Disponible en ligne à www.sciencedirect.com ScienceDirect Historia Mathematica
Disponible en ligne à www.sciencedirect.com ScienceDirect Historia Mathematica 41 (2014) 490–505 www.elsevier.com/locate/yhmat Récréations et mathématiques mondaines au XVIIIe siècle: le cas de Guyot Bruno Belhoste ∗, Denise Hazebrouck Disponible sur Internet le 19 juillet 2014 Résumé Dans cet article nous étudions l’ouvrage de récréations mathématiques le plus célèbre de la deuxième moitié du 18e siècle: les Nouvelles récréations de Guyot. Après avoir indiqué qui est l’auteur, un simple postier, et quelles sont les conditions dans lesquelles l’ouvrage a été publié, nous examinons quel est l’esprit qui l’anime et quel est le public visé. Le succès des Nouvelles récréations illustrent l’essor d’une forme de science mondaine, dont le but principal est d’étonner et d’amuser. Nous examinons ensuite comment les mathématiques s’inscrivent dans ce projet éditorial et analysons les caractères du répertoire des problèmes et des tours. Nous nous intéressons particulièrement aux problèmes de combinatoire proposés par Guyot, comme les anagrammes et surtout les mélanges de cartes, dont la lecture ont inspiré à Monge et à Gergonne de véritables travaux mathématiques. © 2014 Elsevier Inc. Tous droits réservés. Abstract In this paper, we study the most popular book of recreational mathematics published in the second half of the 18th century: The Nouvelles Récréations by Guyot. We indicate the motivations of the author, a simple postman, and the conditions which led him to write this book. We describe the spirit of the book and the public at which it aims. The success of the Nouvelles Récréations illustrates the rise of a science in polite society whose main goal is to amaze and amuse. Then, we examine the place of mathematics in this project and analyze the repertoire of problems and tricks. We focus on problems of combinatorics proposed by Guyot, like anagrams and card shuffles, which inspired some real mathematical work on the part of Monge and Gergonne. © 2014 Elsevier Inc. Tous droits réservés. MSC: 01A50; 00A08 Keywords: Guyot; Recreational mathematics; Card shuffling; 18th-century; Mathematics 1. Introduction En mars 1769 est annoncée dans le journal parisien L’Avant-coureur la parution prochaine d’un Nou- veau choix de récréations physiques et mathématiques. Le premier tome est sous presse et un prospectus * Auteur correspondant à: Institut d’histoire moderne et contemporaine, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, France. Adresse e-mail: bruno.belhoste@univ-paris1.fr (B. Belhoste). http://dx.doi.org/10.1016/j.hm.2014.06.006 0315-0860/© 2014 Elsevier Inc. Tous droits réservés. B. Belhoste, D. Hazebrouck / Historia Mathematica 41 (2014) 490–505 491 disponible chez l’auteur, un certain Guyot, rue Ticquetonne. Deux mois plus tard, une souscription est ou- verte auprès du libraire Gueffier, rue de la Harpe. La sortie du premier tome est prévue pour juin et les autres doivent suivre, de trois mois en trois mois. Les souscripteurs peuvent obtenir l’ouvrage avec les planches lavées et coloriées pour 24 livres, soit 9 livres payées immédiatement, 9 livres à la sortie du second volume et 6 livres à celle du troisième, le quatrième étant fourni gratis. Le prix hors souscription est fixé à 30 livres. Finalement l’ouvrage est publié sous le titre de Nouvelles récréations physiques et mathématiques, en ré- férence aux Récréations mathématiques et physiques de Jacques Ozanam (Guyot, 1769–1770). Le premier tome sur “les jeux de l’aimant” sort à la fin de l’été 1769, le second sur “les nombres” en octobre. Les deux derniers tomes, sur “les illusions de l’optique” et sur “les amusements des encres sympathiques, de l’air, de l’eau et du feu,” suivent en 1770. Les Nouvelles Récréations de Guyot suscitent aussitôt des réactions. Une jeune provinciale de Lyon exprime publiquement son dépit dans une lettre publique datée du 1er octobre 1769 (Rabiqueau, 1769). L’auteur y est jugé “un farceur inhabile, dont les récréations sont un choix de mauvaises pièces mal copiées, mal rendues, et dont toutes celles de sa composition sont d’une léthargie incurable, n’étant que des extraits des minutes des boulevards.” Cette prétendue lettre est l’œuvre d’un dénommé Charles Rabiqueau tenant cabinet de physique et de mécanique rue Saint-Jacques, qui s’indigne de voir un concurrent, “un envieux qui nous prend pour des sots, en comptant encore nous attirer à sa boutique,” abuser de sa “bonne place à la Grande poste [...] pour écraser les autres.” Mais, comme l’écrit Grimm, qui juge lui aussi sévèrement l’ouvrage, qualifié de “rapsodie misérable,” les amuseurs des boulevards “n’ont pas eu un curieux de moins depuis que M. Guyot a trahi leurs secrets,” car “tout est dans la manière de faire.” “M. Guyot aurait beau quitter son emploi à la poste et lever boutique sur le boulevard, personne n’irait voir ses tours.”1 Quoi qu’en aient dit Rabiqueau et Grimm, le succès des