1 LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES ET LE CONTENTIEUX DE L’ENVIRONNEMENT El Hadj

1 LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES ET LE CONTENTIEUX DE L’ENVIRONNEMENT El Hadji Omar Diop Docteur en droit de l’Université Montesquieu de Bordeaux et Enseignant-chercheur à la faculté des sciences juridiques et politiques à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar E-mail : malbimalado@gmail.com Aujourd’hui, les juridictions internationales semblent de plus en plus gagner par la fièvre environnementaliste. En effet, dans son avis sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour internationale de justice (CIJ) déclare que : « l'environnement n'est pas une abstraction, mais bien l'espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et de leur santé, y compris pour les générations à venir. L'obligation générale qu'ont les Etats de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l'environnement dans d'autres Etats ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de l'environnement »1. Dans sa décision rendue un an plus tard dans l’affaire Gabcikovo Nagymaros, la Cour internationale de justice rappellera qu' « elle a récemment eu l'occasion de souligner dans les termes suivants toute l'importance que le respect de l'environnement revêt à son avis, non seulement pour les Etats mais aussi pour l'ensemble du genre humain »2. Ces deux positions de la juridiction internationale permanente montrent que les enjeux de l’environnement ont gagné la sphère des relations internationales3. A l’époque contemporaine, la protection et la préservation de l’environnement sont devenues une préoccupation mondiale. Les questions environnementales relatives aux conséquences liées à l’effet de serre, à la couche d’ozone, à la pollution atmosphérique, aux risques liées aux catastrophes nucléaires, à la montée des eaux, à l'appauvrissement de la diversité biologique ou encore à la désertification, etc. interpellent la communauté internationale dans son ensemble. A cet égard, de multiples sommets et rencontres internationaux sont consacrés à l’environnement. Ainsi, les Sommets de Stockholm4, de Rio5, de Tokyo, de Johannesburg6, de New York, ou celui de Paris7 ont été l’occasion pour les Etats d’adopter des normes internationales pour encadrer leurs actions dans ce domaine. Il y a lieu de rappeler qu’au début du XXe siècle, quelques aspects de la protection de l'environnement étaient affirmés par certains instruments internationaux notamment, dans les domaines de la conservation des espèces et de la réglementation des activités de pêche et de 1 CIJ, Licité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif; C.I.J. Recueil 1996, p. 241-242, par. 29. 2 CIJ, affaire Gabcikovo Nagymaros, arrêt du 25 septembre 1997, Recueil 1997, p. 3, para. 53.. 3 SFDI, Colloque d’Aix-en-Provence, Le droit international face aux enjeux de l’environnement, Paris, éditions Pedone, 2010, 488 p. 4 A-C. Kiss, J-D. Sicault, « La Conférence des Nations Unies sur l'environnement (Stockholm, 5/16 juin 1972) », in, Annuaire français de droit international, volume 18, 1972. pp. 603-628. 5 A-C. Kiss et S. Doumbé-Billé, « Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro-juin 1992), », Annuaire français de droit international (AFDI), volume 38, 1992, pp. 823-843. 6 Le 4 septembre 2002 s’est ouvert à Johannesburg le Sommet mondial pour le développement durable. 7 L. Boisson de Chazournes, « Regards sur l'Accord de Paris - Un accord qui bâtit le futur », in Torre-Schaub, M. & Delmas-Marty M. Bilan et perspectives de l'Accord de Paris (COP 21) - Regards croisés. Paris : IRJS Editions, 2017. p. 97-106. 2 chasse8. Toutefois, ces conventions répondaient principalement au souci de protéger des sites naturels ou de gérer de façon rationnelle l'exploitation de certaines espèces (convention de Londres du 8 novembre 1933 relative à la conservation de la faune et de la flore à l’état naturel), et de manière encore marginale, à celui de lutter contre la disparition des espèces, en en protégeant les habitats voire même les écosystèmes dont elles sont une composante (convention de Paris du 19 mars 1902 sur la protection des oiseaux utiles à l’agriculture)9. L’importance des questions environnementales dans la société internationale reflète aussi la montée en puissance du juge international10. En effet, les litiges environnementaux gagnent de plus en plus de l’intérêt et occupent largement le prétoire des juridictions internationales. Ainsi l’application de ces instruments juridiques internationaux liés à la protection de l’environnement peut entrainer des contentieux mettant en cause les Etats, les navires battant pavillon étranger ou des entreprises multinationales…. Dans ce contexte, les juridictions internationales sont appelées à trancher les litiges de nature environnementale. D’où l’acuité du sujet : « Les juridictions internationales et le contentieux de l’environnement ». Pour donner plus de clarté aux développements qui vont suivre, il importe de définir les termes du sujet faisant l’objet de la présente