Revue d’ethnoécologie 1 | 2012 Numéro inaugural Histoire et épistémologie des s

Revue d’ethnoécologie 1 | 2012 Numéro inaugural Histoire et épistémologie des savoirs locaux et autochtones De la tradition à la mode History and Epistemology of Local and Indigenous Knowledge : from Tradition to Trend Marie Roué Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ethnoecologie/813 DOI : 10.4000/ethnoecologie.813 ISSN : 2267-2419 Éditeur Laboratoire Eco-anthropologie et Ethnobiologie Référence électronique Marie Roué, « Histoire et épistémologie des savoirs locaux et autochtones », Revue d’ethnoécologie [En ligne], 1 | 2012, mis en ligne le 02 décembre 2012, consulté le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/ethnoecologie/813 ; DOI : 10.4000/ethnoecologie.813 Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019. Revue d'ethnoécologie est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Histoire et épistémologie des savoirs locaux et autochtones De la tradition à la mode History and Epistemology of Local and Indigenous Knowledge : from Tradition to Trend Marie Roué Introduction 1 Si l’intérêt académique pour les savoirs autochtones, indigènes en anglais et en espagnol, date de quelques dizaines d’années, ils existent, quant à eux, depuis plusieurs millénaires. Les sociétés qui les ont développés n’ont pas attendu une reconnaissance officielle pour tirer parti des plantes et animaux ou les domestiquer. Encore aujourd’hui une grande partie de la subsistance et de la pharmacopée dans le monde est acquise grâce aux savoirs et savoir-faire des chasseurs-cueilleurs, pêcheurs ou agriculteurs. Pourtant le statut de ces savoirs, en particulier leur reconnaissance et leur légitimité dans le domaine de la gestion, comme support de décisions dont la société et les scientifiques reconnaîtraient le bien-fondé, est une source de débats sans cesse renouvelés. 2 Nous poserons ici la question de l’origine de la notion de « savoirs locaux » avant son apparition sur la scène politique et médiatique. En remontant aux sources nous visons deux buts qui se conjuguent. Nous voulons tout d’abord informer le lecteur qui, en particulier en France, n’a eu accès à cette notion que depuis qu’elle est devenue un des piliers du politiquement correct, et qu’elle est utilisée de façon un peu superficielle, au même titre que d’autres notions à la mode : « développement durable », « recherche participative », par tous les acteurs pour rendre leur discours plus actuel. Nous espérons également rendre sa crédibilité scientifique à une notion qui, depuis son adoption par plusieurs conventions internationales, fait l’objet d’un engouement parfois simplificateur, et est souvent dévoyée jusqu’à la caricature. Notre démarche se conjugue en deux temps. Dans une première partie épistémologique nous analyserons les tensions et enjeux autour Histoire et épistémologie des savoirs locaux et autochtones Revue d’ethnoécologie, 1 | 2012 1 de cette notion dans les cinquante dernières années. Nous proposerons ensuite une brève histoire de cette notion en présentant les textes fondateurs qui ont permis à cette notion issue des travaux de biologistes et d’anthropologues d’émerger. Définir les savoirs « autochtones » 3 Définir les savoirs indigènes n’est pas chose facile. Avant même de nous interroger sur ce qu’ils sont, il nous faut comprendre les enjeux et conflits autour de leur dénomination. En effet nul ne s’entend sur le choix des termes, ou plutôt tous s’accordent à juger toutes les désignations autres que celles qu’ils préconisent insatisfaisantes. Comment les nommer : savoirs traditionnels, écologiques, autochtones, ou locaux ? 4 Doit-on parler de savoir écologique traditionnel (Traditional Ecological Knowledge, TEK), ou de savoir traditionnel (Traditional Knowledge, TK), comme on l’a fait dans les années 80 au tout début du développement de ce champ et comme certains le font toujours ? 5 Serait-il préférable d’abandonner cette désignation au profit d’une dénomination plus politisée, celle de savoir autochtone (Indigenous Knowledge, IK) ? 6 Doit-on tout au contraire choisir une notion la plus neutre, celle de savoirs locaux (Local Knowledge, LK) ? Si cette dernière dénomination a l’inconvénient d’être si large qu’elle en arrive à signifier tout et son contraire, elle a au moins l’avantage de n’exclure aucun des détenteurs de ces savoirs, et en particulier tous ceux qui ne sont pas autochtones ou ne veulent pas être désignés comme tels. 7 L’avantage des premières désignations (TEK ou TK) était d’évoquer immédiatement l’ancienneté de ces savoirs, et d’annoncer clairement leur domaine, celui de la nature, en posant d’emblée la question du rapport entre les savoirs des populations locales avec la science de l’écologie. Pourtant cette « scientisation » des savoirs autochtones a aussi ses inconvénients. Il est réductionniste de désigner ces savoirs du nom d’une discipline scientifique, alors qu’ils sont également des savoir-faire, un mode de