Nouvelles récréations est au rendez-vous. La première édition est traduite (ou adaptée) très rapidement en hollandais, en allemand et en anglais (Guyot, 1771–1775, 1772–1777, Hooper, 1774). L’ouvrage étant bientôt épuisé, Guyot lance une nouvelle édition corrigée et augmentée en 1772 (Guyot, 1772–1775). Il annonce qu’il publiera chaque année de trois en trois mois quatre parties (ou volumes) contenant les amusements les plus appréciés de son ouvrage “et tout ce qui dans l’intervalle de l’impression de chaque volume se découvrira de plus intéressant dans ce genre” (Guyot, 1772–1775, avertissement, VI). En fait, seule la première partie paraît en 1772 et les parties sui- vantes sont publiées en 1773, 1774 et 1775, à raison de seulement deux par an. L’ouvrage, relié en quatre tomes, s’arrête définitivement à la huitième partie. Quant au Supplément annoncé par Guyot, “lorsqu’on aura pu rassembler un assez grand nombre d’inventions nouvelles,” il ne sortira jamais.2 L’auteur publiera en revanche une troisième édition de son ouvrage en 1786, avec un retirage en 1799 (Guyot, 1786). Autre preuve du succès des Nouvelles récréations, le libraire Jombert confie au mathématicien Montucla le soin de préparer une édition entièrement refondue des Récréations d’Ozanam, rendues obsolètes par l’œuvre de Guyot. Le nouvel Ozanam paraît en 1778 (Ozanam, 1778). Enfin, sous la Révolution, Jacques Lacombe reprend fidèlement la matière des Nouvelles récréations dans son Dictionnaire encyclopédique des Amu- sements des Sciences Mathématiques et Physiques, qui sera la bible des prestidigitateurs en France dans la première moitié du XIXe siècle (Lacombe, 1792–1798). Les Nouvelles récréations accordent une large place à la physique. C’est d’ailleurs en révélant dans son premier volume les secrets du physicien-prestidigitateur Ledru, dit Comus, que Guyot a suscité d’abord l’intérêt du public.3 Pourtant, le livre mérite de retenir aussi l’attention pour les mathématiques, traitées principalement dans la partie “Sur les nombres.” C’est sur cet aspect des Nouvelles récréations que nous nous concentrerons ici, mais sans négliger l’ensemble, car c’est au vu de la totalité que l’on peut reconnaître l’originalité de sa contribution au domaine des mathématiques récréatives. Nous commencerons donc par 1 Grimm (1770, p. 444). 2 Annonce dans le Journal de politique et de littérature, tome 1, février 1776, pp. 217–218. 3 Sur Comus, voir Torlais (1953). 492 B. Belhoste, D. Hazebrouck / Historia Mathematica 41 (2014) 490–505 examiner qui est Guyot et quel est le public visé par son ouvrage. Nous examinerons ensuite comment les mathématiques s’inscrivent dans le projet de l’auteur, ce qui nous amènera à préciser ce que nous entendons par “mathématiques mondaines.” Enfin, nous nous intéresserons à quelques problèmes relatifs aux cartes, traités de manière très originale par Guyot et qui ont inspiré plus tard des travaux de combinatoire de Monge et Gergonne. Au cours de cette étude, nous laisserons en revanche de côté la géométrie, exposée en relation avec les illusions de l’optique, qui nous semble présenter moins d’intérêt pour notre sujet. 2. L’énigme Guyot Les bibliographes ont longtemps hésité sur l’identité de l’auteur des Nouvelles récréations physiques et mathématiques. Pour certains, il s’agirait d’Edme-Gilles Guyot (1706–1786), auteur par ailleurs d’un Dictionnaire des postes. Pour d’autres, de Guillaume-Germain Guyot (1724–1800), membre de la Société littéraire et militaire de Besançon. Cet irritant problème d’attribution est aujourd’hui résolu: l’auteur est bien le commis des postes Edme-Gilles Guyot, comme l’indique Grimm et comme le prouve indubita- blement son inventaire après décès dans lequel sont mentionnés de nombreux exemplaires non vendus de la dernière édition des Nouvelles récréations physiques et mathématiques.4 Pourtant, cette identification ne lève pas tous les mystères entourant l’auteur des Nouvelles récréations. Il reste en effet à comprendre comment celui-ci a été amené à publier un pareil ouvrage à l’âge de 63 ans. Guyot appartient à une famille de la bonne bourgeoisie parisienne, comptant des petits officiers royaux et des marchands. Son père est avocat au Parlement. On ne sait rien, en revanche, de sa formation, ni de la première moitié de sa vie. L’homme sort de l’ombre au début des années 1740. Il épouse en 1744 une demoiselle Desnielles, fille d’un maître chirurgien à l’Hôtel Dieu de Paris. Il est alors un petit employé à l’hôtel des postes à Paris, où il travaille dans le bureau des comptes. Très vite, on le voit se spécialiser dans le problème important des “déboursés,” dont dépendent étroitement les résultats financiers des postes. Il faut savoir qu’au XVIIIe siècle les lettres sont toujours envoyées en port dû: ce sont les destinataires qui paient, selon un tarif qui dépend du poids de la lettre uploads/s3/ re-cre-ations-et-mathe-matiques-mondaines-au-xviiie-sie-cle.pdf
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