Pourquoi la musique sacrée de Jean-Sébastien Bach est-elle un chef d’œuvre? Mar
Pourquoi la musique sacrée de Jean-Sébastien Bach est-elle un chef d’œuvre? Martin Gladu Quand on pense à la musique sacrée de Jean-Sébastien Bach, la Messe en Si mineur, la Passion selon Saint-Matthieu, et les cantates nous viennent instantanément à l’esprit. Certes, ce sont là parmi les plus grandes œuvres du maître. Or leur caractère sacré justifie-t-il à lui seul leur supériorité esthétique sur d’autres tout aussi bien confectionnées mais profanes? Cette supériorité est-elle attribuable au seul fait qu’elles ont été composées par une personne pieuse? Voilà des questions complexes auxquelles nous tenterons de répondre simplement. L'art chrétien selon Onfray Pour Michel Onfray, l’art chrétien est une esthétique de la propagande. « L’absence du Christ doit devenir une pure présence. » « Et bien l’art va raconter tout ça, dit-il. Il n’y a pas de civilisation sans un texte religieux qui l’accompagne. Et il n’y a pas de texte religieux de civilisation sans art qui l’accompagne. » Dans cette perspective, l’art chrétien agit à la fois comme instrument de propagande et outil de médiation. Il sert donc à convaincre (les chrétiens et les non chrétiens de l’humanité du Christ); à enseigner (son message); à édifier et à internaliser (les valeurs chrétiennes); à unir et réunir (les fidèles); et à se reconnaitre (entre adeptes), voire à se distinguer (des non chrétiens). Avec l’esprit savant qu’on lui connaît, le philosophe en explique le développement par la Querelle des images, qui, rappelle-t-il, se déroula à une époque où l’analphabétisme était prépondérant. La Querelle des images est un conflit sur l’usage des icônes qui traversa l’Empire byzantin de janvier 726 à mars 843. S’opposaient alors deux visions, celle des iconophiles, favorables au culte des images saintes, et celle des iconoclastes, partisans de leur destruction. Donc, d’un côté l’idéalisme platonicien (les idées sont plus vraies que le réel, qui n’est autre chose que notre interaction avec le monde des idées) des grecs de l’Église de l’Orient; et de l’autre le pragmatisme des romains de l’Église de l’Occident. Onfray argue que l’Islam et le judaïsme sont iconoclastes, tandis que le christianisme et le paganisme sont iconophiles. Cela expliquerait, selon lui, pourquoi la photographie et le cinéma sont des inventions françaises (« la France est terre d’iconophilie, » dit-il), et pourquoi les juifs sont passés maîtres de l’exégèse (explication) et de l’herméneutique (interprétation). Pour soutenir sa thèse, il explicite le rôle de l’esthétique platonicienne : les icônes doivent être belles parce que dans leur beauté elles racontent le prototype (soit l’idée dans sa réalité autosuffisante) qu’est Dieu. Selon lui, cette esthétique, qui tends invariablement vers le beau, ne se retrouve pas dans l’art musulman parce que l’Islam est une civilisation iconoclaste dont l’exercice de la foi repose principalement sur l’obéissance et la répétition. Autrement dit, la civilisation chrétienne a fait davantage appel au génie des artistes dans sa propagande de la religion catholique que ne l’a fait la civilisation musulmane dans sa propagande de l’Islam. En plus d’être intéressante, cette thèse a le mérite d’être exacte au plan historique. Les grandes œuvres polyphoniques ont, effectivement, été composées suite à l’institutionnalisation du culte des images saintes par l’Église et grâce aux artistes à qui elle a fait appel pour raconter le Christ et ainsi le rendre présent. L’actuelle conception chamanique de l’art et son culte de l’auteur En parallèle, Onfray affirme que la conception de l’art a par la suite changé pour devenir chamanique : les artistes entrent en contact avec des mondes et les traduisent au moyen d’outils quasiment sacrés. Cette conception