LA THESE DE RENE GUENON SUR LES ORIGINES DU CHRISTIANISME J.M. d’Ansembourg Nou

LA THESE DE RENE GUENON SUR LES ORIGINES DU CHRISTIANISME J.M. d’Ansembourg Nous avons osé avancer que les religions à Mystères et les initiations païennes présentaient de grandes similitudes avec le Christianisme des premiers siècles : nous y reviendrons. Nous devons bien constater que les origines du Christianisme restent très mystérieuses et qu’aujourd’hui encore nous en sommes réduits à ébaucher des hypothèses pour tenter de meubler les grands pans d’ombre qui subsistent dans son histoire primitive. Nous ne résoudrons certainement pas ces problèmes ici ; notre ambition se limite à faire mieux connaître une thèse qui expliquerait bien des malentendus et qu’on ne peut rejeter facilement si on s’efforce réellement de réfléchir à la question en abandonnant tout préjugé (tant clérical qu’anticlérical). Cette thèse a été exprimée par René Guénon dans ses Aperçus sur l’Esotérisme Chrétien, Edition Traditionnelles, Paris, 1971 : « Loin de n’être que la religion ou la tradition exotérique que l’on connaît actuellement sous ce nom, le Christianisme, à ses origines, avait, tant par ses rites que par sa doctrine, un caractère essentiellement ésotérique, et par conséquent initiatique. On peut en trouver une confirmation dans le fait que la tradition islamique considère le Christianisme primitif comme ayant été proprement une tarîqah, c’est-à-dire en somme une voie initiatique, et non une shariyah ou une législation d’ordre social et s’adressant à tous ; et cela est tellement vrai que, par la suite, on dut y suppléer par la constitution d’un droit « canonique » qui ne fut en réalité qu’une adaptation de l’ancien droit romain, donc quelque chose qui vient entièrement du dehors, et non point un développement de ce qui était contenu tout d’abord dans le Christianisme lui-même. Il est du reste évident qu’on ne trouve dans l’Evangile aucune prescription qui puisse être regardée comme ayant un caractère véritablement légal au sens propre de ce mot ; la parole bien connue : « Rendez à César ce qui est à César… », nous paraît tout particulièrement significative à cet égard, car elle implique formellement, pour tout ce qui est d’ordre extérieur, l’acceptation d’une législation complètement étrangère à la tradition chrétienne, et qui est simplement celle qui existait en fait dans le milieu où celle-ci prit naissance, par là même qu’il était alors incorporé à l’Empire romain. Ce serait là, assurément, une lacune des plus graves si le Christianisme avait été alors ce qu’il est devenu plus tard ; l’existence même d’une telle lacune serait non seulement inexplicable, mais vraiment inconcevable pour une tradition orthodoxe et régulière, si cette tradition devait réellement comporter un exotérisme aussi bien qu’un ésotérisme, et si elle devait même, pourrait-on dire, s’appliquer avant tout au domaine exotérique ; par contre, si le Christianisme avait le caractère que nous venons de dire, la chose s’explique sans peine, car il ne s’agit nullement d’une lacune, mais d’une abstention intentionnelle d’intervenir dans un domaine qui, par définition même, ne pouvait pas le concerner dans ces conditions ». « Pour que cela ait été possible, il faut que l’Eglise chrétienne, dans les premiers temps, ait constitué une organisation fermée ou réservée, dans laquelle tous n’étaient pas admis indistinctement, mais seulement ceux qui possédaient les qualifications nécessaires pour recevoir valablement l’initiation sous la forme qu’on peut appeler « christique » ; et l’on pourrait sans doute retrouver encore bien des indices qui montrent qu’il en fut effectivement ainsi, quoiqu’ils soient généralement incompris à notre époque, et que même, par suite de la tendance moderne à nier l’ésotérisme, on cherche trop souvent d’une façon plus ou moins consciente, à les détourner de leur véritable signification ».1 (p. 9 et 10) Il faut reconnaître que l’argument de Guénon a du poids ! Moïse, en fondant le Judaïsme, lui a donné des livres « législatifs » qui ont réglé toute la société juive (l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome, etc.). De même, en transmettant la loi coranique, Mohamet a organisé le monde de l’Islam tant dans le domaine profane que religieux. Le Nouveau Testament n’a pas ce caractère « législatif » ; Guénon en déduit qu’il n’était pas destiné à féconder une religion nouvelle avec une société nouvelle ouverte à tous. Mais, si les rites chrétiens étaient au départ proprement initiatiques et réservés, comment se sont-ils transformés en une religion s’adressant au public le plus large ? « Il a dû s’agir là d’une adaptation qui malgré les conséquences regrettables qu’elle eut forcément à certains égards, fut pleinement justifiée et même