Le rythme dans la musique acousmatique 2 Le Rythme Dans la Musique Acousmatique

Le rythme dans la musique acousmatique 2 Le Rythme Dans la Musique Acousmatique Lautaro Vieyra Travail de recherche et réflexion pour le DEM en composition électroacoustique. Directrice du travail : Christine Groult Conservatoire à Rayonnement Départementale de Pantin 2009 3 Introduction En demandant, à l'auditeur sans expérience d’écouter de la musique acousmatique, quel est son avis sur une œuvre de ce type, on entend très souvent des affirmations telles que : « je ne trouve pas le rythme » ; affirmation qui, très probablement, vient du fait qu’on associe le rythme à l’idée de pulsation isochronique. En dépit de l’affirmation précédemment évoquée, le rythme est très présent dans la musique acousmatique : l’objet de ce mémoire sera d’en dévoiler ses différents aspects. La mission n'est pas simple, puisque pour l'entreprendre nous devons retenir un concept du rythme utile pour notre travail, une entreprise peu évidente de prime abord. À la difficulté propre de la tâche nous devons lui ajouter les limitations propres à l’auteur ce mémoire, puisque cette réflexion est le travail d'un musicien et non d'un musicologue. Nous commencerons par étudier l'étymologie du mot rythme et les différentes significations que le dictionnaire lui accorde. Nous mobiliserons également les apports de la psychologie dans son approche de la notion de rythme en particulier dans la manière dont il peut être perçu. Pour illustrer cette première approche du rythme, nous analyserons un antécédent historique d’une manifestation musicale avec un rythme non isochronique : la monodie liturgique et la polyphonie médiévale. Enfin, nous développerons succinctement les concepts de rythme structurel, geste, Unités Sémiotiques Temporelles et séquence - jeu. Conceptualisation du rythme Dans la construction d'un concept de rythme approprié pour la suite de cette réflexion, nous verrons que le rythme n'implique pas nécessairement régularité. Ce n’est qu’en se défaisant de cette limitation que l'aspect rythmique de la musique acousmatique peut apparaître sous des formes très diverses. Evidemment, ceci ne signifie pas que la musique acousmatique est dénuée de régularité. Si nous nous référons à l'étymologie du mot, le rythme provient du grec. Émile Benveniste1 le rattache plus précisément à la philosophie ionienne et notamment des philosophes comme Leucippe et Démocrite. Ceux-ci associent le concept de rythme à la « forme », c'est-à-dire, selon Démocrite, « disposition caractéristique des parties ». 1 Émile Benveniste (1902 – 1976), linguiste français. 4 Benveniste est allé plus loin et clarifie que le rythme est appliqué à la forme au moment où elle est assumée par ce qui se déplace : c’est la forme inattendue, momentanée, modifiable. Plus tard, Platon définira le rythme comme l’« ordre dans le mouvement ». Si nous poursuivons notre approche de la notion de rythme dans le dictionnaire, nous nous trouvons face à une pluralité de significations. En consultant le site Web du CNRTL (Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicaux), le concept de rythme peut être lié aux phénomènes naturels (le jour et la nuit, les marées, les saison de l'année, etc.), les processus corporels (le rêve, l'alimentation, quelques organes du corps, etc.), le rythme vital (division de la vie humaine en de grandes périodes caractéristiques physiquement ou psychiquement), le rythme mécanique (comme le rythme du moteur d'un camion), le rythme des mots (ou prosodie), le rythme social, etc. Évidemment, le concept de rythme est polysémique, mais nous pouvons trouver quelques dénominateurs communs à toutes ces significations : « Il n'y a pas de structuration rythmique qui ne soit temporelle, sauf dans le cas analogique des rythmes spatiaux. »2. En effet, le rythme est constitué comme « la première technique ou manière de dominer ou de domestiquer le temps. »3 Le rythme implique mouvement, alternance, variation, contraste entre, au moins, deux éléments (par exemple deux gestes). « Comme variation d’intensité, alternance de temps accentués et atones, activité et intervalle, le rythme implique de la discontinuité, une variation, mais sa périodicité constitue la répétition d'une séquence, d'un mouvement. Le rythme est ainsi une configuration de la variation et la répétition. »4 De plus, l'alternance peut apparaître, bien sûr, tant de manière isochronique que non isochronique. Mais notre regard est orienté vers le rythme musical en particulier. La musique, sans sous-estimer les problèmes de spécialité, est un art temporaire, puisque c’est dans le temps qu’elle dévoile ses structures, sa concrétisation, elle se manifeste dans le temps et c’est dans le temps que nous prenons conscience d’elle. Il est très 2 Psychologie du rythme. Paul Fraisser. Presses Universitaires de France, 1974, page 108. 