LA PSYCHOLOGIE SELON LE DERNIER WITTGENSTEIN António Marques, Texte traduit par
LA PSYCHOLOGIE SELON LE DERNIER WITTGENSTEIN António Marques, Texte traduit par Filipe Jarro Collège international de Philosophie | « Rue Descartes » 2010/2 n° 68 | pages 42 à 49 ISSN 1144-0821 ISBN 9782130577171 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2010-2-page-42.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Collège international de Philosophie. © Collège international de Philosophie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La psychologie s’est développée au cours du XXe siècle comme discipline à base empirique, usant de méthodologies fondées sur les langages mathématique et statistique à la complexité croissante. Les manuels de psychologie donnent surtout des explications fonctionnelles des phénomènes psychologiques, ce qui est naturel pour une discipline aspirant à acquérir le statut de savoir scientifique. De ce point de vue, la psychologie ne peut renoncer au traitement mathématico-statistique des variables, étudiées en situation expérimentale. Par exemple, l’étude de la relation entre le sexe (variable indépendante) et la réponse à certains stimuli (variable dépendante), ou entre l’âge (variable indépendante) et la rapidité d’acquisition de certaines compétences (variable dépendante) sont autant de relations susceptibles de quantification. Dans ce cadre, ce que l’on nomme «explication causale» se base sur la corrélation constatée entre, au minimum, deux variables: la rapidité d’apprentissage de cette compétence spécifique s’expliquant par la corrélation forte entre l’une et l’autre, ou autres, variables sélectionnées de façon expérimentale, etc., etc. Cette structure méthodologique, semblable à la méthodologie des autres sciences, en est la structure méthodologique la plus courante, et la psychologie, disons-le tout de suite, a tendance à dévaloriser l’expérience ou le vécu subjectif par rapport à l’explication causale. Soulignons d’autre part que cette explication suppose toujours un observateur externe qui manipule les variables choisies, ou bien la perspective d’un tiers. Pour en revenir à la question initiale, nous pouvons dire, d’une part, queWittgenstein traite les concepts psychologiques et la psychologie du point de vue de la philosophie classique, 42 | © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 04/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.57.131) © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 04/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.57.131) c’est-à-dire comme une recherche sur ses fondements et ses principes premiers.Tout comme, par exemple, il existe une recherche sur les fondements des mathématiques, il est possible d’entreprendre cette recherche dans le cas de la psychologie: «Pour les mathématiques, une recherche très semblable à la recherche philosophique en psychologie est possible. Elle est aussi peu mathématique que l’autre est psychologique. Nul calcul, par exemple, ce n’est pas de la logistique. Elle pourrait justifier l’appellation de recherche sur les “fondements des mathématiques” 1.» Mais, d’autre part, ce type de recherche philosophique au sujet de la psychologie revêt chez Wittgenstein un sens très particulier, que nous pourrions organiser selon trois grands axes: a) c’est une recherche inséparable de l’utilisation linguistique des concepts psychologiques; b) c’est une recherche qui a pour objet le comportement unitaire (das Benehmen) de l’être humain; et c) c’est une recheche qui se base nécessairement sur le vécu de la signification. Ce sont là les principaux axes qui pouront aider le lecteur à s’y retrouver dans l’ensemble apparemment chaotique et privé de progression des DÉPP. Si l’on privilégie le comportement en tant qu’objet de la recherche philosophique en psychologie, la perspective deWittgenstein se rapprocherait des courants appelés comporte- mentaliste ou behaviouriste qui poussent à l’extrême l’application de la méthodologie des sciences physiques au comportement humain. Cependant, le comportement pour Wittgenstein désigne l’unité de l’être humain dans la multiplicité de ses expressions et extériorisations, qu’il n’a pas l’intention d’expliquer comme l’explique la psychologie expéri- mentale. Son intention est tout à la fois plus humble et plus exigente: d’un côté, l’on ne veut pas d’explications plus ou moins définitives du phénomène; de l’autre, l’on se donne pour objectif de décrire l’exploration de cette multiplicité. En d’autres termes, Wittgenstein préfère, du point de vue méthodologique, la description à l’explication. Sa méthode descriptive explore l’univers des extériorisations, comme manifestations qui dépassent la dichotomie subjectivité/objectivité sous-jacente à toute activité humaine. Dans la section 571 des Investigations Philosophiques, la distanciation de la psychologie par rapport aux sciences physiques était ainsi présentée: «Parallèle troublant: la psychologie traite des processus de la sphère psychique, comme la physique traite des processus de la sphère physique. Voir, entendre, penser, sentir, vouloir ne sont pas dans le même sens des objets de la psychologie comme le mouvement des corps et les phénomènes électriques sont des objets de la physique. 