nécessitée par les circonstances de temps et de lieu ». « Si l’on considère quel était, à l’époque dont il s’agit, l’état du monde occidental, c’est à dire de l’ensemble des pays qui étaient alors compris dans l’empire romain, on peut facilement se rendre compte que, si le Christianisme n’était pas « descendu » dans le domaine exotérique, ce monde, dans son ensemble, aurait été bientôt dépourvu de toute tradition, celles qui y existaient jusque-là, et notamment la tradition 1Nous avons eu souvent l’occasion de constater notamment cette façon de procéder dans l’interprétation actuelle des Pères de l’Eglise, et plus particulièrement des Pères grecs ; on s’efforce, autant qu’on le peut, de soutenir que c’est à tort qu’on voudrait voir chez eux des allusions ésotériques, et, quand la chose devient tout à fait impossible, on n’hésite pas à leur en faire grief et à déclarer qu’il y eut là de leur part une regrettable faiblesse ! (note de Guénon) gréco-romaine qui y était naturellement devenue prédominante, étant arrivées à une extrême dégénérescence qui indiquait que leur cycle d’existence était sur le point de se terminer 2. Cette « descente », insistons-y encore, n’était donc nullement un accident ou une déviation, et on doit au contraire la regarder comme ayant eu un caractère véritablement « providentiel », puisqu’elle évita à l’Occident de tomber dès cette époque dans cet état qui eût été en somme comparable à celui où il se trouve actuellement. Le moment où devait se produire une perte générale de la tradition comme celle qui caractérise proprement les temps modernes n’était d’ailleurs pas encore venu ; il fallait donc qu’il y eût un « redressement », et le Christianisme seul pouvait l’opérer, mais à la condition de renoncer au caractère ésotérique et « réservé » qu’il avait tout d’abord ; et ainsi le « redressement » n’était pas seulement bénéfique pour l’humanité occidental, ce qui est trop évident pour qu’il y ait lieu d’y insister, mais il était en même temps, comme l’est d’ailleurs nécessairement toute action « providentielle » intervenant dans le cours de l’histoire, en parfait accord avec les lois cycliques elles-mêmes ». « Il serait probablement impossible d’assigner une date précise à ce changement qui fit du Christianisme une religion au sens propre du mot et une forme traditionnelle s’adressant à tous indistinctement ; mais ce qui est certain en tout cas, c’est qu’il était déjà un fait accompli à l’époque de Constantin et du Concile de Nicée, de sorte que celui-ci n’eut qu’à le « sanctionner », si l’on peut dire, en inaugurant l’ère des formulations « dogmatiques » destinées à constituer une présentation purement exotérique de la doctrine. Cela ne pouvait d’ailleurs pas aller sans quelques inconvénients inévitables, car le fait d’enfermer ainsi la doctrine dans des formules nettement définies et limitées rendait beaucoup plus difficiles, même à ceux qui en étaient réellement capables, d’en pénétrer le sens profond ; de plus, les vérités d’ordre plus proprement ésotériques, qui étaient par leur nature même hors de la portée du plus grand nombre, ne pouvaient plus être présentées que comme des « mystères » au sens que ce mot a pris vulgairement, c’est à dire que, aux yeux du commun, elles ne devaient pas tarder à apparaître comme quelque chose qu’il était impossible de comprendre, voire même interdit de chercher à approfondir. Ces inconvénients n’étaient cependant pas tels qu’ils pussent s’opposer à la constitution du Christianisme en forme traditionnelle exotérique ou en empêcher la légitimité, étant donné l’immense avantage qui devait par ailleurs, ainsi 2 Il est bien entendu que, en parlant du monde occidental dans son ensemble, nous faisons exception pour une élite qui non seulement comprenait encore sa propre tradition au point de vue extérieur, mais qui, en outre, continuait de recevoir l’initiation aux mystères ; la tradition aurait pu ainsi se maintenir encore plus ou moins longtemps dans un milieu de plus en plus restreint, mais cela est en dehors de la question que nous envisageons présentement, puisque c’est de la généralité des Occidentaux qu’il s’agit et que c’est pour celle-ci que le Christianisme dut venir remplacer les anciennes formes traditionnelles au moment où elles se réduisaient pour elle à n’être plus que des « superstitions » au sens étymologique de ce mot (note de Guénon). que nous l’avons déjà dit, en résulter pour le monde occidental ; du reste, si le Christianisme comme tel cessait par là d’être initiatique, il restait encore la possibilité qu’il subsistât, à son intérieur, une initiation spécifiquement chrétienne pour l’élite qui ne pouvait s’en tenir au uploads/Societe et culture/ these-rene-guenon.pdf

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