STATUT ET DESTIN DE LA RELIGION DANS LA PHÉNOMÉNOLOGIE DE L'ESPRIT Bernard Bour

STATUT ET DESTIN DE LA RELIGION DANS LA PHÉNOMÉNOLOGIE DE L'ESPRIT Bernard Bourgeois Presses Universitaires de France | « Revue de métaphysique et de morale » 2007/3 n°55 | pages 313 à 336 ISSN 0035-1571 ISBN 9782130561866 DOI 10.3917/rmm.073.0313 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2007-3-page-313.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.151.165.35) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.151.165.35) Statut et destin de la religion dans la Phénoménologie de l’esprit RÉSUMÉ. — La thèse ici soutenue est que l’ultime passage phénoménologique, celui de la religion au savoir absolu, n’est pas, contrairement à tous les précédents, un passage dialectique, c’est-à-dire rendu nécessaire par une contradiction intérieure à la religion comme forme inadéquate du contenu vrai de l’esprit. C’est un passage téléologique, libre anticipation de soi – dans l’esprit parvenu au seuil de sa vérité plénière comme objet de la phénoménologie – de l’esprit philosophant qui est le sujet de celle-ci, elle- même alors parfaitement réconciliée avec elle-même comme introduction scientifique à la science spéculative. ABSTRACT. — One suggests that the last phenomenological transition, from religion to absolute knowledge, unlike the earlier transitions, is not a dialectic one, grounded on an internal contradiction peculiar to religion as an inadequate manifestation of the true content of the spirit. This transition is a teleologic one, a free anticipation of oneself (when the spirit is on the door of its plenary truth conceived as the real object of phenomenology), a free anticipation of the spirit-philosopher, which is the real subject of the process, in a full reconciliation conceived as a scientific introduction to the speculative science. Il ne saurait s’agir ici de développer une nouvelle théorie du sens général de la religion comme moment de cette élévation justifiée de la conscience au savoir absolu qu’a voulu être la Phénoménologie de l’esprit. Le commentaire hégé- lianisant est, en particulier sur ce point, d’une grande richesse, et il me semble bien difficile de le révolutionner. Je voudrais simplement proposer quelques interrogations sur la signification du passage final de la religion au savoir absolu, que Hegel exprime comme un passage nécessaire, et d’une nécessité apparem- ment, elle aussi, elle encore, à la cime du parcours phénoménologique, imma- nente et dialectique, c’est-à-dire exigée par une contradiction interne de l’avant- dernière étape, religieuse, de ce parcours. La conscience religieuse achevée dans la foi pratiquée par la communauté chrétienne, participation à la victoire absolue remportée sur la mort absolue du Calvaire, serait, alors que cette conscience est dite avoir accompli « son tournant ultime » (Ph., p. 641), encore elle-même en proie à une dernière négativité. Elle serait en effet le brisement de son contenu : la réconciliation de Dieu et de l’homme, de la substance et du Soi, et de sa Revue de Métaphysique et de Morale, No 3/2007 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.151.165.35) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.151.165.35) forme : l’appréhension d’une telle réconciliation comme séparée de son appré- hension. Cette forme proprement religieuse, alors finie, contredirait bien son contenu infini, absolument vrai, et devrait par conséquent, puisque la conscience en quête de vérité refuse d’être contradictoire, être elle-même surmontée dans la conversion au savoir absolu comme savoir de soi de l’absolu. Assurément, dans des textes ultérieurs, Hegel tendra à souligner, entre la religion chrétienne et la philosophie spéculative, l’identité de leur contenu plutôt que la différence de leur forme. Il reconnaîtra que la piété naïve de la communauté religieuse vraie est satisfaite et réconciliée dans son accueil même de la vérité. Au point qu’on peut désigner la sphère entière de l’esprit absolu, qui comprend la religion entre l’art et la philosophie, par le terme même de religion, et faire s’achever toute la philosophie dans et comme la philosophie de la religion, la dernière des sciences philosophiques. Une telle accentuation n’autorisera certes pas, sans plus, à parler d’une rétractation de Hegel quant à la portée de la conversion spéculative – et, au demeurant, je m’en tiendrai présentement à l’examen du thème tel qu’il est traité dans la Phénoménologie de l’esprit. Mais elle pourrait contribuer à faire se fixer la