61 Le présent article se propose de livrer une réflexion sur l’enseignement du

61 Le présent article se propose de livrer une réflexion sur l’enseignement du fran- çais dans le contexte chinois à travers quelques repères historiques révélant des évolutions sensiblement marquantes. Face à ces évolutions et à la demande crois- sante en enseignement du français, l’éclectisme semble s’imposer comme une nécessité pour développer de nouvelles stratégies répondant aux besoins et ob- jectifs de l’enseignement du français en Chine. Introduction L’éclectisme apparaît comme une nouvelle nécessité dans le champ géné- ral du FLE, un champ multiple, divers et de plus en plus ouvert, comme le constate C. Puren: «Nous sommes entrés depuis une dizaine d’années, en français langue étrangère tout au moins, dans une nouvelle ère éclectique...»1 En effet, l’étendu du champ du FLE et la diversité de ses problématiques ne permettent plus à ses acteurs de se limiter à un quelconque courant didactique ou de se réduire à une méthodologie toute faite. Enseigner le français dans le contexte chinois demande encore plus qu’ailleurs un esprit éclectique, c’est-à-dire un effort d’adaptation à une réalité chinoise de plus en plus diversifiée et multidimensionnelle. L’atout d’une philosophie éclectique en didactique du FLE réside dans une plus grande ouverture d’esprit permettant de rechercher de nouvelles hypothèses méthodolo- giques afin de rendre l’enseignement du français plus souple et plus efficace. I. Evolution des méthodologies et repères historiques Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire des méthodologies, mais de décou- vrir l’effet de cette évolution méthodologique et son influence sur l’enseignement des langues étrangères en Chine dans un passé récent. Les professeurs chinois spécialistes des méthodologies ont tendance à ad- mettre que la méthode traditionnelle a dominé dans l’enseignement du français en Chine jusque dans les années 702. Cette affirmation prend comme référence le changement politique et social surgi en 1978, marquant un tournant historique pour la Chine avec la politique de réforme et d’ouverture. Ce découpage qu’on accepte facilement est assez opérationnel sur le plan des recherches. Cependant, si on adopte un point de vue diachronique, la période entre 1949 (fondation de la Chine nouvelle) et 1978 (la proclamation de la politique de réforme et d’ouverture) est considérée comme une période de mutations sociales profondes traversées de multiples péripéties. L’éclectisme: une nouvelle nécessité Réflexion sur l’enseignement du français en contexte chinois Yang Yanru Ambassade de France en Chine Institut des Langues étrangères du Sichuan 62 Si la méthode grammaire-traduction était la méthodologie de référence pendant cette période, d’autres méthodologies étaient introduites et essayaient de se faire entendre dans ce bain de méthodologie traditionnelle. Dans un re- cueil de publications de professeurs chinois édité en 1978 par l’Institut des Lan- gues de Beijing3, Monsieur Zhu Zhizhong avançait une méthode situationnelle à la suite d’une critique de la méthodologie directe et de la méthodologie audio-orale américaine. Ces deux dernières étaient considérées comme insatisfaisantes par ce professeur chinois renommé qui en faisait la critique en ces thermes: «Abus des exercices structuraux hors situation qui visent à faire rentrer les mécanismes de la structure linguistique, rejet du champ sémantique et pragmatique de la lan- gue»4. Selon lui, une approche situationnelle permettait de remédier les défauts des méthodologies directe et audio-orale. En effet, ses reproches adressés aux deux méthodologies existantes étaient très proches de ce qu’on peut lire dans les importants ouvrages de didactique en français en usage actuellement. Sur le plan pratique, parmi les conseils pédagogiques qu’il donnait, il proposait de placer constamment les apprenants dans des situations authentiques afin d’attribuer un sens réel aux structures linguistiques qui, sans cette contextualisation, n’auraient aucune signification. Il préconisait clairement de considérer la langue comme un outil de communication et d’enseigner à communiquer en plaçant les exercices structuraux dans des situations de communication. Une telle conception est assez frappante à côté de ce qu’on peut qualifier un enseignement «traditionnelle» alors dominant en Chine. Nous voyons là une option très différente qui s’écarte d’une didactique traditionnelle. N’est-ce pas là un esprit éclectique déjà bien avisé qui s’efforce de trouver un terrain d’entente entre les théories existantes pour en tirer le meilleur profit? Il représente sans doute une conception méthodologique d’avant-garde pour les années 70, mais, nous ne pensons pas que ses idées «novatrices» soient nées exactement en 1978, encore moins qu’il soit le seul parmi les professeurs chinois de terrain à être sur la même longueur d’onde que le monde européen en matière d’évolution des métho- dologies de l’enseignement des langues. Ce premier indice d’éclectisme avant 1978 est loin d’être éclairant pour décrire la réalité concrète chinoise de l’époque, mais au moins, on peut mettre en doute que l’idéologie traditionnelle en méthodologie n’ait pas déjà été re- mise en question bien auparavant si nous acceptons de considérer l’exemple sus- mentionné comme la preuve attestant que certains professeurs en Chine étaient bien au courant des évolutions méthodologiques et qu’ils savaient déjà pratiquer l’éclectisme avant la fin des années 70, car on voit nettement la place de l’oral introduite dans cette proposition méthodologique reposant sur la situation de communication. C’est pourquoi nous pensons que si la méthodologie traditionnelle était dominante, elle n’était pas dans le contexte chinois appliquée dans toutes ses caractéristiques fortes telles qu’elles apparaissent dans le contexte français: «-l’importance donnée à la grammaire [...]