3 Contre le temps. Agustin García Calvo. 1993. Page 134. 4 Rythmes sociaux et arythmie de la modernité. Amparo Lasén Díaz. Politique et Société Nr. 25º, 1997. 5 compréhensible alors que Stravinsky ait défini la musique comme une « certaine organisation du temps ».5 Si on parle de temps, on peut distinguer deux catégories différentes, le « temps chronologique », qui peut être mesuré en minutes et secondes, et le « temps psychologique », c’est-à-dire, la représentation interne, construite par le sujet et sa perception du devenir temporel. C’est plutôt le temps psychologique le centre d’intérêt du compositeur, puisque les processus formels et sémiotiques de l'œuvre prennent vie quand ils sont reconstruits dans la conscience du percepteur. La perception et l'expérience rythmique L'auditeur accède à la musique grâce à sa perception, fonction psychique qui, à travers les sens, permet au sujet de recevoir, d'élaborer et d'interpréter l'information provenant de son environnement. La psychologie de la Gestalt (mot provenant de la langue allemande, qui pourrait être traduit comme forme, figure ou structure) a consacré une attention particulière aux phénomènes de la perception. Un de ses apports fondamentaux est l’idée de champ temporel ou temps psychologique. « Comme en ouvrant les yeux nous saisissons un champ spatial, à chaque instant nous avons un champ temporel. Du temps, qui coule comme une source, nous ne retenons, selon la métaphore d’Henri Piéron, que ce qui contient le creux de notre main. Il faudrait ajouter qu’à mesure que notre main s’est remplie nous la vidons pour la remplir à nouveau. »6 Ce champ temporel ou présent psychologique est la caractéristique fondamentale de notre perception et sa façon d’assimiler le devenir temporel. Sans présent psychologique, pas de perception globale du successif et sans perception globale pas de structure rythmique.7 On peut constater avec le psychologue Paul Fraisser, dans son libre « Psychologie du rythme », que l’utilisation du concept de structure rythmique est due au fait que notre perception a tendance à grouper les stimulations sensorielles, « dans certaines conditions de succession, les stimulations sont perçues comme groupées et la 5 Poetics of Music in the Form of Six Lessons. Igor Stravinsky. Trad. De Arthur Knodel et Ingolf Dahl. Cambridge, Mass., 1947. Page 28. 6 Psychologie du rythme. Paul Fraisser . Presses Universitaires de France, 1974, page 10. 7 Ibis. Page 75. 6 répétition de ces groupes donne naissance à la perception du rythme. »8 Le groupement des éléments peut être subjectif ou objectif et a ses limites, liés à la durée et la quantité d'éléments. Par exemple, si on écoute tomber des gouttes d’eau provenant d’un robinet mal fermé, on les percevra groupées par deux ou trois, plus rarement par quatre, même si la cadence de leur chute est parfaitement régulière. Dans ce cas là on parle de rythmisation subjective. Par contre, si un intervalle périodique plus long que les autres crée une pause, ou si un élément sur deux ou sur trois est accentué, la rythmisation serait dite objective.9 Nous pouvons aussi voir qu’il y a des paramètres déterminants pour le groupement des stimulations sensorielles, ce sont la pause et l'accent (ce principe est évidement attaché à l’idée schaefferiene d’articulation et appui). La pause a la fonction de séparer les différents groupes de la structure rythmique, ou à travers un son d'une plus grande durée ou un silence (Piste 1), elle dépend de cette structure. « L’intervalle entre deux groupements successifs apparaît plus long que les intervalles entre les éléments du groupe (à égalité physique), on parle alors de pause. »10 L’accent (Piste 2) est, bien sûr, lié à l’intensité, mais aussi à la durée, la hauteur et le timbre du son, une variation d’un de ces paramètres peut être perçue comme un accent. La répétition (Piste 3) joue aussi un rôle important, même dans les compositions où « (…) tout phénomène de répétition a été aboli consciemment par le compositeur, ces œuvres peuvent néanmoins contenir certaines répétitions repérables au moment de la réception. »11 En fait, un message doit présenter un certain degré de redondance pour ne pas tomber dans l’entropie, c’est-à-dire dans l’absence de toute signification causée par un excès d’information.12 La psychologie de la Gestalt a énoncé des postulats qui nous aideront à comprendre les phénomènes perceptifs : • La perception consiste en une distinction de la figure sur le fond (vase de Rubin). Ce rapport entre figure et fond peut changer, c’est à dire, la figure peut devenir fond et vice- versa. (Piste 4) 8 Ibis. Page 74. 9 Ibis. Page 74 et 75. 10 Ibis. Page 74. 11 L’analyse des uploads/Philosophie/le-rythme-dans-la-musique-acousmatique.pdf

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