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www.franco-british-law.org THE FRANCO BRITISH LAWYERS SOCIETY WITH THE SUPPORT OF THE CULTURAL DEPARTMENT OF THE FRENCH EMBASSSY DROIT ET LITTÉRATURE ________ Philippe MALAURIE Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) Thursday 15 June 2006 @ 19.30 hours l’Institut Français 2 En présentant aujourd’hui une réflexion sur les rapports entre le droit et la littérature, je me propose seulement de faire une ballade, une promenade sans prétentions ni rigueur. C’est un thème aujourd’hui assez souvent envisagé, beaucoup plus à l’étranger qu’en France, notamment en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis1. Parfois, pour démontrer une thèse, par exemple que la littérature –surtout le roman- serait une révolte contre le droit, dont elle dénoncerait l’injustice et l’hypocrisie. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent, Victor Hugo avec Les Misérables, Balzac, un peu partout, Dostoïevski, avec les Frères Karamasov, Dickens avec Pickwick ou Bleak-house, Kafka, avec Le Procès, et surtout Shakespeare, notamment avec son Kill all the lawyers2 ; slogan provocateur qui signifierait non que la littérature doit détruire le droit, mais le libérer de la caste des juristes qui l’ont asservi -les pontifes et les patriciens-, ce petit monde fermé sur lui-même, contre lequel le peuple romain s’était rebellé en 450 avant notre ère pour obtenir une loi claire, ce qui allait être la loi des XII tables. Ou bien Mesure pour mesure, qui démontrerait les perversités du droit quand il s’imprègne de morale, tragicomédie -réquisitoire contre le moralisme- qui est aussi une apologie de l’amour libre, de la liberté et de la grâce et qui annonce cinq siècles à l’avance les étranges et récents arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, affirmant le droit à « l’autonomie personnelle » et sur 1 Richard A. POSNER, Law and litterature, Harvard University Press, 1998; trad. fr. Ph. Jouary, Droit et littérature, PUF, 1996 ; Ian WARD, Law and Litterature, Possibilities and Perspectives, Cambridge University Press, 1995 ; Représentation du procès, droit, théâtre, littérature, cinéma, dir. Chr. Biet et L. Schifano, Université Paris X – Nanterre, 2003 ; Ph. MALAURIE, Droit et littérature, une anthologie, Cujas, 1997. 2 SHAKESPEARE, 2 Henri VI, Dick le boucher, IV, 2 ; cf. D.Y. KURSTEIN, Kill all the lawyers ? Shakespeare’s legal appeal, Princeton, 1996. 3 ce fondement condamnent les Etats qui entendent interdire le sadomasochisme même quand il a été consenti par sa victime3 ; ce qui reprend le mot de Molière faisant dire à la femme de Sganarelle « Et s’il me plaît à moi d’être battue », ce qui contredit la toute nouvelle loi française du 4 avril 2006 renforçant la répression des violences au sein du couple4. Grâce à la Cour européenne, les femmes battues n’auront donc pas à se plaindre lorsqu’elles y ont consenti ! Curieux destin de Shakespeare et de Molière quand ils sont joués à Strasbourg par la Cour européenne. La thèse de la révolte, pour répandue qu’elle soit, est contestable et son contraire est également vrai. La littérature n’est pas toujours une rébellion contre le droit et les juristes. Elle peut parfois les exalter, même chez les auteurs que je viens de citer. Shakespeare dénonce sans doute l’injustice des lois et du pouvoir dans Le Marchand de Venise, (dans un procès truqué) ou Mesure pour mesure (Angelo exerce une dictature de puritain totalitaire, passablement Tartuffe), mais Shakespeare exalte aussi le pouvoir militaire et même le pouvoir absolu dans ses tragédies historiques. Victor Hugo, s’il déteste les lois, croit au droit qui est un combat permanent (contre la peine de mort, pour les femmes mariées et les forçats libérés). Balzac dans Le Curé de village ou Le Médecin de campagne, croit au Droit, même le droit administratif, celui que l’on appelle aujourd’hui l’aménagement du territoire, rendant prospères des villages misérables et des terres en friches, gagnant la confiance paysanne et le pacifiant. Même Dostoïevski, qui ne croit pourtant guère à un droit juste et bon, fait vivre, dans Crime et châtiment, le juge Porphyre, admirable juge d’instruction qui amène Raskolnikov à avouer son crime ; il joue avec lui au chat et à la souris : « si vous partez, vous reviendrez, lui dit-il, vous ne sauriez vous passer de nous. Je suis même 3 CEDH, 17 février 2005, K.A. et A.D.c. Belgique ; cf. M. FABRE-MAGNAN, Le sadomasochisme n’est pas un droit de l’homme, D. 2005, Chr. 2973. 4 Circulaire d’application du ministre de la justice du 19 avril 2006. 