GRANDE CHAMBRE AFFAIRE BLOKHIN c. RUSSIE (Requête no 47152/06) ARRÊT STRASBOURG
GRANDE CHAMBRE AFFAIRE BLOKHIN c. RUSSIE (Requête no 47152/06) ARRÊT STRASBOURG 23 mars 2016 Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme. ARRÊT BLOKHIN c. RUSSIE 1 En l’affaire Blokhin c. Russie, La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de : Guido Raimondi, président, Dean Spielmann, András Sajó, Işıl Karakaş, Josep Casadevall, Luis López Guerra, Mark Villiger, Boštjan M. Zupančič, Ján Šikuta, George Nicolaou, Ledi Bianku, Helen Keller, Aleš Pejchal, Valeriu Griţco, Dmitry Dedov, Robert Spano, Iulia Antoanella Motoc, juges, et de Lawrence Early, jurisconsulte, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 février 2015 et le 7 janvier 2016, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date : PROCÉDURE 1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47152/06) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Ivan Borisovich Blokhin (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er novembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Devant la Cour, le requérant a été représenté par Me I.V. Novikov, avocat à Novossibirsk. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. 3. Dans sa requête, le requérant alléguait notamment qu’il avait été détenu illégalement et dans des conditions inhumaines dans un centre pour mineurs délinquants et que son procès n’avait pas été équitable. 4. Le 29 septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. 2 ARRÊT BLOKHIN c. RUSSIE 5. Le 14 novembre 2013, une chambre de la première section composée de Isabelle Berro-Lefèvre, Khanlar Hajiyev, Mirjana Lazarova Trajkovska, Julia Laffranque, Erik Møse, Ksenija Turković et Dmitry Dedov, juges, ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section, a rendu un arrêt dans lequel, à l’unanimité, elle déclarait la requête partiellement recevable et concluait à la violation des articles 3, 5 § 1 et 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention. 6. Le 13 février 2014, le gouvernement défendeur a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu des articles 43 de la Convention et 73 du règlement de la Cour. Le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande le 24 mars 2014. 7. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. 8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites. Le 9 octobre 2014, après consultation des parties, le président de la Grande Chambre a décidé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience et a invité les parties à présenter des observations écrites complémentaires, ce qu’elles ont fait. Des observations ont par ailleurs été reçues du Centre pour la défense des personnes handicapées mentales (« le CDPHM ») et de la Ligue des droits de l’homme en République Tchèque (« la LIGA »), que le président de la Grande Chambre avait autorisés à intervenir dans la procédure (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement de la Cour). EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 9. Le requérant est né en 1992 et réside à Novossibirsk. A. Les antécédents et l’état de santé du requérant 10. À une date non précisée avant septembre 2004, les parents du requérant furent déchus de leur autorité parentale et celui-ci fut placé dans un orphelinat local avant d’être confié à son grand-père, qui avait été désigné tuteur de son petit-fils en octobre 2004. Cette tutelle fut révoquée le 28 février 2005, puis rétablie début 2006. 11. De 2002 à 2005, le requérant aurait commis des infractions réprimées par le code pénal de la Fédération de Russie, notamment des troubles à l’ordre public, des vols qualifiés et des extorsions, seul ou avec d’autres mineurs. N’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale, il ne fut pas poursuivi, mais fit l’objet de cinq enquêtes préliminaires et fut placé ARRÊT BLOKHIN c. RUSSIE 3 sous la surveillance du service des mineurs de la direction de l’Intérieur du district Sovetski de Novossibirsk (« le service des mineurs »). En outre, le 21 septembre 2004, à la suite de la quatrième enquête, il fut placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pour une durée de trente jours. 12. Le dossier médical du requérant indiquait que celui-ci souffrait d’un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention ((« THAD »), trouble mental et neurocomportemental caractérisé par de graves difficultés de concentration ou par un comportement hyperactif et impulsif, ou encore par une combinaison de ces deux éléments) et qu’il présentait une neurovessie à l’origine d’une énurésie (trouble induisant une incontinence urinaire). 