Enseigner en intégrant l’outil informatique. L’exemple des mathématiques. Olivi
Enseigner en intégrant l’outil informatique. L’exemple des mathématiques. Olivier Leguay Octobre 2009 L’introduction de ce que l’on appelle les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) dans l’Enseignement (ce qui donne le E à TICE) fait débat à juste titre. Est-ce une avancée ou un effet de mode ? Comment appréhender ce vaste monde en termes pédagogiques ? Si le sujet alimente les débats de toutes sortes, les positions sont encore plus marquées lorsqu’il s’agit de mettre l’un à coté de l’autre ces outils numériques et les mathématiques, alors que la filiation pourrait sembler naturelle puisque ce sont les mathématiciens qui ont accouché de la pensée numérique et algorithmique, il y a fort longtemps de ça. Les physiciens ont permis, quant à eux, l’implémentation des codes dans ce qu’il est aujourd’hui commun d’appeler un ordinateur. Avant de présenter notre pensée, peut-être est-il intéressant de faire un tour d’horizon historique et de dresser un état des lieux actuels sur la question de l’algorithmique (squelette d’un programme) et de l’utilisation d’outils numériques (logiciels installés et applications en ligne). L’algorithmique est une science très ancienne prenant certainement racine aux origines de la pensée humaine. Sa présence aux quatre coins du globe est aussi une preuve de l’universalité de cette forme de pensée. On en retrouvera par exemple des traces en Chine dans les Neufs Chapitres étudiés par Karine Chemla. Au fur et à mesure des avancées dans le domaine des mathématiques, les hommes perfectionnèrent les procédures, les méthodes. Ils les optimisèrent. L’étymologie du mot « Algorithme » provient du VIIIème siècle par déformation du nom du mathématicien persan Mohammed ibn Musa Al Khwarizmi. De l’algorithme dit de Babylone permettant le calcul approché des racines carrées avec une précision remarquable, aux récents algorithmes de traitement d’images, nous pouvons passer en revue 5500 ans d’histoire de l’humanité, comme le fait Jacques Bretin dans un diaporama mêlant repères historiques et utilisation de Scratch. L’algorithmique dépasse de loin le seul cadre des mathématiques pour s’ouvrir vers les domaines les plus divers. Faire une recherche dans un dictionnaire ou trier des objets relèvent aussi de l’algorithmique, alors qu’est-ce qu’un algorithme ? C'est un concept pratique, qui traduit la notion intuitive de procédé systématique, applicable mécaniquement, sans réfléchir, en suivant simplement un mode d'emploi précis. Et puis un jour, il y eu ces mathématiciens géniaux qui eurent l’idée d’utiliser quelques règles, les plus élémentaires et de les utiliser pour définir et automatiser des calculs. L’idée de l’ordinateur était là, elle fut mise en évidence par Türing et sa machine, il ne restait plus qu’à le construire. L’ordinateur deviendra l’objet de la seconde moitié du XXème siècle et ses utilisations possibles « l’objet » du XXIème que l’humanité devra inventer. L’ordinateur se fond aujourd’hui déjà, dans le web et ses outils collaboratifs. L’origine des technologies de l’information remonte à la Préhistoire. Calcul, écriture et informatique sont de la même nature. Les « vrais » concepts traversent les millénaires. La notion de langage fait partie de ceux-ci. Ainsi, le futur se caractérise par la « disparition » de l’ordinateur mais l’apparition de nouveaux langages et écritures informatiques, multiples et surtout adaptés au métier de l’utilisateur. Les hommes préhistoriques dessinaient sur les parois. On fera de même, et à plusieurs ; voire tous ensemble. Aujourd’hui, c’est déjà un peu demain. Nous sommes tous des scribes. Et c’est très bien ainsi. Chroniques informatiques : des hiéroglyphes aux écritures informatiques. Voilà donc planté de façon assez rapide le décor et l’ambivalence de l’usage des TICE en mathématiques relevant aussi bien de la démonstration que du langage, de l’interne que de l’externe, de l’apprivoisé que du sauvage, du passé comme du futur, source de vérité ou d’égarement. Alors les débats font rage suivant que l’objet numérique est présenté comme interne ou externe, représentant la tradition ou la modernité, base de la pensée humaine ou enfermement de celle-ci. On peut trouver trouver dans les discours liés à l’enseignement des positions diamétralement opposées. L’une affirme la quasi inanité du recours au TICE dans un enseignement des mathématiques, ce serait par exemple celle du virulent Rudolph Bkouche. L’autre position, diamétralement opposée, serait celle de Gilles Jobin dans Technolâtrie, reflétant celle de Seymour Papert dans son livre Le jaillissement de l’esprit, affirmant au contraire que la pensée algorithmique et aujourd’hui l’utilisation des ordinateurs sont à la base de l’épanouissement humain et de l’apprentissage. Pour ma part j’ai une position différente. Si je suis peu convaincu de la pérennité dans le futur, de la position tranchée de Monsieur Bkouche avec