Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Les

Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Les origines de la loi de majesté à Rome Monsieur Jean-Louis Ferrary Citer ce document / Cite this document : Ferrary Jean-Louis. Les origines de la loi de majesté à Rome. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 127ᵉ année, N. 4, 1983. pp. 556-572; doi : 10.3406/crai.1983.14083 http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1983_num_127_4_14083 Document généré le 05/06/2016 556 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS COMMUNICATION LES ORIGINES DE LA LOI DE MAJESTÉ À ROME, PAR M. JEAN-LOUIS FERRARY La notion de lèse-majesté, d'atteinte à la majesté du souverain, remonte, on le sait, à la Rome impériale, et elle évoque immédiatement les heures sombres de certains règnes, à commencer par celui de Tibère : on pense à Tacite, déplorant d'avoir à énumérer d'incessantes accusations et de cruelles condamnations plutôt que de brillantes actions guerrières (Ann., 4, 32-33), et à Sénèque déjà, affirmant que les procès de majesté avaient causé plus de mal à la cité qu'aucune guerre civile (Ben., 3, 26). Mais la majesté du Prince n'avait fait que se substituer à celle du peuple. Le crime d'atteinte à la majesté du peuple romain appartenait déjà au droit pénal républicain, et la première loi de majesté de l'histoire de Rome, en 103 ou en 100 av. J.-C, eut pour auteur C. Appuleius Saturninus, l'un des grands tribuns populares successeurs des Gracques. C'est la signification de cette loi, et l'affrontement dans les années qui suivirent de deux conceptions bien différentes de la majesté du peuple romain, que nous nous proposons d'étudier dans cette communication. A vrai dire, cette notion de maiestas populi Romani était familière aux Romains bien avant la loi de Saturninus. Certains traités contenaient une clause ordonnant au partenaire des Romains de « respecter (le pouvoir et) la majesté du peuple romain »x, et le formulaire des jeux séculaires augustéens n'innovait certainement pas lorsqu'il priait les dieux d' « augmenter le pouvoir et la majesté du peuple romain des Quirites, en guerre comme en paix »2. La première célébration publique des jeux séculaires remonte au moins à 249 et c'est du milieu du me siècle que, pour d'autres raisons, M. Gundel date l'apparition de la maiestas populi Romani3 ; nous inclinerions plutôt à ne voir en cette date qu'un terminus ante quem. Un certain nombre de textes semblent même attester l'existence avant 103 de procès de majesté : ceux de Claudia en 246, pour avoir publiquement souhaité qu'une nouvelle défaite rende la foule moins 1. Cic, Balb., 16, 35 ; Liv., 38, 11, 2 ; Proculus ap. D., 49, 15, 7, 1. 2. CIL VI, 32323, 11. 93-94 et 126-127. 3. H. Gundel, « Der Begriff Maiestas im politischen Denken der rômischen Republik », Historia, 12, 1963, p. 318-319. ORIGINES DE LA LOI DE MAJESTÉ 557 dense dans les rues de Rome (Suet., Tib., 2, 7) ; du père de Flaminius (tr. pi. en 232), pour avoir empêché son fils de faire voter une loi agraire réprouvée par le Sénat (Cic, inu., 2, 52) ; de L. Flamininus (consul en 192), pour avoir à la demande d'une courtisane exécuté de sa main un condamné au cours d'un banquet (Sen., Contr., 9, 2) ; de C. Plautius (préteur en 146), pour avoir été défait par Viriathe (Diod., 33, 2) ; de C. Popilius enfin (légat en 107) pour avoir conclu avec les Gaulois Tigurins une convention déshonorante (Rhet. Her., 1, 25, cf. Cic, inu., 2, 72). Selon Suétone, Claudia aurait été poursuivie « devant le peuple » (iudicium maiestatis apud populum), alors que Saturninus créa une quaestio, c'est-à-dire un tribunal composé de jurés, qui furent recrutés parmi les chevaliers. Sa loi n'aurait-elle donc introduit pratiquement qu'une procédure nouvelle ? L'auteur du plus récent ouvrage consacré au crime de majesté sous la République et le Principat augustéen, M. Bauman, n'est pas loin de le penser : par opposition au crime de perduellio (étymologi- quement, le fait de se conduire en ennemi de la cité), justiciable d'un procès capital intenté devant le peuple, le crime de majesté aurait été justiciable de procédures non capitales (puisque Claudia ne fut condamnée qu'à une lourde amende), devant le peuple d'abord, puis devant la quaestio*. Cette théorie nous paraît irrecevable, car dès la loi de Saturninus le crime de majesté jugé par la quaestio était un crime capital (Cic, de or., 2, 199 : fraus capitalis). Il faut en réalité considérer avec beaucoup de circonspection ces prétendus procès de majesté antérieurs à l'existence