D ans son acception la plus commune, le développement soutenable se définit com

D ans son acception la plus commune, le développement soutenable se définit comme la préoccupation accordée simultanément aux enjeux économiques, sociaux et écologiques. Trois chaînons unissent dans cette optique les trois domaines de la soutenabilité : la relation « écono­ mie-écologie », la relation « économie-social » et la relation « social-écolo­ gie ». Cette note part d’un constat paradoxal : alors même qu’il s’agissait du cœur du rapport Brundtland (1987), la relation « social-écologie » est, près de trois décennies plus tard, le parent pauvre des travaux consacrés à la sou­ tenabilité et fait figure de chaînon manquant du développement soutenable1. L’approche social-écologique2 vise précisément à remédier à cette la­ cune : elle consiste à considérer la relation réciproque qui lie question sociale et enjeux écologiques, en démontrant comment les logiques so­ ciales déterminent les dégradations et crises environnementales et en explorant en retour les conséquences sociales de ces atteintes à l’en­ vironnement humain. C’est de cette seconde flèche que cette note s’at­ tache à préciser les contours3, en mettant en lumière l’ampleur des inégalités environnementales en France. On peut penser qu’il s’agit là d’un enjeu politique de première importance : rien ne déplaisant da­ vantage aux Français que l’inégalité, ils peuvent être amenés à s’appro­ prier la préoccupation écologique par le détour de l’exigence égalitaire. Introduction : une approche social-écologique des inégalités françaises L’approche social-écologique appliquée aux inégalités françaises permet notamment d’alléger la préoccupation écologique de sa charge moralisa­ trice pour révéler toute sa portée éthique. Lorsque l’on reconnaît l’existence d’inégalités environnementales, on informe politiquement l’écologie : il ne s’agit alors pas de « sauver la planète », mais de comprendre comment des logiques sociales et des rapports politiques conduisent à mettre en danger le bien-être des plus vulnérables. Le risque environnemental est assuré­ ment un horizon collectif et même global mais il est socialement différen­ cié. Qui est responsable de quoi et avec quelles conséquences pour qui ? Telle est la question social-écologique, qui entend placer au centre de la réflexion sur la soutenabilité le bien-être des individus (et non seulement leur revenu) et l’ériger en objectif premier des politiques publiques (et non seulement collatéral). Partons d’un fait bien établi et rappelé récemment par la « Stratégie natio­ nale de santé » dévoilée à l’automne 2013 : alors que la santé des Français est d’un très bon niveau en moyenne, en comparaison historique et inter­ nationale, elle est dans le même temps marquée par des inégalités fortes et croissantes qui ne s’expliquent par des facteurs individuels. La clé de ces Les inégalités environnementales en France - Analyse - Constat - Action - Eloi Laurent ELOI LAURENT Economiste Senior à l’OFCE / Sciences- Po, Eloi Laurent enseigne à l’Université de Stanford. Il vient de publier Le bel avenir de l’Etat Providence (Les Liens qui Libèrent, Paris, 2014, 160p.). Les Notes de la FEP N°3 - Juin 2014 #Santé #Environnement #Territoires #Social-Écologie Je remercie Catherine Larrère et Lucile Schmid de leurs commentaires et demeure seul responsable du contenu de cette note, à l’exception de l’encadré de Thierry Philip, que je remercie de sa contribution éclairante. 1. Dans le schéma traditionnel du déve­ loppement soutenable, la relation entre le social et l’écologique, médiatisé par l’économique, se réduit le plus souvent à la question de l’emploi tandis que l’équité ne concerne que l’intersection entre dimen­ sion économique et dimension sociale. 2. Voir notamment E. Laurent, Social-Eco­ logie (Flammarion, 2011) et E. Laurent, Le bel avenir de l’Etat Providence (Les Liens qui Libèrent, 2014). 3. Pour la première relation, qui va des inégalités vers les dégradations environ­ nementales, voir Le bel avenir de l’Etat Providence, op.cit. 4. Stratégie nationale de santé, Feuille de route, Ministère des affaires sociales et de la santé, 23 septembre 2013. 5. Voir OMS, Quantifying environmental health impacts, http://www.who.int/quan­ tifying_ehimpacts/en/ 6. Voir notamment OMS, Environmental health inequalities in Europe. Assessment report, 2012. inégalités sanitaires françaises est plutôt à rechercher du côté des logiques sociales et territoriales : « La part attribuable aux facteurs “sociaux et envi­ ronnementaux” (problèmes financiers, situation professionnelle, conditions de travail, nombre de personnes par pièce, salubrité de l’habitat) pèserait pour 80 % dans la constitution des inégalités de santé, soit directement, soit indirectement par leur influence sur les facteurs comportementaux. »4. Quelle est la part propre des facteurs environnementaux dans ces inégalités de santé, l’élément du bien-être le plus valorisé par les citoyens en France et au-delà et de ce fait systématiquement placé en première position des enquêtes sur le sujet ? Si on mesure bien l’importance de la