la divinité9. Il critique l’anthropomorphisme, la multiplicité éclatée des dieux et pense le divin comme unique, éternel, parfait, omniscient, puis- sant et sage. Il y a chez lui, comme chez Héraclite d’Éphèse, un sens du mystère qui affleure. À partir d’une expérience concrète, le vrai philosophe s’interroge poétique- ment sur l’origine du visible. 2. Pindare Si la philosophie s’oriente vers la poésie, la poésie se tourne aussi vers la philo- sophie. Pindare, dont le langage est irrigué de religion, confère au poète une dignité sacrée. Il sait reconnaître dans le divin la véritable origine de la beauté poétique. « Dieu Suprême, qui sur Olympie étends ta puissance, sois propice à mes chants, toujours, ô Père10 ! » Au-delà de l’inspiration poétique, Pindare aime relier toute qua- lité, tout talent, tout bienfait au divin. Il y a chez lui un « accent profond de piété grave et réfléchie par où [il] se distingue entre tous les poètes grecs11. » Son sens du divin rapproche le poème de l’essentiel. 2.1. Poétique uploads/Philosophie/ poesie-philosophie-et-mystique-pdfdrive.pdf

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