de la quaestio. Celui de L. Flamininus est un sujet de déclamation sans réalité historique, le consul de 192 ayant seulement été chassé du Sénat sous la censure de Caton5. L'anecdote concernant le père de Flaminius nous paraît elle aussi d'une historicité douteuse6. Restent les procès de Claudia, de Plautius et de Popilius. Mais Suétone est le seul à parler d'une accusation de Claudia pour maiesias : Valère- Maxime, la periocha de Tite-Live et surtout Aulu-Gelle, qui suit le grand juriste augustéen C. Ateius Capito, ne disent rien de tel7. Quant à Popilius, nous savons par Cicéron qu'il fut en réalité soumis à un procès capital de perduellio6, ce qui crée une nouvelle difficulté 4. R. Bauman, The Crimen Maiestatis in the Roman Republic and Augustan Principale, Johannesburg, 1967, p. 16-33. 5. P. Fraccaro, Opuscula, II, Pavie, 1957, p. 426-433. 6. Cf. les doutes de Mommsen, Droit pénal romain, II, p. 235, n. 1. L'anecdote se trouve également chez Val. Max. (5, 4, 5), sans qu'il soit question d'une mise en accusation du père de Flaminius. Cicéron (dans le de inu.) et Val. Max. donnent l'impression que la loi agraire ne put être votée, alors que nous savons bien qu'elle le fut. 7. Gell., 10, 6, 2-4 (= Capito, fr. 6 Strzelecki) ; Val. Max., 8, 1 damn., 4 ; Liv., per. 19. Cf. J. Suolahti, Arctos, 11, 1977, p. 139-144. 8. Cic, Leg., 3, 16, 36. 558 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS pour la thèse de M. Bauman. Les textes évoquant des procès de majesté antérieurs à 103 furent tous écrits en un temps où la quaestio de maiestate existait, et où les crimes dont ils parlaient auraient pu être jugés par elle9. Il est probable dans ces conditions que la mention de procès de majesté y est tout simplement anachronique. Pas plus qu'il ne fut le créateur de la notion de maiestas populi Romani, Saturninus n'inventa probablement la formule maiestatem populi Romani imminuere qui figurait dans sa loi. Mais il n'introduisit pas non plus une simple réforme de procédure. L'atteinte portée à la majesté du peuple romain avait pu être un argument utilisé dans des procès intentés devant le peuple, qu'il s'agît d'ailleurs de procès capitaux ou de procès en amende ; mais rien de plus, car la tâche du magistrat accusateur, dans ce type de procès, était seulement de montrer que l'accusé méritait la peine requise contre lui10. Tout autre est le cas des quaestiones, tribunaux institués par des lois qui délimitaient leurs compétences en définissant le ou les crimes dont ils auraient à connaître. L'atteinte à la majesté du peuple romain n'était plus désormais un simple argument dans un acte d'accusation ; elle devenait le crime dont il fallait établir s'il avait ou non été commis : ex quo uerbo lege Appuleia tota causa pendebat (Cic, de or., 2, 107). La notion de majesté prit nécessairement de ce fait une importance nouvelle dans le droit pénal et la vie politique de Rome. La loi de Saturninus eut bien de ce point de vue un rôle décisif, et son importance ne saurait être sous-estimée. Encore faut-il en préciser le sens, et déterminer les raisons qui amenèrent le tribun à introduire ce nouveau tribunal. On a souvent considéré la loi de majesté comme une réaction aux échecs que venaient de subir les armées romaines, et dont le plus grave fut en 105 la défaite de Q. Servilius Caepio et de Cn. Mallius Maximus devant les Cimbres à Orange (Arausio). Consul en 106, Caepio avait fait voter une loi qui brisait le monopole de la judica- ture exercé par l'ordre équestre en réintroduisant les sénateurs dans les jurys ; mais il fut l'année suivante, par son refus de collaborer avec le consul Cn. Mallius, le principal responsable du désastre subi devant les Cimbres. L'heure de la revanche sonna alors pour les ennemis du Sénat. En 105, Caepio fut immédiatement privé de son commandement ; en 104, la loi Cassia le chassa du Sénat ; en 103 enfin, Caepio et Mallius furent mis en accusation et contraints à l'exil. C'est en 105 ou en 103, alors qu'il saisissait le peuple d'une 9. Les plus anciens (Rhet. Her. et Cic, de inu.) datent des années 80. Le texte de Diodore appartenant au livre 33, la source n'en est pas Polybe, mais peut- être Posidonius et à travers lui Rutilius Rufus : nous retrouverions là encore un texte écrit à la fin des années 90 ou dans les années 80. 10. Cf. Chr. uploads/S4/ ferrary-les-origines-de-la-loi-de-majeste-a-rome.pdf

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  • Publié le Dec 08, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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