1. Derniers Écrits sur la Philosophie de la Psychologie (DÉPP), I, 792. Les citations des DÉPP sont tra- duites de la version portugaise de l’auteur, réalisée à partir du texte allemand des Letze Schriften über die Philosophie der Psychologie/ Last Writings on the Philosophy of Psychology, édition bilingue en deux volumes, 1982, (vol. I), 1990 (vol. II), Blackwell, Oxford, organisée par Georg Henrik von Wright et Heikki Nyman. | 43 CORPUS © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 04/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.57.131) © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 04/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.57.131) ANTÓNIO MARQUES Et nous pouvons le comprendre au fait que le physicien voit, entend, réfléchit sur ces phénomènes, nous en informe, alors que le psychologue observe les extériorisations (le comportement) du sujet.» Le point de départ de la considération philosophique de la psychologie est donc l’expression ou l’extériorisation, dont le statut ne doit pas être confondu avec ce qui est propre au phénomène physique. Ce dernier est, pour ainsi dire, totale extériorité, il existe sans point de vue propre. Dans l’univers de l’expression humaine, il y a donc un élément d’intériorité que Wittgenstein veut souligner et maintenir dans son intégrité. Dans ces conditions, le premier problème qui se pose à la philosophie de la psychologie est d’ordre méthodologique. À première vue, elle débouche prématurément sur un paradoxe, c’est-à-dire que, d’une part l’expression semble se réduire à un ordre d’extériorité sans plus, et de ce point de vue elle se présente comme un objet parmi d’autres dans les sciences physiques, et d’autre part, parce que justement elle est expression, elle renvoie à une dimension de vécu, où l’intériorité est irréductible. Par exemple, une explication physiologique de la vision de l’aspect (thème des plus importants dans ces observations) ne dira pas la place qu’occupe le phénomène dans le processus cognitif et à quel point il est vécu comme décisif. En effet, il est certainement possible d’expliquer pour quelle raison l’individu ne peut pas appréhender dans une même figure en même temps une tête de canard et une tête de lapin. Il est possible d’en donner telle ou telle explication physiologique. Mais c’est la description du changement d’aspect, des expressions qui lui sont associées, etc., qui permet d’obtenir une conception plus ample du phénomène du «voir». Qu’est-ce que le voir compréhensif? Et à quels emplois linguistiques correspond ce que nous appelons « voir» dans la pratique du langage? Quelles sont les expressions propres à ce voir 2? Nous reviendrons plus avant sur ces problèmes. Retenons le fait que le phénomène psychologique, justement parce qu’il est vécu à la première personne, n’est pas réductible à l’explication physiologique. En suggérant une explication de ce type, Wittgenstein montre à son interlocuteur que «la finalité de cette observation, cependant, est de placer devant tes yeux ce qui surgit lorsque nous est donnée une explication physiologique. Le concept psychologique surplombe entier l’explication physiologique. Et la nature de notre problème en devient d’autant plus claire 3». L’étude de concepts et de verbes psychologiques,parmi lesquels «croire», «avoir l’intention», «espérer», «souhaiter», «vouloir», etc., se trouve au centre de la recherche philosophique sur la psychologie. La méthodologie, comme nous l’avons vu plus haut, est celle de la description 2. DÉPP, 1, 165 et sqq. |3. DÉPP, 1, 777. 44 | © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 04/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.57.131) © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 04/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.57.131) des expressions et en particulier des expressions linguistiques. Comment emploie-t-on ces concepts et ces verbes dans nos jeux de langage? Quelle signification peut-on attribuer à la différence qui existe entre une utilisation expressive et une utilisation descriptive du même verbe ou du même concept? Comment établir des uploads/Philosophie/ rdes-068-0042.pdf
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- Publié le Apv 05, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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