LE RAISONNEMENT DE L’OURS et autres essais de philosophie pratique Du même aute
LE RAISONNEMENT DE L’OURS et autres essais de philosophie pratique Du même auteur L’Inconscient malgré lui Minuit, 1977, Gallimard, «ÞFolio EssaisÞ», 2004 Le Même et l’Autre Quarante-cinq ans de philosophie française Minuit, 1979 Grammaire d’objets en tous genres Minuit, 1983 Proust Philosophie du roman Minuit, 1987 Philosophie par gros temps Minuit, 1989 La Denrée mentale Minuit, 1995 Les Institutions du sens Minuit, 1996 Le Complément de sujet Enquête sur le fait d’agir de soi-même Gallimard, «ÞNRF EssaisÞ», 2004 ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VIe VINCENT DESCOMBES LE RAISONNEMENT DE L’OURS et autres essais de philosophie pratique Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.þ335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.seuil.com Ce livre est publié dans la collection «ÞLa couleur des idéesÞ» sous la responsabilité d’Olivier Mongin ISBN 978-2-02-095961-2 © Éditions du Seuil, septembreÞ2007 7 INTRODUCTION Philosopher en matière pratique* L’animal raisonneur qui figure dans le titre de cet ouvrage n’est autre que le personnage de LaÞFontaine dans sa fable L’Ours et l’Amateur des jardins (VIII, 10), un per- sonnage dont je me suis servi dans le premier des textes ici réunis. Ce texte porte sur la question de savoir si l’on peut parler d’une rationalité de nos jugements pratiques. En don- nant à la réunion de ces divers essais de philosophie pra- tique le titre du premier d’entre eux, je choisis de demander à notre fabuliste de nous ouvrir la porte du domaine de la raison pratique. L’idée peut sembler incongrueÞ: LaÞFon- taine pour introduire à la philosophie pratique. Étrange guide pour un sujet dont le sens, dira-t-on, n’est d’ailleurs pas des plus clairs. Je crois pour ma part que le fabuliste nous mène malicieusement au cœur de notre sujet. * Les textes qui composent ce volume ont été écrits entre 1991 et aujourd’hui. Les plus anciens sont au fond des additions à un livre que j’avais écrit à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution française (Philosophie par gros temps, Minuit, 1989). D’autres, à commencer par «ÞLe raisonnement de l’OursÞ», ont été pour moi une manière de prolonger un débat que j’avais eu avec plusieurs philosophes («ÞLe débatÞ: une raison politiqueÞ?Þ», La Pensée politique, n°Þ3, Paris, Gallimard/Seuil, mai 1995, p.Þ179-340) qui discutaient mon article intitulé «ÞPhilosophie du jugement politiqueÞ» (La Pensée politique, n°Þ2, juin 1994, p.Þ131-157). Je saisis l’occasion de cette note pour adresser mes vifs remerciements à Olivier Mongin qui m’a encouragé à réunir ces textes et m’a convaincu qu’il était possible d’en faire un livre à part entière au moyen d’une introduction portant sur la signification de ce que les philosophes appellent raison pratique. C’est cette introduction qui commence ici même. LE RAISONNEMENT DE L’OURS 8 Qu’appelle-t-on philosophie pratiqueÞ? En quoi une acti- vité spéculative comme la philosophie peut-elle être quali- fiée de pratiqueÞ? Je commencerai par ce point, avant de m’expliquer sur le recours à la fable du pavé de l’Ours. Comment une philosophie pourrait-elle être pratiqueÞ? Il est vrai que l’adjectif «ÞpratiqueÞ», dans l’usage cou- rant, s’applique volontiers à des instruments et des procé- dés. Nous disons de ceux qui nous conviennent qu’ils sont bien pratiques, c’est-à-dire qu’ils se sont révélés commodes, faciles à utiliser, efficaces. Il est vrai aussi que, au rayon philosophique d’une librairie, on pourra trouver des livres qui prétendent proposer une sagesse pratique précisément en ce sens. Nous vous offrons, annoncent-ils, une philoso- phie utile, nous allons vous dire comment réussir votre vie ou comment conserver votre sérénité en toutes circonstances. Hélas, cette littérature déçoit forcément. Il y aurait un art du bonheur ou une technique de l’humeur tranquille si l’on pouvait mettre le doigt sur la chose, l’unique chose, qui suffit à rendre les hommes heureux et légers. Le lecteur ne trouvera donc pas dans ces livres les recettes et les méthodes qu’il espérait peut-être découvrir, mais seulement des pré- ceptes formelsÞ: pour réussir, ne fais rien que tu risques d’avoir un jour à regretter d’avoir fait – pour être serein, n’attache d’importance qu’aux choses qui sont vraiment dignes de retenir ton attention. On pense à la mésaventure de l’abbé de Saint-Pierre que rapporte Jean Paulhan pour illustrer le fait que ce qui pour l’un est pensée profonde n’est qu’une formule creuse pour l’autreÞ: L’abbé de Saint-Pierre avait beaucoup réfléchi à la vanité des jugements humains. Il en était venu à dire, toutes les fois qu’il approuvait quelque choseÞ: «ÞCeci est bon, pour PHILOSOPHER EN MATIÈRE PRATIQUE 9 moi, à présent.