M@n@gement, Vol. 3, No. 1, 2000, 1-30 1 Valérie Chanal Cet article présente la
M@n@gement, Vol. 3, No. 1, 2000, 1-30 1 Valérie Chanal Cet article présente la théorie des communautés de pratique et de l’apprentissage déve- loppée par Etienne Wenger dans son ouvrage Communities of Practice: Learning, Meaning and Identity. L’ouvrage défend une perspective sociale de l’apprentissage, inséré dans les pratiques collectives au sein des communautés de pratique. Il offre une grille de lecture originale des phénomènes d’apprentissage collectif, de création de significations et d’identité. L’article propose dans un premier temps une synthèse des apports théoriques de l’ouvrage de Wenger centrés sur le concept de communauté de pratique et ses liens théoriques avec l’apprentissage collectif. Il présente ensuite les par- ties de l’ouvrage traitant de la conception d’architectures d’apprentissage dans des organisations considérées comme des constellations de communautés de pratique interconnectées. Pour terminer, nous cherchons à appliquer le dispositif conceptuel de Wenger au management par projet afin d’en discuter à la fois les apports et les limites dans ce contexte précis. Il apparaît que la théorie des communautés de pratique fournit des concepts utiles pour interpréter certaines tensions inhérentes au management par projet. En revanche, l’assimilation de la notion de projet à celle de pratique pose des dif- ficultés d’ordre théorique. La confrontation de ces deux concepts ouvre une réflexion sur un enrichissement mutuel entre la théorie des communautés de pratique et les travaux sur le management par projet. INTRODUCTION Les recherches consacrées à l’apprentissage organisationnel, déjà anciennes, connaissent depuis quelques années un regain d’attention (Koenig, 1994). Après une période de forte divergence et de morcelle- ment des travaux, allant des sciences économiques (courbes d’ap- prentissage) à la psychologie cognitive, on observe des tentatives de trouver des points de convergence entre différentes approches afin de contribuer à une théorie de l’apprentissage organisationnel. C’est ainsi que se développent des travaux qui cherchent à articuler : — le niveau individuel ou cognitif et le niveau organisationnel (Cohen, 1991 ; Kim, 1993) ; — les recherches à visée principalement descriptive et les recherches à visée prescriptive pouvant déboucher sur la formulation de recom- mandations utiles aux entreprises (Moingeon et Ramanantsoa, 1995 ; Argyris et Schön, 1996) ; Université de Savoie IREGE eMail: valerie.chanal@univ-savoie.fr Communautés de pratique et management par projet : A propos de l'ouvrage de Wenger (1998) Communities of Practice: Learning, Meaning and Identity M@n@gement, Vol. 3, No. 1, 2000, 1-30 2 — les différents processus de traitement d’information qui contribuent au processus d’apprentissage (Cohen et Levinthal, 1990 ; Huber, 1991) ; — les capacités d’adaptation de l’organisation et les processus de sélection naturelle de l’environnement (Levitt et March, 1988 ; Levinthal, 1991) ; — l’apprentissage basé sur l’expérience et l’apprentissage basé sur l’exploration de nouvelles solutions (March, 1991 ; Argyris, 1995). Enfin, la relation entre le savoir et l’action est au cœur des réflexions sur l’apprentissage (Brown et Duguid, 1991 ; Garvin, 1993 ; Argyris, 1995 ; Argyris et Schön , 1996 ; Cook et Brown, 1999) et appelle une véritable théorie de l’action organisée. Etienne Wenger, dans son dernier ouvrage "Communities of Practice: Learning, Meaning and Identity" (1998), adopte un point de vue trans- versal à tous ces travaux et développe une théorie de l’apprentissage dont il nous a paru utile de rendre compte dans cet article. Tout d’abord, Wenger propose un niveau d’analyse de l’apprentissage qui est celui des communautés de pratique. Il réalise ainsi une articu- lation réussie entre le niveau individuel et le niveau organisationnel sur laquelle butent de nombreux travaux sur l’apprentissage organisation- nel. Cette focalisation sur les communautés de pratique présente en outre l’intérêt de proposer aux chercheurs un objet d’étude plus facile- ment observable que la cognition individuelle ou l’organisation réifiée dans son ensemble. Enfin, en prenant la notion de pratique sociale comme point d’entrée à sa théorie de l’apprentissage, il ouvre de nou- velles perspectives sur la relation entre les connaissances organisa- tionnelles et l’action collective. Dans cet article, nous procéderons en trois temps. Après une présentation synthétique de la structure et du contenu de l’ouvrage sont abordés, dans une première partie, les concepts cen- traux développés par l’auteur ainsi que les courants théoriques dans lesquels il inscrit son travail. Cette partie théorique est consacrée aux notions de pratique et de communauté de pratique et aux liens entre la pratique et l’apprentissage. La deuxième partie développe un aspect du travail de Wenger de nature plus ingénierique qui étudie les moda- lités de la conception d’organisations apprenantes. Sont abordées en particulier la question des frontières entre les pratiques, et les princi- pales tensions à résoudre pour créer des