réflexion sur le sens d’une affirmation hégélienne d’un dépassement dialectique de la religion dans le savoir absolu, justification ultime de l’élaboration de la science spéculative et, au sein de celle-ci, d’une introduction phénoménologique scientifique à elle-même. La mise en question du caractère dialectique du passage de la religion au savoir absolu, et, donc, de l’être contradictoire de la première, imposant, à travers son auto-négation (ce qui est contradictoire, par soi-même, n’est pas), directement l’auto-affirmation du second en son sens, semble possible. Elle s’appuie, entre autres étais, sur le constat du surgissement indirect, du retard effectif, d’une telle auto-affimation, alors déterminée, du savoir absolu, qui ne survient, en effet, qu’environ à mi-parcours du développement consacré à celui-ci (dans le 11e des 21 paragraphes du chapitre VIII). Tandis que, dans tous les passages antérieurs, la synthèse du nouveau concept positif du vrai pour la conscience s’opère rapidement dans la retotalisation plus concrète des matériaux disjoints de la figure conscientielle précédente, le concept du savoir absolu doit construire lui-même laborieusement sa propre existence – illustration privilé- giée, en l’intensification qu’elle en opère, de la distance rationnelle entre le moment dialectique de l’auto-négation du négatif et le moment spéculatif de l’auto-position du positif. Le concept du savoir absolu se construit, en effet, en mobilisant un passé phénoménologique beaucoup plus vaste que son passé religieux immédiat, voire un passé plus vaste que son passé phénoménologique jusque-là explicité – par exemple l’histoire de la philosophie, même sans noms – et, au surplus, moyennant une « incursion », dans le contenu phénomé- nologique, du phénoménologue s’auto-posant alors lui-même, pour en boucler 314 Bernard Bourgeois © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.151.165.35) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.151.165.35) le mouvement, dans ce contenu. Il est vrai que, parvenu au seuil de l’actualité d’une telle incursion, le mouvement du contenu phénoménologique pourrait sembler ne pas être vraiment rompu par un avenir si imminent, quasi immanent, de lui-même. Mais il est non moins vrai, en bon hégélianisme, que c’est quand on est le plus près du vrai qu’on peut en rester le plus longtemps éloigné, l’identification suprême ayant à vaincre la plus grande différence, et que, par conséquent, le parcours remémoré spéculativement de la conscience dite se diriger vers le savoir absolu n’est, à son propre niveau, lorsque s’accomplit la religion, lié que téléologiquement avec sa fin dite prochaine, dans le rabaisse- ment terminal de la vertu motrice du dialectique. Du moins paraît-il bien en aller ainsi. La présente réponse à la question du sort de la religion dans la Phénoméno- logie de l’esprit s’articulera fort simplement dans les deux temps suivants : d’abord l’analyse de la justification du statut, qui est le sien dans sa genèse phénoménologique, de moment totalisant fondateur de lui-même et de toute la conscience, puis l’examen du destin assigné à un tel moment dans le passage de lui-même au tout supra-conscientiel de la conscience qui se dit dans et comme le savoir absolu. I Rappelons, pour commencer, que le parcours phénoménologique est l’auto- reconstruction justifiante du savoir absolu accompli comme tel, proprement dit, vérité qui, en son contenu total, s’est donné sa certitude, adéquate à lui par sa médiation avec soi, à partir de sa présence originelle dans la certitude immédiate, sensible, à laquelle est donnée sa vérité, exprimée dans le contenu vide et lâche, alors toujours vérifié, du simple « être », du simple « c’est ». C’est sur le fond permanent, seulement à concrétiser, d’un tel savoir absolu, et de son identité à soi, érigée philosophiquement en principe suprême du vrai, que sont actualisées et mesurées toutes les synthèses, par le savoir tendant ainsi à se satisfaire, du contenu déterminé, différencié ou divers d’abord entièrement extérieur à lui en sa provenance naturelle. Ces synthèses ou totalisations, dont la distinction repose sur leur degré de puissance totalisante, donc sur leur degré d’être, s’exigent les unes les autres, les plus totalisantes n’étant ce qu’elles sont que par les moins totalisantes qu’elles circonscrivent, limitent ou nient, mais dont elles font aussi être le moindre être par leur identité uploads/Philosophie/bourgeois-religion-en-la-fenomenologia.pdf

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