À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU – Commentaire traductologique – D'ailleurs on com

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU – Commentaire traductologique – D'ailleurs on commençait à éteindre partout. Sous les arbres des boulevards, dans une obscurité mystérieuse, les passants plus rares erraient, à peine reconnaissables. Parfois l'ombre d'une femme qui s'approchait de lui, lui murmurant un mot à l'oreille, lui demandant de la ramener, fit tressaillir Swann. Il frôlait anxieusement tous ces corps obscurs comme si parmi les fantômes des morts, dans le royaume sombre, il eût cherché Eurydice. De tous les modes de production de l'amour, de tous les agents de dissémination du mal sacré, il est bien l'un des plus efficaces, ce grand souffle d'agitation qui parfois passe sur nous. Alors l'être avec qui nous nous plaisons à ce moment-là, le sort en est jeté, c'est lui que nous aimerons. Il n'est même pas besoin qu'il nous plût jusque-là plus ou même autant que d'autres. Ce qu'il fallait, c'est que notre goût pour lui devînt exclusif. Et cette condition-là est réalisée quand – à ce moment où il nous a fait défaut – à la recherche des plaisirs que son agrément nous donnait, s'est brusquement substitué en nous un besoin anxieux qui a pour objet cet être même, un besoin absurde que les lois de ce monde rendent impossible à satisfaire et difficile à guérir – le besoin insensé et douloureux de le posséder. (Marcel Proust – A la recherche du temps perdu)1 De altfel, începeau să se stingă luminile pretutindeni. Pe sub copacii de pe bulevarde, într-o obscuritate plină de mister, trecătorii treceau tot mai rari, abia identificabili. Din când în când, umbra câte unei femei, care se apropia de el, şoptindu-i un cuvânt la ureche, cerându-i s-o conducă până acasă, făcu pe Swann să tresară. El se ştergea neliniştit pe lângă toate aceste trupuri obscure ca şi cum, printre fantomele morţilor, în sumbrul regat, ar fi căutat pe Euridice. Dintre toate modurile de a provoca dragostea, dintre toţi factorii de răspândire a acestui flagel blestemat, marele suflu de agitaţie, care trece câteodată peste noi, este desigur unul dintre cele mai eficace. Atunci, zarurile sorţii au căzut, fiinţa cu care ne simţim bine alături în acel moment, pe ea o vom iubi. Nici nu e nevoie să ne fi plăcut până atunci mai mult decât altele sau tot atât. Era nevoie numai ca gustul pentru ea să devină exclusiv. Şi această condiţie s-a şi realizat, dacă – în acel moment cînd ea ne-a lipsit – căutării de plăceri pe care ni le da drăgălăşenia ei, i s-a subtituit brusc în noi o nevoie anxioasă, care are drept cauză chiar această fiinţă, nevoie absurdă, pe care legile vieţii o fac imposibil de satisfăcut şi greu de vindecat – nevoia nebunească şi dureroasă de a o poseda. (Marcel Proust – În căutarea timpului pierdut)2 1 Proust, Marcel, A la recherche du temps perdu, consulté à l’adresse internet http://alarecherchedutempsperdu.com/texte.html, dernière date d’accès : le 4 février 2011 2 Proust, Marcel, În căutarea timpului pierdut, vol.1: În partea dinspre Swann/ Traducător: Vladimir Streinu, Editura pentru Literatură Universală, 1968 1 De altfel, luminile începeau să se stingă pretutindeni. Pe sub copacii de pe bulevarde, într-un întuneric misterios, trecătorii tot mai rari rătăceau ici-acolo, siluete nedesluşite. Uneori, umbra unei femei care se apropia de el, şoptindu-i un cuvânt la ureche cerându-i să o conducă acasă, îl făcea pe Swann să tresară. Se atingea neliniştit de toate aceste trupuri obscure, ca şi cum, printre fantomele morţilor, în împărăţia întunecată, ar fi căutat-o pe Euridice. Dintre toate modurile de producere a iubirii, dintre toţi