Pour une réforme radicale de l’islam dans un monde devenu pluriel. Des idées no
Pour une réforme radicale de l’islam dans un monde devenu pluriel. Des idées nouvelles chez Tariq Ramadan Philippe de Briey Une des grandes questions qui se pose dans le monde contemporain est celle des rapports entre religion et politique, et sous-jacente, celle des rapports entre l’universel et le particulier, l’absolu et le relatif, le Sens et les chemins divers qui y mènent, la foi et la raison, la Révélation et les sciences humaines. On est là dans des questions de grande actualité que Tariq Ramadan traite à un niveau philosophique général dans les chapitres 2 et 3 de son livre L’autre en nous. Pour une philosophie du pluralisme » (Paris, Presses du Chatelet, 2009, 280p.) et à un niveau théologico-juridique dans Islam. La réforme radicale, Ethique et libération, (Paris, Presses du Chatelet, 2008, 418p.). L’ouverture manifestée par ces deux livres récents pourra étonner des lecteurs, tellement cet auteur a été assimilé de manière sommaire à un penseur conservateur et radical. C’est pourquoi nous aurons recours ici à beaucoup de citations, pour rester au plus près de ses positions. Chacun pourra vérifier dans les livres mêmes. Ce qui paraît certain, c’est que ces derniers livres témoignent d’une importante évolution de sa pensée sur plusieurs points essentiels dans la confrontation entre la pensée islamique et la modernité1. 1. Pour une philosophie du pluralisme dans l’ouvrage : L’autre en nous. Les chemins de l’universel Aujourd'hui, écrit Tariq Ramadan, on s’interroge beaucoup de l’universel, en ces temps de relativité générale, de perte de repères, on cherche une forme d’absolu, de référence transcendante pour des valeurs et des principes. Pour ceux qui croient en Dieu, l’universel s’exprime à partir de leur Voie religieuse, pour les autres, c’est à partir des données sensibles, de la raison, de l’intuition, des archétypes etc. L’universel appelle à choisir un chemin, mais à reconnaître la « nécessité essentielle – quasi ontologique – des autres chemins. L’existence d’autres vérités est nécessaire » (à ma liberté) (p.33). « Les traditions mystiques et soufies ne cessent de rappeler la diversité des chemins (...) La pluralité des voies n’entame en rien la nature de la vérité essentielle. (...) L’absolu n’est pas relatif aux chemins qui y mènent. Tout n’est pas relatif » (34). Il faut donc « se méfier de soi et de ses tendances à penser que sa route est la seule voie qui soit ». « Que veut dire, par exemple, pour la conscience musulmane et plus largement croyante, cette affirmation-révélation : ‘Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté’, si ce n’est la reconnaissance fondamentale de la diversité... » (35). Malheureusement, « La quête de l’universel s’est trop souvent transformée en une propriété close et exclusive, en un instrument de pouvoir et de domination à l’origine de guerres et de morts, de croisades, de « jihad » offensifs et expansionnistes, de conversions 1 Sur la pensée de Tariq Ramadan on lira avec intérêt l’analyse détaillé de Gregory Braun, Islam et modernité. La pensée de Tariq Ramadan, Québec, ed. Bellarmin, 2010. Cet ouvrage dont nous n’avons pas eu connaissance avant la rédaction de ces pages, permet d’approfondir les sujets traités ici. 1 forcées, de missions civilisatrices, de colonisations et tant d’autres misères et horreurs » (37- 38) L’esprit dogmatique L’esprit dogmatique consiste à « s’approprier l’universel, s’en attribuer le monopole, puis établir une hiérarchie des valeurs, des civilisations et des cultures ». L’homme y emprunte « le point de vue de Dieu ou de l’absolu. Toutes les religions ou les spiritualités courent le risque de cette dénaturation ». (38) Certains tenants de la voie de la seule raison tombent aussi dans le dogmatisme, alors même qu’ils admettent la pluralité des points de vue. Mais, pensent-ils, un seul chemin mène au sommet : le leur… les autres sont « victimes de l’aliénation » (Feuerbach). En politique, Fukuyama pense qu’on est à « la fin de l’histoire » avec l’Occident en éclaireur qui accède au sommet de l’évolution humaine avant les autres… Néanmoins, l’esprit religieux ou l’être de foi est sans doute « le plus exposé à la tentation de parler pour/ou à la place de Dieu », comme le montre l’Histoire. Mais beaucoup d’esprits religieux ont été « tellement conscients de ce risque inquisiteur ou totalitaire qu’ils n’ont eu de cesse de mettre en évidence les valeurs de la diversité, l’écoute, le refus déterminé de la contrainte et le respect de la multiplicité des religions, des voies et des points de vue » (40-41). Universel partagé Tariq Ramadan avance enfin