Jozef Van de Wiele Heidegger et Nietzsche. Le problème de la métaphysique In: R

Jozef Van de Wiele Heidegger et Nietzsche. Le problème de la métaphysique In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 66, N°91, 1968. pp. 435-486. Citer ce document / Cite this document : Van de Wiele Jozef. Heidegger et Nietzsche. Le problème de la métaphysique. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 66, N°91, 1968. pp. 435-486. doi : 10.3406/phlou.1968.5445 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1968_num_66_91_5445 Heidegger et Nietzsche Le problème de la métaphysique Heidegger attache une importance exceptionnelle à la philosophie de Nietzsche. Il y consacre ses commentaires les plus longs et les plus fouillés. L'œuvre de Nietzsche constitue pour lui la « décision », c.-à-d. le motif déterminant de sa prise de position par rapport à la méta physique (x). C'est l'étude de Nietzsche qui a fait passer Heidegger du point de vue de la remontée aux fondements de la métaphysique à celui de son dépassement. La connaissance de l'interprétation heideggerienne de Nietzsche sera par conséquent un des éléments essentiels d'une compréhension authentique de Heidegger lui-même, en particulier de sa vision sur le problème de la métaphysique. Le but de cette étude n'est pas de comparer la doctrine des deux philosophes du point de vue objectif, mais bien de comprendre l'inte rprétation heideggerienne de Nietzsche. Or, de l'aveu de Heidegger lui- même, son interprétation ne vise pas à tracer une image historique de la pensée de Nietzsche (2), mais bien à la situer dans le développement interne de la métaphysique occidentale. On comprendra dès lors que les textes sur lesquels est basée la présente étude sont en premier lieu des textes heideggeriens et seulement à titre secondaire des textes nietzschéens. Comme l'indique le sous-titre, l'interprétation à laquelle nous consacrons notre attention, jette une vive lumière sur le problème de la métaphysique. Comment envisager celle-ci après la pensée nietzsché enne et surtout après celle de Heidegger ? L'étude de ces deux philo sophes ne nous mettra-t-elle pas devant certaines conclusions de la plus haute importance pour l'élaboration future de toute ontologie (!) Otto Pôggbleb, Der Denkweg Martin Heideggers, Pfullingen, Neske, 1963, p. 100 : « So wird Nietzsches Denken, als Vollendung und Ende der Metaphysik, zur Entscheidung », cf. pp. 104-135. («) N (Nietzsche, 2 vol. 20,5 x 12,5 de 662 et 494 pp., Pfullingen, Neske, 1961) II, pp. 262-263. 436 Joseph Vande Wide ou de toute pensée de l'être ? Ne nous fera-t-elle pas saisir les motifs profonds de leur vive réaction antimétaphysique ? Notre sujet peut dès lors être précisé. Nous envisageons l'inte rprétation heideggerienne de Nietzsche en fonction du problème de la métaphysique et de la question de savoir si celle-ci peut être repensée. Nous diviserons l'exposé de la façon suivante : aperçu de l'inte rprétation heideggerienne de Nietzsche; la parenté entre les deux philosophes; leur divergence; les conclusions de leur réaction ant imétaphysique. I L'INTERPRÉTATION HEIDEGGERIENNE DE NIETZSCHE Heidegger considère Nietzsche comme un penseur qui prend rang parmi les métaphysiciens de l'histoire occidentale. De ce fait, il lui faut bien appliquer à sa pensée les caractéristiques de la méta physique en général. Qu'est-ce que la métaphysique pour Heidegger ? On peut la définir comme « la vérité de l'étant en tant que tel en total ité » (8). Elle représente la vérité de l'être de l'étant, impliquant l'oubli de la vérité de l'être (4). Or toute métaphysique inclut, d'après Hei degger, cinq éléments essentiels (5). Elle traite de l'essence de l'étant (l'étantité) et de son existence {dos Dass und dos Wie). Ensuite elle implique une certaine idée de la nature de la vérité et de l'histoire de la vérité. Enfin elle requiert une humanité qui articule sa vérité, la fonde, la communique et la conserve. Applique-t-on les traits mentionnés à la philosophie de Nietzsche et se demande-t-on comment ils doivent être spécifiés, il faut s'en reporter aux cinq Grundworte, aux cinq mots clefs de sa pensée (6). Quels sont-ils ? A l'essence, l'existence, la nature de la vérité, l'histoire de la vérité et l'humanité qui s'y rattache correspondent respectiv ement la volonté de puissance, l'éternel retour du même, la justice, le nihilisme et le surhomme. Expliquons le sens et la portée de ces vocables fondamentaux. (3) N II, p. 257; HW (Holzwege), p. 193. (4) VA ( Vôrtrage und Aufsâtze), p. 71 : « 'Metaphysik' ist schon als Geschick der Wahrheit dee Seienden gedacht, d.h. der Seiendheit, als