. -l’enseignement d’une langue norma- tive centrée sur l’écrit [...]. -le recours à la traduction [...]. -l’importance de la littérature comme couronnement de l’apprentissage d’une langue [...]»5; d’autant plus que l’enseignement des langues étrangères en Chine devait à l’époque su- bir l’influence de l’Union soviétique vue les relations particulières entre les deux pays, hypothèse qui est confirmée par Fu Rong: «...la méthodologie traditionnelle a été directement transposée de la méthodologie de l’Union soviétique des années 63 50, par le biais de l’enseignement/apprentissage massif du russe en milieu insti- tutionnel chinois.»6 Dans L’Histoire des méthodologies des langues étrangères à l’étranger7 rédigée en chinois, nous pouvons remarquer qu’il y a eu deux méthodologies éla- borées en Union Soviétique: l’une dénommée la méthodologie de comparaison consciente, l’autre, celle de pratique consciente. Chacune s’appuie sur un fon- dement linguistique et une théorie d’apprentissage. La première a dominé l’en- seignement des langues étrangères en URSS de la période allant des années 30 jusqu’aux années 60. Traduisant une volonté de lutte dictée par l’idéologie socia- liste soviétique contre le monde capitaliste, elle s’affiche manifestement contre la méthodologie directe considérée comme incarnation d’une idéologie du sys- tème capitaliste dans l’éducation. En opposition avec la conception d’apprentis- sage établie par la méthodologie directe qui exclut la langue maternelle et qui compte sur l’intuition linguistique, cette méthodologie de comparaison consciente s’appuie sur une théorie linguistique suivante: «on ne peut comprendre le fonc- tionnement de sa langue maternelle qu’à travers l’apprentissage d’une langue étrangère, c’est-à-dire lorsque la langue 1 se trouve en contraste avec la langue 2. La langue maternelle a un rôle significatif dans l’éducation et l’instruction.»8 Selon cette théorie, l’apprentissage d’une langue étrangère doit s’effectuer par une comparaison consciente entre les deux langues, apprentissage qui consiste à assimiler les connaissances linguistiques, notamment grammaticales. Il est évi- dent que l’objectif visé dans cette méthodologie est l’assimilation de la gram- maire centrée sur les formes linguistiques et les règles du fonctionnement de la langue. Aucune place n’est accordée aux préoccupations des règles d’usage de la langue du point de vu socioculturel. Si cette méthodologie a pu régner pendant 30 ans, c’est qu’elle correspondait à une époque socialiste soviétique pendant laquelle, le pays n’avait guère besoin de personnes capables d’échanger dans une langue étrangère, et que sur le plan politique le pays se trouvait dans une position d’isolement et d’hostilité face au camp des pays capitalistes. Cette méthodologie, qualifiée de «nouvelle version de la méthode grammaire- traduction» perd sa place dominante dans l’enseignement soviétique dans les années 50. Vivement attaquée par les rénovateurs du milieu pédagogique soviétique, cette méthodologie de comparaison consciente fut remplacée par une méthodo- logie dite de pratique consciente; celle-ci marque un grand changement d’orien- tation dans l’enseignement des langues étrangères en Union Soviétique. Passant de l’enseignement des contenus linguistiques à la formation de la compétence en langue étrangère, cette méthodologie s’appuie sur une conception théorique du langage plus vaste: «Il existe un rapport direct entre le langage et la pensée, qu’il s’agisse de la langue maternelle ou d’une langue étrangère. Tout langage sert à transmettre la pensée»9. Cette conception linguistique consiste à considérer la langue comme moyen de communication et à concevoir qu’une vraie maîtrise de la langue se manifeste dans l’expression de la pensée sans passer par une ré- flexion intellectuelle sur les formes linguistiques acquises. L’enseignement d’une langue consiste donc à apprendre tous les moyens servant à former et à formu- ler la pensée. Ainsi les activités didactiques pourraient-elles recourir à tous les moyens: compréhension orale et écrite, expression orale et écrite, à travers les- quels l’apprenant apprend à pratiquer la langue en question; une large place doit être accordée à l’oral surtout au début d’un apprentissage. Cette dernière mé- 64 thodologie née en Union Soviétique est en quelque sorte le fruit d’un éclectisme. Elle retient les éléments considérés comme valables de toutes les méthodologies existantes uploads/Philosophie/ yanru.pdf

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