Signata Annales des sémiotiques / Annals of Semiotics 1 | 2010 Cartographie de
Signata Annales des sémiotiques / Annals of Semiotics 1 | 2010 Cartographie de la sémiotique actuelle La sémiotique visuelle : grands paradigmes et tendances lourdes Jean-Marie Klinkenberg Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/signata/287 DOI : 10.4000/signata.287 ISSN : 2565-7097 Éditeur Presses universitaires de Liège (PULg) Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 2010 Pagination : 91-109 ISBN : 978-2-87544-001-3 ISSN : 2032-9806 Référence électronique Jean-Marie Klinkenberg, « La sémiotique visuelle : grands paradigmes et tendances lourdes », Signata [En ligne], 1 | 2010, mis en ligne le 26 avril 2016, consulté le 24 juillet 2020. URL : http:// journals.openedition.org/signata/287 ; DOI : https://doi.org/10.4000/signata.287 Signata - PULg visuel La sémiotique visuelle : grands paradigmes et tendances lourdes Jean-Marie Klinkenberg Université de Liège et Académie Royale de Belgique 1. La sémiotique visuelle n’existe pas La sémiotique visuelle n’existe pas. Il ne peut y avoir de sémiotique visuelle. En effet, prendre la locution « sémiotique visuelle » au pied de la lettre débouche sur une absurdité du même type que celle que véhiculerait l’expression — inusitée, celle-là — « de sémiotique auditive ». De telles locutions présupposent dans chaque cas qu’il existe une discipline unitaire (c’est le sens du singulier de « sémiotique ») subsumant toutes les actualisations du sens lorsqu’elles se manifestent sur la base d’une même sensorialité (« visuelle »). Une « sémiotique auditive » aurait ainsi à intégrer dans un cadre conceptuel unique la musique, la langue orale, les roulements de tam-tam, les sirènes de la protection civile, les sonneries du téléphone. Tandis qu’une « sémiotique visuelle » ferait de même avec les informations du code de la route, les films, les écritures, la peinture, la gestualité, les pavillons, la cartographie, les couleurs des poubelles sélectives, l’héraldique, les feux des navires, des voitures ou des avions, les logos publicitaires, l’ordonnance des vitrines ou des jardins… Un tel entassement borgésien mènerait assez naturellement à la conclusion — rapide, on le verra — que considérer la modalité sensorielle n’est d’aucune pertinence en sémiotique. D’une part, en effet, un même canal peut véhiculer des sémiotiques bien hétérogènes, comme on vient de le voir, de sorte qu’aucune sensorialité ne définit en soi une sémiotique. D’autre part, une seule et même sémiotique peut transiter par plusieurs canaux, comme le montre l’exemple des modalités écrites et orales des langues naturelles. 92 Visuel Il existe toutefois un courant de la sémiotique qui se prévaut de l’appellation « sémiotique visuelle ». Depuis plus de trente ans, nombreux sont les travaux circulant sous ce pavillon. Cette sémiotique visuelle-là s’est même institutionnalisée. Il y a une « Association internationale de sémiotique visuelle. International Association for Visual Semiotics. Asociación internacional de semiótica visual », née à Blois en 1990 d’une discussion entre Michel Constantini et Göran Sonesson, et qui jusqu’en 1992 s’est appelée Association internationale de sémiologie de l’image. Cette association tient régulièrement ses congrès et ses journées d’études. Les activités des chercheurs ainsi fédérés se déroulent un peu partout dans le monde, avec des points forts en Europe, au Canada et en Amérique latine. Des associations nationales de sémiotique visuelle tendent à se former, et notamment dans cette dernière aire culturelle (Vénézuela, Mexique). D’autres associations nationales, sans se réclamer explicitement de la sémiotique visuelle, mettent l’accent sur ce type de préoccupation (c’est le cas de l’Asociación vasca de semiótica). L’AISV/ IAVS a sa revue, Visio, qui a succédé à Eidos, « Bulletin international de sémiologie de l’image » et qui a un comité d’assesseurs de 70 spécialistes de la discipline, répartis à travers le monde, avant de donner naissance à une série d’ouvrages. D’autres revues, de De Signis à Degrés, consacrent régulièrement des dossiers à des thèmes visuels. Des collections se consacrent principalement (Signo e imagen, Visible) ou fréquemment (Nouveaux Actes Sémiotiques) à la sémiotique visuelle. Plus récemment, des programmes d’enseignement de la sémiotique visuelle se sont élaborés çà et là. Des chercheurs décrochent des contrats de recherche, développent des réseaux internationaux. Enfin, indice indubitable qu’une étape a été franchie sur le chemin de la légitimation sociale, la sémiotique visuelle commence à être prise au sérieux dans des lieux extérieurs à elle-même, lieux parfois inattendus, comme les ministères des transports ou la Ligue Braille. Ce mouvement d’institutionnalisation ne doit certes pas masquer une profonde hétérogénéité. D’un côté les fondements théoriques des travaux menés peuvent varier profondément, comme on va le voir. De sorte que les sujets de préoccupation des chercheurs sont parfois bien différents : critique de