Dossiers et documents n° 5 Observatoire du monde juif La jeunesse juive entre l

Dossiers et documents n° 5 Observatoire du monde juif La jeunesse juive entre la France et Israël – 1993-2003 Erik H. Cohen et Maurice Ifergan Avec la participation de Noémie Grynberg, Maïthé Simon-Morali et Allison Ofanansky Préface de Shmuel Trigano Postface d’Alan Hoffman 3 Entre France et Israël, la jeunesse juive À la mémoire de Norbert Dana qui a consacré sa vie aux mouvements de jeunesse et à l’action sociale. © Observatoire du monde juif 2005 4 omj dossiers et documents 5 Entre France et Israël, la jeunesse juive Les auteurs expriment leurs remerciements Shlomo Gravetz et de Ytzhak Mospsick, alors chef et directeur général du Département de la Jeunesse et du Héchaloutz ont eu le courage de lancer une étude d’évaluation pluriannuelle des groupes de jeunes Juifs de diaspora ayant participé aux programmes d’Israel Experience. Zeev Boneh, de Birthright Israel, nous a autorisé à publier une partie de leurs données. Gérard Fredj, directeur du département de la jeunesse du FSJU, nous a autorisé à publier ici certaines données de l’étude sur l’état des mouvements de jeunesse juifs en France. David Saada (Fonds Social Juif Unifié), Miriam Barkai (Fondation Pincus pour l’éducation juive en diaspora) et Rimona Viesel (Département de l’Alya de l’Agence juive) pour l’enquête sur les Juifs de France de 2002 dont nous avons repris ici certains résultats. Shmuel Trigano, pour l’intérêt témoigné envers cette étude, et grâce à qui ce livre a pu être publié. Les nombreuses personnes interviewées à Paris au cours des trois derniè- res années, tout autant que les milliers de jeunes qui ont accepté de répondre à nos questionnaires de 1993 à 2003. Préface Ressaisissement et perplexité de la jeunesse juive française Shmuel Trigano L’univers intérieur des jeunes générations de la communauté juive de France reste une énigme que l’enquête d’Erik H. Cohen et Maurice Ifergan nous permet de commencer à lever. Les praticiens de la vie juive ont en effet pu constater que les générations nées après 1970 sont relativement absentes des activités communautaires dont les modèles culturels se sont cristallisés dans les années 1960-1970, produit des générations d’après la deuxième guerre mondiale. Les cadres mentaux et idéologiques qui structuraient la conscience des générations précédentes, entre Shoa et guerre des Six jours, font défaut, on le conçoit aisément, aux jeunes d’aujourd’hui. Leur expérience poli- tique autant qu’existentielle est totalement différente de sorte que leur appréhension de la vie juive est inédite : ils ne vivent pas dans le même univers mental que leurs parents. Ils ne semblent pourtant pas avoir dis- paru de la scène juive et cette enquête le démontre. De nouveaux lieux de socialité sont apparus, le plus souvent en dehors des lieux institutionnels et des référents habituels (« la culture juive »). De nouveaux repères géné- rationnels se sont mis en place. Nous vivons une période de transition, de « passage de relais » où se décide l’avenir de la communauté juive. Clarifier les façons de voir de La recherche qui a nourri ce livre et son édition ont été rendues possibles grâce à une subvention de la Fondation Hanadiv (Hanadiv Charitable Foundation), du Département d’Éducation de l’Agence juive pour Israël et du Fonds Social Juif Unifié.  omj dossiers et documents  Entre France et Israël, la jeunesse juive la jeunesse est d’autant plus important pour la génération aux comman- des que c’est à elle que sera transmis le flambeau et sur elle que reposera l’avenir. Les modèles et les dispositifs identitaires en fonction aujourd’hui sont-ils encore valables ? C’est la plus importante question à soulever. Et s’ils ne le sont plus, la porte est-elle assez ouverte à la créativité et à l’in- vention ? Le paysage que cette enquête met en place fait apparaître certaines évo- lutions de fond qui soulignent la spécificité du judaïsme français. Si en Amérique du Nord, les jeunes Juifs se définissent en fonction de motifs psychologiques et volontaristes, en Europe de l’Ouest, c’est la référence à la naissance et à la solidarité qui joue le plus grand rôle. Les symboles identitaires qui cristallisent cette identification révèlent un rapport très sain à la condition juive, dans ce sens où ils s’avèrent positifs, affirmatifs et non réactifs (Israël : 65 % ; Jérusalem : 60 % ; les parents : 54 % ; Auschwitz : 50 %). La volonté d’être juif et de le rester est très réelle. 