l’invasion logicielle et applicative qui nous entoure, il est cependant notable de remarquer que toute tentative d’enseignement d’un contenu donné utilisant un outil, en particulier informatique, se transforme vite, une fois institutionnalisé, en apprentissage dudit outil dans lequel le contenu passe au second plan, ou est tellement transformé qu’il ne ressemble en rien à l’objet initial. On ne peut donc pas faire l’économie de ce constat quelque peu dramatique lorsque l’on pense à l’utilisation de tout outil, en particulier informatique, à des fins d’apprentissage. Par suite, dans le cas où l’outil n’est pas explicitement ciblé, l’évaluation est rendue impossible ou vraiment minimale. D’un autre coté, malgré certaines vertus que l’on peut accorder à la pédagogie constructiviste dont l’utilisation de l’ordinateur permet une mise en œuvre plus aisée, je ne pense pas qu’elle s’applique de façon inconditionnelle à tous les concepts, en particulier des mathématiques. Il faut donc, selon moi, utiliser l’outil informatique avec beaucoup de circonspection étant donné la proximité, voir la fusion, et donc la confusion, de ce que l’on étudie avec ce qui en permet l’étude (machines à calculer, logiciels). Par exemple, la notion de nombre dans la calculatrice est très complexe (elle l’est déjà sans la calculatrice !) et les pièges sont souvent au rendez-vous. La couche logicielle forme une abstraction supplémentaire même si elle permet parfois d’atteindre des objectifs qui ne pourraient l’être sans. Si l’on peut constater l’évolution des outils, avec par exemple l’écriture formelle des nombres dans les calculatrices, cela va de pair avec la complexification de ces mêmes outils. On peut faire la même remarque sur la (con)fusion entre l’objet d’étude mathématique et sa représentation avec le logiciel qui permet sa visualisation. Utiliser un logiciel, une calculatrice, c’est utiliser un outil donc pouvoir aller plus loin, modifier le regard. C’est aussi prendre un risque qui doit être clairement identifié et circonscrit. Il me semble que le rôle de l’enseignant est majeur dans ce « jeu » où les règles sont cachées-découvertes, et c’était la raison principale pour laquelle j’étais partisan d’un apprentissage encadré par un professeur, de mathématiques médiatisées par une couche logicielle. La non évaluation rendant toute tentative d’institutionnalisation caduque, l’épreuve pratique de mathématique du baccalauréat me semblait une bonne expérience de contact. Je me dissocie de l’idée selon laquelle, sous couvert, de pureté de la méthode, de fidélité à la tradition, les outils numériques et informatiques ne doivent pas pénétrer dans nos salles de cours, tout comme aussi je ne crois pas à l’utilisation inconditionnelle de ces mêmes outils comme origine de la construction d’un savoir qui se répandrait sur plus d’élèves et plus facilement que des méthodes plus traditionnelles. Je suis cependant porté à croire que l’informatique et son utilisation au travers des applications et des logiciels, modifie profondément la façon de penser, de percevoir le monde physique et celui des connaissances. On ne peut pas limiter le phénomène à la croyance d’une simple transposition du papier vers un format numérique. Les objets manipulés sont profondément en train de changer de nature et il sera bientôt impossible de les traiter, de les représenter et de les visualiser autrement que par l’intermédiaire de couches logicielles. Il me semble donc très important de concevoir et d’intégrer ce point de vue dans des pratiques d’enseignement. L’occasionalisme linguistique de Bacon se généralise ici avec les TIC et l’enseignement ne peut pas en faire l’économie si dans quelque temps, on veut encore enseigner « quelque chose » faisant sens, ce quelque chose se trouvant être modifié en profondeur par sa simple numérisation. A chaque contact entre l’homme et la machine, ou l’homme et l’homme, va maintenant correspondre une sorte de pacte communicationnel. L’homme sera de plus en plus proche des formes numériques qu’il aura personnalisées à loisir, les contacts avec ses pairs seront en rapport étroit avec ceux qu’il aura tissés dans le monde numérique. Pour beaucoup la vision primaire sera celle provenant de la forme numérique et sera ensuite transposée dans le monde réel. Un nouveau paradigme communicationnel se met en place, inversant le rapport entre les hommes et les objets de pensée. La virtualisation numérique devient concrète pour beaucoup et la réalité devient souvent une projection de cette médiation virtuelle dans le Réel. Les repères du monde numérique seront pour tous ceux qui en ont l’accès, les premiers repères et non des repères secondaires, alors que ceux qui peineront à accéder à ce monde se verront relégués. Il est à noter que les choses vont aller très vite car les exclus de uploads/Philosophie/ tice-et-mathematiques.pdf
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- Publié le Aoû 28, 2022
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