4 persuadé que vous en viendrez à vouloir accepter la souffrance »5. Il a toutes les preuves pour le condamner, mais ne l’inculpe pas, lui laissant deux jours pour faire un aveu spontané qui lui vaudront les circonstances atténuantes et les immenses richesses du repentir. Il lui promet de ne pas le trahir s’il avoue, et tient parole. Dans Pickwick, Dickens dénonce sans doute la scélératesse légale du système judiciaire anglais et le corporatisme des gens de loi de son temps, cupides et hypocrites, des parasites malfaisants. Mais il y a une telle joie de vivre dans Pickwick ! Tous les romans de Dickens , pour tristes qu’ils soient, finissent toujours bien. Bienheureux Dickens ! Il croit en l’homme, en son âme et est donc convaincu que le bonheur l’emporte. De mes cinq prétendus témoins de la littérature inspiratrice de révolte contre le droit, il en est toutefois un dans lequel je ne peux trouver une foi quelconque envers le droit. Dans Kakfa tout est noir : un droit absurde, délirant, omnipotent, inintelligible : le témoin tragique de notre société tragique où se sont effondrées la raison et l’espérance. Non, je n’ai aucune thèse à proposer sur les relations du droit et de la littérature. Uniquement, le libre plaisir de lire, un plaisir plein de fantaisie, comme la littérature et non comme le droit, qui n’en a guère : une relation ni marxiste, ni freudienne, ni libérale, ni révolutionnaire. La littérature est tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt au dessus de la droite ou de la gauche, tantôt en dessous. Ni même m’attacher à une époque plus qu’à une autre, à la différence de Jean Carbonnier qui voyait dans le XVIIIème s., un siècle exceptionnel parce que « le désir de réformer le royaume fut si fort que la littérature juridique y devint spontanément une part essentielle de la littérature tout court »6. Les grands tragiques grecs, les romantiques ou même aujourd’hui Georges Bernanos dans les 5 DOSTOIEVSKI, Crime et châtiment, Pléiade, 1950, V.2, p. 521. 6 J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, PUF, Thémis, 27ème éd., 2002, n° 21, p. 61 5 Dialogues des Carmélites ont autant imprégné notre culture juridique que l’avaient fait les Lumières au XVIIIème s. Non, rien à démontrer : une simple ballade, toute primesautière et passablement subjective. Il y a de la littérature qui m’assomme, des auteurs que j’aime et quelques uns que j’adore. Il n’y aura donc rien, aujourd’hui de l’impartialité et de l’objectivité que l’on attend de la réflexion juridique. Rien qu’une promenade ; peut-être que, de temps à autre, ferons nous quelques découvertes ; par exemple, celle-ci, qui n’est pourtant pas nouvelle, que le droit est « une petite chose à la surface de nous même », comme l’intelligence7, que ses véritables sources sont ailleurs que dans lui-même, qu’elles ne sont pas seulement la loi, la jurisprudence, la pratique ou la coutume, qu’on ne comprend le droit qu’à partir de ce qu’il n’est pas ; il y a déjà quelques temps que l’on sait l’importance de l’influence du fait sur le droit (ce que disait déjà Bartole au XIVè s. « ex facto oritur jus »), de la sociologie du droit, de la psychanalyse, des mythes, des religions, de la culture, surtout de l’histoire d’une nation ; et peut-être, plus mystérieuse encore, de la vie intérieure avec le Roi Lear ou plus récemment avec les Dialogues des carmélites que l’opéra de Francis Poulenc a sublimés. * * * Il y a plusieurs manières d’envisager les rapports du droit et de la littérature, au moins quatre. 1) Le droit de la littérature, la responsabilité de l’écrivain –civile et pénale-, le droit de la presse, diffamations et injures (droit pénal) et droits de la personnalité (droit civil). 2) Le droit comme littérature, les qualités littéraires du droit ; ce que recherche le droit, ce n’est pas le charme ou la séduction des mots et du style qui, 7 M. BARRES, Mes cahiers, Plon. 6 dans la littérature est, comme le disait Chateaubriand, « sensible partout, présent nulle part »8 : ce dont le droit a besoin ce n’est pas de « style », d’élégance ou de beauté mais de clarté, de simplicité et d’intelligibilité ; ainsi, la combinaison entre le langage courant et le langage technique, le langage courant plus que le langage technique. Par exemple le merveilleux article 1109 C. civ. qui annonce la liste des vices du consentement : « Il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». Tous les uploads/S4/ droit-et-litterature.pdf

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  • Publié le Mai 17, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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