chamanique de l’art a donné lieu à ce qu’il convient d’appeler le culte de l’auteur. La figure de l’auteur, ce sacrosaint créateur qui fouillant son esprit, son âme et son expérience subjective du monde parvient par l’emploi de manipulations et de moyens plus ou moins techniques à faire naître des œuvres imprégnées de sa personnalité, apparaît, en effet, comme une sorte de chaman. Le rituel quasi magique qu’il met en œuvre quand il créé son œuvre de toute pièce a quelque chose du sacré. De Dieu créateur du monde, on passe, ici, à un dieu auteur de pièces musicales. Rappelons que sacrer, c’est 1) Conférer à quelqu'un par la cérémonie et l'onction du sacre un caractère sacré, et 2) Conférer à quelqu'un, quelque chose, un caractère solennel, une consécration officielle; reconnaître l'existence de quelqu'un, quelque chose en tant que tel (Source : CNRTL). Est donc sacré ce ou celui à qui l’on a solennellement conféré une consécration officielle. Comme cérémonie officielle, le sacre relève du domaine de la foi religieuse, qui elle- même relève du domaine de la croyance. Croire et faire acte de foi sont, en fait, des synonymes : c’est tenir pour vrai ce que l’on ne peut appréhender par les sens. Évidemment, cette « consécration officielle » n’est pas conférée à l’auteur « par la cérémonie et l'onction du sacre »; c’est la loi qui la lui confère. Et la croyance sur laquelle repose cette consécration, c’est celle de l’auctorialité, c’est-à-dire l’idée selon laquelle l’œuvre contient, dans ses molécules, une partie de la personnalité de son auteur et est, par conséquent, une extension de sa personne. Ces deux croyances sont basées sur une seule foi : l’acte de création, ou plus précisément l’Immaculée Conception. Dans le cas de la foi chrétienne, l’acte de foi consiste à croire que Dieu a créé le monde et nous a envoyé son fils porteur d’un message universel, alors que dans le cas de l’auctorialité, il consiste à croire au potentiel de l’Homme à concevoir des œuvres originales qui lui sont exclusives. Du temps de Bach, le droit d’auteur n’existait pas en Allemagne. Le maître gagnait sa vie avec le salaire que lui versaient ses patrons en contrepartie des charges qu’il assumait dans et pour la collectivité. Ainsi, le prince Léopold d’Anhalt-Köthen, par exemple, lui payait un salaire pour sa charge de maitre de chapelle à sa cour. L’œuvre au service de l’idéal chrétien Rappelons qu’une fois institutionalisées par l’Église, les icônes se devaient d’être belles parce que dans leur beauté elles se devaient de raconter le prototype qu’est Dieu. Il en fût de même pour la musique sacrée. C’eut été de commettre un sacrilège pour Bach que de jouer des œuvres qui ne refléta pas toute la force de son talent et l’ampleur de son savoir-faire à produire du beau. Le mot chef d’œuvre prend, ici, tout son sens. Du temps des corporations, le chef d’œuvre servait aux compagnons à faire la démonstration de leur savoir-faire aux maîtres de leur industrie et ainsi eux-mêmes accéder à ce rang, lequel leur garantissait certains bénéfices. En somme, le chef d’œuvre était un gage de qualité, et ce, tant aux yeux de la corporation qu’à ceux du public. En bon dévot, Bach n’aurait jamais servi des œuvres inférieures à ses patrons et à sa collectivité, car cela aurait démontré non seulement de l’irrespect envers sa religion mais une piètre utilisation de son talent. Il a, certes, réutilisé certains matériaux et certaines techniques, mais sans jamais sacrifier la qualité. L’aurait-il fait que sa conscience en aurait été perturbée. uploads/Religion/ pourquoi-la-musique-sacree-de-jean-sebastien-bach-est-elle-un-chef-d-x27-oeuvre.pdf
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- Publié le Sep 19, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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