l’iconisme, perception et cognition, identité sont quelques-uns de ces sujets. D’un autre côté, les corpus de recherche sont eux aussi nombreux : des accents particuliers se portent ainsi volontiers sur le cinéma, la télévision et la peinture, thèmes devançant la publicité, suivie d’un peu plus loin par la photo, le vêtement, la bande dessinée, le corps, les spectacles naturels. On note aussi que, en vertu de certaines pesanteurs historiques, chacun de ces objets suscite parfois des inflexions théoriques particulières. Enfin, les affiliations institutionnelles de la recherche ou de l’enseignement en sémiotique visuelle sont elles aussi diversifiées. Dépendant chaque fois de facteurs historiques locaux, cette diversification n’est pas non plus sans répercussion sur les théories et les méthodes : ici la sémiotique visuelle se développe traditionnellement au cœur des écoles de design et sert des objectifs pratiques ; là elle s’inscrit résolument dans le cadre des études de communication sociale et se constitue sur le socle d’une pensée La sémiotique visuelle : grands paradigmes et tendances lourdes 93 sociologique ; ici encore elle est une annexe de l’esthétique ou un prolongement des départements de langue et de littérature. Tout ceci l’atteste : la sémiotique visuelle est un fait, à l’évidence aujourd’hui massive. Néanmoins, en dépit des observations formulées plus haut sur le plan du droit (une sensorialité ne définit en soi une sémiotique, une même sémiotique peut investir deux sensorialités différentes) et en dépit du caractère du fait — diversifié, flottant, protéiforme, pour ne pas dire ondoyant, capricieux ou hétéroclite —, la sémiotique visuelle présente aussi une consistance sur le plan du droit. D’une part, elle aura permis et permet, mieux que certaines autres provinces de la sémiotique générale, le débat sur certains points majeurs de la discipline. De l’autre, comme on va le voir, la tonalité polémique de mes premières lignes ne doit pas masquer un fait important : que la considération du canal n’est pas totalement indifférente dans une description sémiotique. En effet ce canal impose certaines contraintes à la production, la circulation et la réception des signes et des énoncés. Et l’on verra ci-après qu’une des apports de la sémiotique visuelle aura précisément été de réaffirmer le rôle des modalités sensorielles, et donc celui de la corporéité, dans l’élaboration du sens. Repérer les débats majeurs, évaluer l’apport global de la sémiotique visuelle à la sémiotique tout court, tel sera mon souci dans les lignes qui suivent. Plutôt que dresser un palmarès, céder à la tentation des énumérations encyclopédiques ou élaborer un guide pratique pour s’orienter dans une production nécessairement multiforme, il fallait tracer un cadre afin de comprendre les différentes manifes tations de celle-ci, par-delà l’anecdote des objets, des moments, des lieux et des écoles. Le fil directeur de l’exposé me sera fourni par le relevé de quelques hypothèques qui ont pesé sur la naissance et le développement de la sémiotique visuelle. Mon propos n’est pas ici d’esquisser une histoire de l’image et de la vision, encore largement à écrire 1. Mais une mise en perspective historique n’est pas inu tile. En effet, d’une part, ces hypothèques continuent à peser sur des pans entiers de la production actuelle en sémiotique visuelle, et d’autre part, on peut aisément s’apercevoir que les différentes tendances ou écoles de cette dernière, loin de se présenter dans un pur désordre, reflètent fidèlement les différentes étapes de la pensée sur l’image. Ici comme ailleurs, la synchronie récapitule la diachronie. Par ailleurs, ces hypothèques ont aussi largement constitué des chances : c’est pour résoudre certains des problèmes qui se sont présentés à elle, et à elle seule, à un moment donné, que la sémiotique visuelle a pu, à l’étape suivante, mettre au point des solutions qui font aujourd’hui sa spécificité. Et ces solutions constitueront dans certains cas des contributions décisives à la sémiotique générale. 1. Malgré des tentatives méritoires aussi différentes que celles de Gubern (1996) ou de Havelange (1998). 94 Visuel 2. Un retard général Le premier défi que la sémiotique visuelle avait à relever était le retard qu’avait pris, depuis les origines, la réflexion sur la communication et la signification visuelles, retard spectaculaire lorsqu’on compare cette réflexion à celle qui avait porté sur d’autres sémiotiques, et notamment sur celle du verbal. On peut dire qu’il a fallu attendre le xixe siècle pour voir se développer une description technique de l’image et pour voir se modifier le statut de ceux qui les produisaient ou en traitaient. Car d’un point de vue institutionnel, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les producteurs d’images sont vus comme des artisans et non comme des artistes. Dans la conception classique de l’être uploads/Philosophie/ signata-287.pdf
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- Publié le Nov 11, 2021
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