Þ» Il passa en proverbe sur cette manie. Mais comme on le plaisantait un jour sur sa formuleÞ: «ÞMalheu- reuxÞ! s’écria-t-il, une formuleÞ! C’est une vérité que j’ai mis trente ans à découvrir 1.Þ» En fait, on donne normalement le nom de philosophie pratique à un ensemble de disciplines qui traitent des affaires humaines – des domaines de l’homme, pour parler comme Castoriadis, par quoi nous pouvons entendre le domaine des choses qui dépendent de nous 2. Ces choses, si elles existent un jour, ne devront pas leur existence à la nature, ni au hasard, mais à notre intervention dans le cours du monde. La philosophie pratique traite donc des choses qui se présentent à nous comme étant à faire ou à ne pas faire 3. Il y a des raisons variées de faire ou non ce qu’il dépend de nous de faire exister. De la confrontation de ces raisons dans la délibération (individuelle ou collective) naissent des débats et des polémiques qui peuvent prendre une tournure philosophique. La philosophie pratique rassemble de telles discussions dans des disciplines spéciales telles que la philosophie politique, la philosophie juridique, la philosophie éthique (ou morale), la philosophie économique, et d’autres encore qu’on pourrait distinguer. J’ai moi-même rangé les essais qui suivent selon certaines de ces rubriques, mais je suis bien conscient qu’il entre une part d’arbitraire dans une telle classification. D’abord, lorsque le propos est général, il tient difficilement dans une seule case. Qu’est-ce qui relève de la philosophie politique et qu’est-ce qui 1. Jean Paulhan, Les Fleurs de Tarbes, Œuvres complètes, Paris, Cercle du livre précieux, 1967, t.ÞII, p.Þ49. 2. Cornelius Castoriadis, Domaines de l’homme, Paris, Seuil, 1977. Sur l’idée que notre liberté tient au fait qu’il y a effectivement des choses qui dépendent de nous, voir sa remarque dans La Montée de l’insignifiance, Paris, Seuil, 1996, p.Þ216. 3. Voir Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 3, 1112a34. LE RAISONNEMENT DE L’OURS 10 relève de la philosophie du droitÞ? Ensuite, objection plus grave, est-ce que des considérations aussi conceptuelles méritent d’être qualifiées de politiques ou de juridiques, quand bien même ce serait au titre de la philosophieÞ? Néanmoins, j’ai jugé que cette manière de répartir mes textes pouvait en faciliter la lecture, et que je ne devais pas me laisser arrêter par l’objection de la généralité. Je ne prétends nullement qu’on puisse tirer des conclusions immédiatement utiles pour la politique ou le droit de dis- cussions purement philosophiques sur la différence entre décrire la réalité et diriger une action visant un résultat. Mais j’ai pu constater que de telles discussions avaient éveillé l’intérêt de quelques collègues politistes ou juristes, et c’est pourquoi j’ai présenté mon propos comme relevant tantôt de la philosophie politique, tantôt de la juridique. Théorie et pratique Par conséquent, la philosophie dite pratique est pratique au sens de l’opposition classique entre théorie et pratique. Oui, mais cette opposition, bien que classique, demande à être interprétée, car les philosophes ne sont pas d’accord sur sa signification. On peut signaler aujourd’hui deux accep- tions qu’il importe de ne pas confondre, car elles conduisent à des conceptions différentes de la rationalité, et donc de la philosophie, pratique. Les uns veulent l’entendre au sens du «Þlieu communÞ» qu’a discuté Kant dans un petit essai où il s’en prend au dicton Cela est peut-être juste en théorie, mais ne vaut rien en pratique1. L’idée est alors que, bien souvent, les pres- 1. Emmanuel Kant, «ÞSur l’expression couranteÞ: il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rienÞ», trad. L.ÞGuillermit, Théorie et pratique, Paris, Vrin, 1972. PHILOSOPHER EN MATIÈRE PRATIQUE 11 criptions et les recettes de la théorie se révèlent inappli- cables ou décevantes. Les élèves fraîchement sortis de l’école n’ont encore que le savoir théorique. Il leur reste à apprendre que les choses ne se passent pas dans la vie comme dans les livres. L’opposition est donc celle des solutions proposées respectivement par l’homme de l’art, qui possède une théorie, et par l’homme d’expérience, qui a une longue pratique des affaires. Kant, comme on sait, a vigoureusement contesté cet éloge de l’empirie au détriment de la théorie. Non sans raison, il l’a jugé obscurantiste. D’autres veulent l’entendre au sens normatif d’une opposi- tion entre deux types d’erreur, donc deux types de correction possiblesÞ: tantôt nous faisons des erreurs de description, et nous uploads/Philosophie/ vincent-descombes-le-raisonnement-de-l-x27-ours-et-autres-essais-de-philosophie-pratique-2007-pdf.pdf
Documents similaires
-
34
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 29, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 11.6704MB