einer noch verborgenen aber ausgezeichneten Ereignung, nàmlich der Vergessenheit des Seins. » (5) N II, p. 258. («) N II, p. 259-260. Heidegger et Nietzsche 437 1. La volonté de puissance. Pose-t-on la question : qu'est-ce que l'étant en tant que tel (qu'on songe au 7e livre de la Métaphysique d'Aristote), la réponse de Nietzsche est la suivante : volonté de puissance ! (7). Dans le morceau « Von der Selbst-Ueberwindung » Nietzsche déclare : «Là où j'ai trouvé la vie, j'ai trouvé la volonté de puissance et même dans la volonté du serviteur j'ai trouvé la volonté d'être maître »(8). La volonté de puissance est le caractère fondamental de la vie, mais, selon Nietzsche, «la vie» est l'autre vocable pour « l'être ». « L'être, dit Nietzsche — nous n'en avons pas d'autre représentation que la vie — comment donc quelque chose de mort pourrait-il être?»(9). Mais qu'est-ce au fond que la volonté de puissance? Il faut se garder de la représentation populaire (10), ainsi que de la représentation psychologique (u). Il s'agit de la comprendre au niveau métaphysique (12). En soi elle est volonté de la volonté (13). L'expression « volonté de puis sance» contient deux fois la même notion, mais dans une fonction différente (elle contient deux fois « vouloir»). La première fois il s'agit du sujet qui veut et la seconde fois de l'objet qui est voulu. Ce qui est le plus proche de ce que nous entendons par vouloir, c'est la seconde fonction, nommée par le mot « puissance ». Il s'agira de la liberté, c.-à-d. de commandement, d'être maître, de disposer des moyens d'agir (14). La première fonction, le sujet dans notre formule, nommée par le mot « volonté », est moins proche de notre conception courante de la volonté. Il s'agit notamment du vouloir de la puissance, du vouloir d'être maître, etc. Il en découle que la volonté ne vise pas la puissance comme l'autre d'elle-même, comme le but situé en dehors d'elle (15). Par ailleurs la signification nietzschéenne de la Selbst-Ueberwindung n'est pas sans rapport avec ce que nous venons d'expliquer. La volonté de puissance se dépasse elle-même, parce qu'en tant que telle elle se veut et se risque toujours elle-même (ia). (?) N II, p. 260, p. 264; HW, p. 218. (8) N II, p. 264. (9) N II, p. 265. («>) N II, p. 263. («) N II, pp. 263-264. (12) N II, p. 264. (13) N I, p. 46; N II, pp. 266-272. (14) N II, p. 265. (15) N II, p. 265. (i«) N II, p. 265. 438 Joseph Vande Wide Signalons la thèse de l'augmentation de puissance (17), la signif ication de la non-puissance (18) et de la volonté de puissance, même dans le négatif (19), autant d'aspects qui ont les rapports les plus étroits avec l'essence de la volonté de puissance et qui doivent être compris à partir de celle-ci. Mais arrêtons-nous à trois concepts qui sont de la plus haute importance pour la compréhension de la volonté de puissance, celui de la valeur, celui du chaos et celui de la subjectivité. Les valeurs sont les conditions de l'épanouissement de la puissance et le chaos est la manière d'être originelle du monde comme volonté de puissance. La notion de subjectivité est celle qui situe en dernière analyse le concept de la volonté de puissance dans la philosophie occidentale. La volonté de puissance crée les conditions du maintien et de l'augmentation de la puissance (20). Le point de vue de ces conditions est le point de vue des valeurs. Les valeurs valent et ne sont pas « en soi». La valeur est essentiellement la perspective projetée par la vue calculatrice de la volonté de puissance, afin que celle-ci puisse s'épa nouir (21). Les valeurs ont en outre d'étroits rapports avec certaines pro ductions et s'y incarnent. Nietzsche appelle ces productions des créa tions complexes de durée relative de la vie à l'intérieur du devenir (22). Il les qualifie de Herrschaftsgebilde. Ce sont des formes (Gestalten) que la volonté de puissance réalise, par ex. la science, l'art, la politique, la religion (23). La philosophie est appelée la forme la plus spirituelle de la volonté de puissance (24). Ainsi on comprend l'affirmation à (") N II, p. 266. (18) N II, p. 266. (i») N II, p. 267. (20) N II, p. 268. (21) N II, p. 269; N II, p. 85 : « Schluss-Resultat: Aile Werte, mit denen wir bis jetzt die Welt zuerst uns schâtzbar zu machen gesucht haben und endlich ebendamit entwertet haben, als sie sich als unanlegbar erwiesen — aile dièse Werte sind, psychologisch nachgerechnet, Resultate bestimmter Perspektiven der Nûtzlichkeit zur Aufrecht- erhaltung und Steigerung menschlicher uploads/Philosophie/heidegger-et-nietzsche-le-probleme-de-la-metaphysique.pdf

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