question, on perçoit immédiatement la difficulté de la réponse : l’environnement (au sens des conditions physiques, chimiques et biologiques des milieux de vie) est entremêlé dans un écheveau de facteurs causaux dont il est assurément difficile de mesurer la part respective. Difficile mais pas impossible. Car on ne peut minimiser l’importance de l’enjeu pour les politiques publiques : de quelle utilité sociale serait un Etat-providence aveugle à un facteur ma­ jeur d’inégalité sanitaire ? Deux étapes successives sont requises pour cadrer analytiquement le débat sur les inégalités environnementales en France : la robustesse scientifique de la relation santé-environnement ; la nécessité éthique de la justice envi­ ronnementale. Santé-environnement : un débat impérieux entre science et justice L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnait dès 1994 le concept de « santé environnementale », déterminée par « les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre envi­ ronnement » et fait en 1999 de l’amélioration des conditions environnemen­ tales « la clé d’une meilleure santé ». L’OMS a doublé cette reconnaissance conceptuelle d’une innovation méthodologique, en concevant et populari­ sant une méthode empirique permettant d’isoler la part proprement envi­ ronnementale de la charge de morbidité (l’OMS estime ainsi aujourd’hui à 24% de la charge mondiale de morbidité et 23% des décès la part des fac­ teurs environnementaux)5. Le débat public sur la relation santé-environnement en France est très ré­ cent et peut être précisément daté du Rapport de la Commission d’orien­ tation du Plan national santé-environnement de 2004. Dans la foulée de la canicule de l’été 2003 et de l’adoption de la Charte de l’environnement en 2004, celui-ci propose un diagnostic détaillé de « la santé environnementale en France » et formule de nombreuses recommandations. Détail intrigant : il ne contient que deux occurrences du mot « inégalité » et laisse entièrement de côté la question de la déclinaison sociale de la santé environnementale. L’Organisation mondiale de la santé confirme pourtant dans de nombreux travaux l’importance du prisme des inégalités environnementales pour les politiques sanitaires6, mais cette reconnaissance progresse encore trop peu - 2 - Note n°3 - Juin 2014 Les inégalités environnementales en France 7. « Malgré les travaux lancés par le deu­ xième plan national santé environnement (PNSE2), les inégalités environnementales demeurent peu évaluées et donc peu traitées en tant que telles par les pouvoirs publics car il n’existe pas à ce jour des données spatialisées pour l’ensemble de ces risques et de méthodologie opération­ nelle pour les additionner » in Inégalités territoriales, environnementales et sociales de santé - Regards croisés en régions : de l’observation à l’action, Ministère des Affaires sociales et de la Santé, Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 2014. 8. Voir notamment Amartya Sen, L’idée de justice, traduit de l’anglais par Paul Chemla, avec la collaboration d’Éloi Laurent, Flam­ marion, 2011. - 3 - dans les faits en France. Certes, la deuxième mouture du Plan National santé environnement (PNSE2, 2009) se donne pour ambition : « la prise en compte et la gestion des inégalités environnementales, c’est-à-dire la limitation des nuisances écologiques susceptibles d’induire ou de renforcer des inégalités de santé ». De même, le PNSE3, en gestation, entend poursuivre sur cette lancée. Mais le constat, formulé par les pouvoirs publics eux-mêmes7, s’im­ pose : la montée en puissance des inégalités environnementales ne s’est pas accompagnée de politiques publiques capables d’y répondre. De la question scientifique - l’importance avérée des facteurs environne­ mentaux dans l’état de santé des citoyens -, découle naturellement une question éthique et politique, celle de l’exposition et de la vulnérabilité so­ cialement différenciée des citoyens à ces facteurs. L’enjeu pour les politiques publiques est potentiellement majeur : on pourrait réduire les inégalités sa­ nitaires en réduisant les inégalités environnementales. Il importe ici aussi de procéder en deux temps : montrer en quoi ces inéga­ lités potentielles sont injustes (c’est le point de vue normatif) et montrer en quoi elles sont réelles (c’est le point de vue positif). Pour montrer en quoi ces inégalités environnementales peuvent être in­ justes, il nous faut disposer d’une définition qui explicite notre conception de la justice. On choisit ici, en définissant les inégalités environnementales, de les relier à la théorie des capacités et du développement humain dévelop­ pée par le philosophe et économiste Amartya Sen8. Une inégalité environnementale, qui peut être la simple observation empi­ rique d’une disparité, se traduit par une injustice sociale dès lors que le bien- être et les capacités d’une population particulière sont uploads/Sante/ les-inegalites-environnementales-en-france-analyse-constat-action.pdf

  • 37
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Apv 17, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
  • Taille du fichier 1.3252MB