réflexion. D’abord, selon les rédacteurs du Dictionnaire de droit international, la juridiction internationale renvoie d’une part, à l’institution investie du pouvoir de juger, c’est-à-dire de trancher des litiges entre Etats par décision obligatoire qu’il s’agisse d’un organe arbitral ou judiciaire ou de tout autre organisme disposant de pouvoirs juridictionnels. D’autre part, la juridiction internationale désigne l’institution permanente, préconstituée par un acte international qui en définit la compétence et en règle l’organisation et le fonctionnement, avec une compétence déterminée de façon abstraite par référence à des catégories de différends11. La doctrine a aussi tenté de cerner la notion de juridiction internationale. Certains auteurs en ont une conception finaliste. A cet effet, la juridiction internationale est présentée comme le critère décisif d’un ordre juridique international. Le droit apparaît comme un système de règles justiciables et le droit international demeure un système de règles à justiciabilité minimale12. De même, la juridiction internationale est ainsi devenue un instrument de progrès du droit international. Elle tente aussi de concilier la primauté du droit et de la souveraineté de l’Etat et, en dernière instance, favorise le développement du droit international13. Carlo Santulli propose une définition plus élaborée : « Le concept de « juridiction » suppose la réunion des trois éléments classiques d’identification : le différend, l’application du droit et le caractère obligatoire de la décision. Une juridiction met fin à un différend par une décision obligatoire rendue en application du droit. Le caractère contentieux (i.e. l’exigence d’un différend) correspond à un souci d’économie qui a réservé le procès au cas où il y a effectivement un litige. La condition d’application du droit précise la mission de la juridiction, qui doit s’en tenir au droit tel qu’il est : elle ne peut ni statuer en équité, ni légiférer. Quant au caractère obligatoire de la décision, elle se traduit parce que l’on nomme 8 L. Boisson De Chazournes, « Chapitre 15 - Droit de l'environnement », in, D. Alland, Droit international public. 1999. p. 727. 9 Ibide, p. 727. 10 O. Lecucq et S. Maljean-Dubois, Le rôle du juge dans le développement du droit de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 2008, 371 p. 11 Dictionnaire de droit international public, sous la direction de Jean Salmon, Préface de Gilbert Guillaume, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 628. 12 Ch. Leben, « La juridiction internationale », Droits n° 9, 1989, pp. 144-146. 13 Ibide, pp. 150-153. 3 l’ « autorité de chose jugée », caractéristique de la décision juridictionnelle : la juridiction ne propose pas une décision, elle décide »14. Sur la base de ces prémices, la juridiction internationale peut avoir sa source dans un accord international. Elle dispose d’un caractère éphémère parce que crée pour régler une situation précise (Tribunal spécial pour le Liban, Tribunal Spécial pour le Rwanda, Tribunal spécial l’ex- Yougoslavie). Cela renvoie aussi aux Chambres africaines extraordinaires créées à l’effet de juger l’ex- Président du Tchad, Hussein Habré15. Les juridictions internationales peuvent avoir, et c’est souvent le cas, un caractère permanent. C’est ainsi que la Cour internationale de justice, le Tribunal international du droit de la Mer, la Cour pénale internationale… ont un caractère international et permanent. De manière extensive, la juridiction internationale peut englober les juridictions régionales16 (Cour de justice de l’Union Européenne, CJUE) ou sous régionales comme la Cour de justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la Cour de justice de l’Union Monétaire Ouest-africaines (UEMOA)17 ou encore la Cour de Justice de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC)18. Elle concerne également les juridictions internationales de protection des droits de l’homme à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)19, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) ou de la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP20). Les juridictions supranationales à caractère régional ou sous- régional spécialisées dans la protection des droits de l’homme sont aussi visées21. Cette conception extensive de la notion de juridiction internationale correspond à celle défendue par Sandrine Maljean Dubois selon laquelle : « « Le » juge international est en réalité plusieurs. Certaines juridictions internationales concernent, au moins potentiellement tous les Etats (Cour internationale de justice), d'autres seulement certaines régions, ou certains groupes d’Etat (Cour Européenne des droits de l’homme). Certaines juridictions ont une compétence générale (Cour internationale de justice), d’autres sectorielles (comme…les droits de l’homme pour les uploads/S4/ juridictions-internationales-et-contentieux-de-lenvirronnement.pdf

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  • Publié le Dec 24, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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