un point très intéressant : « il n’existe d’universel que partagé». « Il faut considérer l’universel comme cet espace commun auquel parviennent plusieurs routes, plusieurs religions, et la raison, et le cœur, et les sens. Ne jamais s’approprier le centre en niant la légitimité des points de vue. Il importe de se savoir toujours en route depuis la périphérie, où tout est forcément multiple, où ma vérité a besoin de celle des autres… (44). « Seules sont vraiment universelles les valeurs partagées au centre (...) Il ne s’agit pas d’intégrer des systèmes, des valeurs et des cultures à d’autres, mais de déterminer avec humilité des espaces d’intersection où l’on se rencontre, à égalité d’être et de légitimité. (...) véritable révolution copernicienne (...) ce qui ne veut pas dire accepter l’inacceptable, mais s’armer d’un amour lucide et curieux, sans illusion, plein d’espérance : résolument universel, en quête de partage » (à égalité) (45). En conclusion, il semble clair que T. Ramadan dans cet ouvrage, loin de défendre la supériorité de l’islam sur les autres religions ou convictions, invite au contraire au dialogue entre elles dans l’humilité, l’ouverture, et dans la conviction que leur pluralité est une richesse à partager. C’est là une base solide et même indispensable pour la réussite d’une démocratie pluraliste. Une telle perspective exclut certainement qu’une partie de la population, même majoritaire, impose ses valeurs, sa loi aux autres. Mais alors, quel statut donne-t-il à la religion au sein de cette démocratie pluraliste dont il se déclare un partisan déterminé ? Ceci est abordé au chapitre 3 de son livre. Foi et raison On sait à quel point, rappelle Tariq Ramadan, foi et raison se sont opposées dans l’affaire Galilée. La leçon à retenir est que la foi doit admettre une certaine autonomie de la 2 raison et accepter de se laisser questionner par la science et la philosophie. Mais de son côté, la science et la philosophie doivent reconnaître la légitimité des questions de la foi qui portent sur le pourquoi des choses et sur les finalités [c-à-d. au « pour quoi ? »]. Que ce soit dans le taoïsme, le bouddhisme ou les religions monothéistes, « Il n’est jamais question de savoir pour dominer mais, au contraire, pour accéder par la foi, par le cœur, au sens profond de Tout… La foi est un souffle, un élan, une adhésion, une croyance sans raison (et/ou avec toutes les raisons du monde) qui projette partout du sens et, toujours, du sacré » (50). « Si la foi risque d’enchaîner la raison à un ordre imposé par un système de pensée ou une religion, il est clair que, a contrario, une raison libre et libérée du questionnement du sens et des finalités peut exercer son pouvoir … sans limite et sans éthique. L’époque contemporaine nous apprend non seulement que le risque est réel, mais que les excès sont déjà patents. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », affirmait Rabelais (53-54). « Ainsi la foi (qui est confiance et conviction) et la raison (qui est observation et analyse) ne devraient pas s’opposer en termes d’autorité quant aux savoirs, mais au contraire, se compléter en termes de référence quant à l’action »… « impératif mariage, nécessaire harmonie ». « On trouve d’ailleurs dans la tradition légale islamique une différence d’ordre et de méthodologie entre les sphères du credo (‘aqîda) et des pratiques cultuelles (‘ibadât) d’une part, et celle des affaires sociales (mu’âmalât) d’autre part » (59). Et Tariq Ramadan ajoute : « C’est très exactement cette problématique qui est au cœur de la question de l’autorité politique. (...) Le principe de distinction est fondamental, la séparation est multidimensionnelle et globale » (« entre l’ordre de la foi et celui de la rationalité, la vérité révélée et imposée et la vérité rationnelle et négociée ») (60). Donc, ni étouffement de la raison par le dogme, ni étouffement des questions de sens, d’éthique et de finalités par une pure logique scientifique ou politique. Pour le dire autrement : le non croyant aura toujours une grande difficulté, ou même une impossibilité d’accepter le principe même qui est au cœur de toutes les religions, à savoir qu’il y a un domaine du réel qui lui échappera toujours : le ‘pour quoi ?’ des choses et le ‘comment se fait-il qu’il y a quelque chose et non pas rien ?’. C’est pourquoi T. Ramadan établit une distinction entre l’ordre de la foi et celui de la rationalité. Il s’appuie pour cela sur uploads/Politique/ tariq-ramadan-pour-une-reforme-radicale-de-l-x27-islam-dans-un-monde-devenu-pluriel.pdf
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- Publié le Sep 08, 2022
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