91 % d’entre eux souhaitent rester juifs (contre 80 % en Europe de l’est). Et même plus : 57 % de jeunes souhaitent renaître juifs en Israël (contre 38 % de la popu- lation juive de France) alors que ce souhait ne concerne que 25 % des jeunes Juifs d’Amérique du Nord et du Sud. Cette volonté de renaître juif souligne par ailleurs combien la référence à la naissance relève plus du choix que de la fatalité. L’importance d’Israël est ici significative. Israël n’est pas perçu comme un mythe lointain mais un pays où l’on peut vivre, un pays très réel, à l’inverse des jeunes Juifs américains pour lesquels Israël est un pays que l’on visite et qui a une importance spirituelle mais où l’on ne vivra pas. La dimension religieuse de cette identité juive doit être soulignée : 46 % se déclarent religieux. Si 46 % respectent la kasherout, 29 % supplémentaires avouent la respecter souvent, si bien que les ¾ de la population enquétée suivent de près ou de loin les règles de la kasherout. De ce point de vue-là, Erik H. Cohen et Maurice Ifergan définissent la jeunesse juive de France comme atypique par rapport à ses congénères américains ou européens (28 % déclarent respecter toujours la kasherout, 29 % souvent). 32 % d’en- tre eux reconnaissent qu’ils se sentent plus religieux que leurs parents. La même détermination se remarque aussi dans leur attitude face au mariage mixte. 60 % d’entre eux y sont opposés, alors que 63 % des foyers juifs français acceptent le principe d’un mariage mixte. Les garçons s’avouent même plus opposés que les filles. Il est intéressant de souligner à ce propos le revirement que cela constitue car dans la génération qui précède, parmi les 19-29 ans, il y a environ 40 % d’exogamie. C’est comme si il y avait eu un affaissement de la continuité juive dans cette génération intermédiaire alors que celle qui la suit se ressaisirait. Il faudrait chercher plus profon- dément dans les mœurs, la culture et l’évolution d’Israël, les racines de cette évolution. Cette religiosité présente néanmoins tous les signes d’une désinstitutionalisation. E. H. Cohen et M. Ifergan remarquent l’utilisation de la « culture jeune » pour nouer des liens avec la tradition et la religion, à savoir l’accès au judaïsme par des voies non institutionnelles et non dog- matiques. Cette génération du ressaisissement connaît par ailleurs une réorienta- tion drastique dans son rapport à la société. Il semble en effet, d’après les données de l’enquête, qu’il se produit un légèr fléchissement de l’entrée dans l’enseignement supérieur. L’Université semble de moins en moins jouer le rôle de l’ascenseur social qu’elle a joué pour les générations précé- dentes. Cette évolution s’explique en fonction de la situation de l’Univer- sité dans la société française et du chomage endémique des universitaires, mais elle révèle sans doute aussi un trait fondamental du rapport des Juifs à la société. Le rôle de l’Ecole juive doit être aussi investigué à ce propos. Elle pourrait ne pas préparer les jeunes à s’investir dans la société civile et notamment l’Université, peut-être pour les avoir entretenus dans un cadre hors du système global, proche de la famille élargie, un univers finalement fictif par rapport à l’environnement : celui de l’Ecole juive. Certains témoigna- ges de l’enquête le soulignent mais le fait avait été déjà observé1. En contraste avec cette affirmation forte et solide, cette jeunesse témoigne cependant d’une crise morale extrêmement profonde. La vague antisé- mite des années 2000 a ébranlé sa confiance en un avenir en France et sapé son sentiment d’être chez soi malgré l’évidence de l’enracinement en France. Ces jeunes sont parmi les Juifs les plus exposés aux agressions antisémites, c’est ce que montre l’enquête. Ce constat est à lui seul très fort. L’égarement de leurs parents face à cette nouvelle donne influe bien sûr sur leur façon de voir les choses. Le refus de se référer à la notion et au terme de « communauté » observé par les deux sociologues, outre qu’il nous montre que l’identification juive de ces jeunes ne doit pas être interprétée comme un « repli identitaire », pourrait bien valoir comme un symptôme de la délégitimation de la communauté juive dans la société française, renvoyant à l’ébranlement de l’identité des Juifs de France dans ses fondements, consécutif à la crise des années 2000. Les circonstances propres à l’antisémitisme auquel est confrontée directe- ment cette jeunesse ne sont pas la seule cause de cet état de faits. L’identité  omj dossiers et documents 9 Entre France et Israël, la jeunesse juive Introduction La dialectique entre l’identité juive1 et l’identité nationale2 est complexe. Le vécu des uploads/Societe et culture/ jeunes-juifs-de-france.pdf

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