conditions organisationnelles favorables à l’apprentissage. Ce choix de présentation ne suit pas strictement le plan adopté par l’auteur (les frontières sont notamment traitées dans la première partie du livre consacrée à la pratique), et fait par ailleurs l’impasse sur la deuxième partie de l’ouvrage concernant l’identité. En effet, comme l’indique l’auteur lui-même, la question de l’identité déborde le concept de communauté de pratique en s’intéres- sant d’un côté à l’individu, dans une perspective sociale, de l’autre côté aux processus d’identification et aux structures sociales dans leur ensemble. C’est pourquoi, nous préférons restreindre notre champ d’analyse aux parties qui concernent directement les communautés de pratique et leurs liens avec l’apprentissage organisationnel. Il nous est apparu intéressant pour terminer de tenter de confronter la théorie des communautés de pratique aux situations de management par projet. Le management par projet soulève en effet des questions liées à l’engagement collectif, aux frontières, et plus généralement à l’apprentissage, qui sont traitées dans l’ouvrage de Wenger. Dans quelle mesure peut-on considérer les équipes projet comme des com- munautés de pratique ? En quoi cette théorie est-elle mobilisable dans une perspective ingénierique, pour concevoir des organisations par projets et animer des équipes projet ? Telles sont les questions stimu- lées par la lecture de l’ouvrage de Wenger que nous souhaitons dis- cuter ici. PRESENTATION GENERALE DE L’OUVRAGE "Communities of Practice" commence par la présentation d’une étude de cas qui est le service de gestion des dossiers de remboursement dans une entreprise américaine d’assurance maladie. Le cas se veut extrêmement concret, émaillé de nombreuses anecdotes, et vise à décrire par le menu la journée type d’un agent de traitement des dos- siers. Cette description met en lumière que ces agents, qui effectuent en apparence des tâches très routinières avec assez peu d’autonomie, sont en fait conduits à inventer constamment des solutions locales aux problèmes rencontrés. Il s’agit notamment pour eux d’interpréter des situations médicales ou administratives complexes afin de les ranger dans telle ou telle catégorie et effectuer ainsi un traitement approprié. Les agents traitent le plus souvent ces situations ambiguës en s’en- gageant dans des interactions informelles avec leurs collègues, c’est à dire dans une pratique sociale. L’auteur s’appuie sur cet exemple pour introduire la notion de communauté de pratique. Les agents de traitement forment une communauté au sens où ils travaillent avec d’autres personnes dont ils partagent les mêmes conditions. Leur pra- tique commune génère des solutions à certaines tensions institution- nelles comme le fait d’avoir à arbitrer entre le temps passé à traiter les dossiers et le temps passé à répondre aux appels téléphoniques des clients. Elle constitue également un support à la mémoire collective en permettant aux individus d’effectuer correctement leur travail sans avoir à en maîtriser tous les aspects et en constituant une structure d’accueil et de formation pour les nouveaux embauchés. La pratique contribue également à créer des cadres d’interprétation et des mots de vocabulaire nécessaires à l’accomplissement des tâches. Enfin, elle rend acceptable pour les individus ce travail plutôt monotone en déve- loppant une atmosphère agréable faite de rituels, d’habitudes, d’his- toires partagées. La capacité du cas à éclairer le concept de communauté de pratique est cependant limitée en comparaison avec les développements théo- riques qui suivent. Son principal intérêt est davantage d’amener le lec- teur à saisir toute la complexité du concept et de la réalité qu’il recouvre. A travers cet exemple, l’auteur montre notamment l’imbrica- M@n@gement, Vol. 3, No. 1, 2000, 1-30 3 tion constante du travail individuel et du travail de groupe, des procé- dures formalisées et des arrangements avec les procédures, de la connaissance et de l’ignorance. Comme le note l’auteur avec humour, ces personnes ne viennent pas au bureau pour former une commu- nauté de pratique, mais pour gagner leur vie ! Il donne ainsi avec ce cas le ton général de l’ouvrage, construit au plan théorique sur la notion de dualité ou de tension dialectique, et en même temps forte- ment ancré sur l’expérience vécue des individus au travail. La première partie de l’ouvrage aborde les concepts de pratique et de communauté de pratique et permet à l’auteur d’introduire sa vision de l’apprentissage comme une participation sociale où se négocient les significations relatives à l’action. Cette partie traite également des notions de frontières entre différentes communautés et propose de considérer les organisations non plus seulement sous l’angle des structures formelles, mais comme des « constellations de communau- tés de pratique » plus ou moins formalisées (p. 127). La seconde partie étudie la question de uploads/Philosophie/communautes-pratiques-et-management-par-projets.pdf
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- Publié le Dec 19, 2022
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