13. Le 27 décembre 2004 et le 19 janvier 2005, le requérant fut examiné par un neurologue et par un psychiatre. On lui prescrivit un traitement pharmacologique, un suivi neurologique et psychiatrique ainsi qu’un accompagnement psychologique régulier. B. L’enquête préliminaire dirigée contre le requérant 14. Le 3 janvier 2005, le requérant, qui était alors âgé de douze ans, se trouvait au domicile de S., l’un de ses voisins, âgé de neuf ans, lorsque la mère de ce dernier, Mme S., appela la police. Celle-ci conduisit le requérant au commissariat du district Sovetski de Novossibirsk sans l’informer des raisons de son interpellation. 15. Le requérant affirme avoir été placé dans une cellule sans fenêtres où la lumière avait été éteinte, et avoir dû attendre près d’une heure dans l’obscurité avant d’être interrogé par un agent de police. Celui-ci lui aurait indiqué que S. l’avait accusé d’extorsion. Le policier l’aurait poussé à passer aux aveux, lui disant que s’il le faisait, il serait libéré sur-le-champ et que, sinon, il serait placé en garde à vue. L’intéressé aurait signé des aveux. Le policier aurait alors immédiatement téléphoné au grand-père du requérant, l’informant que son petit-fils se trouvait au commissariat et qu’il pouvait venir le chercher. À l’arrivée du grand-père au commissariat, le requérant se serait rétracté et aurait protesté de son innocence. 16. Le Gouvernement conteste la version des faits exposée par le requérant. Selon lui, l’intéressé avait été invité à s’« expliquer » sans pour autant subir un interrogatoire stricto sensu. L’entretien aurait été mené par un agent de police ayant reçu une formation en psychologie et l’intéressé aurait été informé de son droit de garder le silence. Le requérant n’aurait pas subi de pression ou d’intimidation, et son grand-père aurait été présent au cours de l’entretien. 17. Le même jour, le grand-père de l’intéressé rédigea une déposition, qu’il signa. Il y décrivait le caractère et le mode de vie de son petit-fils, indiquant qu’il avait surpris celui-ci deux jours plus tôt en possession d’une 4 ARRÊT BLOKHIN c. RUSSIE somme d’argent et que, à la question de savoir d’où elle provenait, le requérant lui avait répondu qu’il l’avait reçue de son père. 18. S. et sa mère furent également entendus par la police au sujet de l’incident. Ils déclarèrent qu’à deux occasions, le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005, le requérant avait extorqué 1 000 roubles (RUB) à S. en le menaçant de s’en prendre physiquement à lui s’il refusait de lui remettre l’argent. 19. Le 12 janvier 2005, le service des mineurs considéra qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites contre le requérant. Au vu des aveux de l’intéressé, de la déposition de S. et de celle de la mère de ce dernier, il jugea établi que le requérant avait extorqué de l’argent à S. le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005. Il en déduisit que l’élément matériel de l’infraction d’extorsion réprimée par l’article 163 du code pénal était constitué. Toutefois, après avoir relevé que le requérant n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, il conclut que l’intéressé ne pouvait être poursuivi pour les faits en question. 20. Le 3 février 2005, le grand-père du requérant porta plainte auprès du parquet du district Sovetski de Novossibirsk, affirmant que son petit-fils, un mineur atteint de troubles mentaux, avait subi des intimidations avant d’être interrogé hors la présence de son tuteur, et qu’il avait signé des aveux sous la contrainte. Il demanda que ces aveux fussent déclarés irrecevables en tant que preuve et que l’enquête préliminaire fût abandonnée pour absence de preuve, et non pour cause de minorité pénale. 21. Le 8 juin 2005, le parquet du district Sovetski de Novossibirsk annula la décision du 12 janvier 2005, estimant que l’enquête préliminaire était incomplète. Il ordonna l’ouverture d’une nouvelle enquête préliminaire. 22. Le 6 juillet 2005, le service des mineurs refusa derechef d’engager des poursuites contre le requérant, pour les mêmes raisons que précédemment. 23. Au cours des mois suivants, le grand-père du requérant adressa plusieurs plaintes à des parquets de différents degrés, demandant le réexamen de l’affaire de son petit-fils. Il alléguait que le uploads/S4/ blokhin-impotriva-rusiei-hotarare-cedo.pdf
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- Publié le Aoû 26, 2021
- Catégorie Law / Droit
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