vie, une représentation du monde et une éthique. Ce que savent les peuples autochtones, ce qu’ils savent faire et surtout leurs représentations du monde sont intimement liées : leur pensée procède d’une démarche holiste. La vision occidentale dichotomique qui sépare la Nature de la Culture, et l’homme de tous les autres êtres vivants, n’est nullement la leur. Les peuples autochtones ne font jamais de la science en tant qu’activité séparée. Notre science occidentale, elle, s’est constituée en se coupant de la philosophie et de la religion, et en séparant de surcroît chaque domaine scientifique de celui des autres sciences. Enfin l’opposition entre savoir et croire, cette volonté d’universalité de la science qui cherche des lois valables en toutes circonstances est une démarche que ne partagent qu’en partie les « savants » autochtones. Tradition et contemporanéité 8 Un autre concept de l’appellation TEK pose problème et suscite des conflits stériles. C’est celui de tradition. Considérer comme traditionnelles des sociétés qui, il n’y a pas si longtemps, étaient appelées primitives ou sauvages, pourrait en effet être suspecté d’un Histoire et épistémologie des savoirs locaux et autochtones Revue d’ethnoécologie, 1 | 2012 2 parfum de darwinisme social. Si, comme on a tendance à le comprendre dans un système d’oppositions binaires, traditionnel signifie ce qui ne change pas, ce terme serait inadéquat. Les savoirs traditionnels deviendraient alors au mieux des survivances, au pire des anachronismes, dont la conservation engendrerait une folklorisation et une muséification de ce qui est encore vivant. 9 La tradition doit être comprise au contraire comme ce qui relie les hommes d’aujourd’hui aux hommes d’hier, c’est-à-dire l’interprétation par des sociétés contemporaines de ce qu’elles ont reçu de celles qui les ont précédées. Dans cette acception la tradition n’exclut pas le changement. (Amselle 2008 ; Goody 1977 ; Lenclud 1987 ; Pouillon 1998). Les peuples autochtones, tout comme les cultures occidentales, sont en effet modernes et vivent, eux aussi, dans la contemporanéité (Latour 1991 ; Augé 1994). Quand les Inuit adoptent, pour chasser, tous les derniers avatars techniques de nos sociétés, vêtement comme mode de transport ou arme à feu, ils continuent à chasser « leurs » animaux, en utilisant leur compétence du terrain, leurs savoirs sur les conditions climatiques, les déplacements, la biologie des animaux, et en considérant, tout comme leurs ancêtres, qu’il leur faut respecter les animaux qui se donnent à eux. Cette acception de la tradition est donc bien loin d’une opposition à la modernité. 10 Revendiquer aujourd’hui « sa » tradition est un acte réflexif d’une société qui s’interroge sur elle-même et sur son changement rapide. Les pêcheurs bretons, tout comme les Samis, ne veulent plus être vus comme des victimes passives d’un monde qui les contraint à devenir semblables à tous en devenant « modernes ». L’anthropologie a heureusement abandonné le concept d’acculturation qui faisait florès dans les années 60, et imaginait les autochtones toujours perdants face à l’occidentalisation qui les guettait et gagnait à tous les coups. On parle aujourd’hui d’« agencéité » : les autochtones sont les acteurs de leur destin et utilisent leurs stratégies propres, leurs ressources pragmatiques et cognitives pour choisir de recomposer à leur guise leur devenir. De nombreuses pratiques et savoirs comportent une part de créolisation comme les intellectuels des Antilles françaises, las de la négritude de Césaire, le revendiquent (Glissant 1997). Loin d’être un héritage, la tradition devient une revendication dans un monde où la globalisation n’implique plus l’uniformité ou l’homogénéisation. Indigènes et autochtones ou locaux ? 11 L’étiquette « savoirs autochtones » (IK, le terme indigenous étant traduit en espagnol par indígeno mais en français par « autochtone ») a l’avantage d’être acceptée par quatre cents millions d’autochtones. Lors de sa septième session en 2008, le Forum Permanent sur la Question Autochtone revendiquait en tant que peuple autochtone d’être la troisième nation au monde par le nombre. Depuis 2002, le Forum Permanent sur les questions autochtones1 siège à New York aux Nations Unies et traite, en particulier, de la question des savoirs et des droits de propriété. La Déclaration sur les droits des peuples autochtones a été adoptée à New York le 13 septembre 2007 par l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) après vingt ans de négociations à 143 voix contre 4 (des États-Unis, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande) et 11 abstentions. Elle affirme les droits à réparation et à l’autodétermination pour les 370 millions d’autochtones dans le monde et confirme la reconnaissance internationale des populations autochtones et leur présence sur l’échiquier géo-politique international. uploads/Societe et culture/ ethnoecologie-813.pdf

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