agenţii de diseminare a răului sacru, unul este printre cele mai eficace: acel mare suflu zbuciumat ce trece uneori peste noi. Atunci soarta noastră este pecetluită, şi vom iubi fiinţa cu care ne simţim bine în acea clipă. Nici măcar nu e nevoie să ne fi plăcut până atunci sau chiar să ne fi plăcut la fel de mult ca altele. Trebuie doar ca înclinaţia noastră pentru ea să devină exclusivă. Şi această condiţie este realizată când – în clipa când ne-a lipsit – căutarea plăcerilor pe care le aveam în preajma ei a fost înlocuită dintr-o dată în noi de o nevoie neliniştită, având drept obiect chiar acea fiinţă, nevoie absurdă, cu neputinţă de satisfăcut şi greu de vindecat după legile acestei lumi – nevoia nebunească şi dureroasă de a o poseda. (Marcel Proust – În căutarea timpului pierdut)3 Dans la traduction de la première proposition, « D'ailleurs on commençait à éteindre partout », V. Streinu a choisi de préserver l’ordre des mots de la phrase française, ce qui a donné en roumain une formulation un peu maladroite, vu que la syntaxe roumaine favorise la présence du sujet, non pas celle du verbe, en tête de phrase. En revanche, Irina Mavrodin a commencé justement par le sujet, ce qui est tout à fait justifié car cette modification ne change de rien le sens de la phrase. « Sous les arbres des boulevards, dans une obscurité mystérieuse, les passants plus rares erraient, à peine reconnaissables ». Le syntagme « obscurité mystérieuse » a été traduit par Streinu comme « obscuritate plină de mister », tandis que Mavrodin a proposé la variante « întuneric misterios ». Le choix de Streinu de traduire « obscurité » par « obscuritate » est très approprié dans ce contexte, car, en roumain, ce mot peut avoir plusieurs interprétations, se référant tant au noir de la nuit qu’à l’idée de mystère. Par conséquent, la traduction de Mavrodin, « întuneric » semble être un peu restrictive, parce que les connotations de ce mot ne sont pas aussi riches que celles de « obscuritate ». A travers l’expression « plină de mister », Streinu a très bien saisi l’idée du mystère qui enveloppait l’obscurité, mais la variante de Mavrodin, « întuneric misterios », est plus lyrique. En effet, le texte original laisse à entendre que l’obscurité pourrait être perçue comme une présence presque physique, car plus tard dans le texte on décrit le sentiment qu’éprouve Swann lorsqu’il aperçoit l’ombre d’une femme qui s’approche de lui. C’est comme si l’obscurité donnait naissance à d’autres petits morceaux d’obscurité (les ombres ou encore les « corps obscurs ») qui s’identifiaient à elle parce que « (…) dans une obscurité mystérieuse, les passants plus rares erraient, à peine reconnaissables ». C’est pourquoi la variante de Mavrodin, qui personnifie en quelque sorte l’obscurité, aboutit à mieux transmettre ce sentiment. Je considère que la traduction la plus adéquate de « obscurité mystérieuse » serait une combinaison des deux traductions déjà proposées, à savoir « obscuritate misterioasă ». La séquence suivante « les passants plus rares erraient, à peine reconnaissables » a été traduite par Streinu comme « trecătorii treceau tot mai rari, abia identificabili ». Cette traduction ne 3 Proust, Marcel, În căutarea timpului pierdut, vol.1: Swann/ Traducător: Irina Mavrodin, editura Univers, 1987 respecte pas le sens du texte original parce qu’elle perd l’idée d’errance et fait défaut de musicalité interne à cause du mot « identificabili ». La variante que Mavrodin propose, à savoir « trecătorii tot mai rari rătăceau ici-acolo, siluete nedesluşite », transmet très bien l’idée d’errance et celle des passants « à peine reconnaissables », mais ne réussit pas à garder la même musicalité de l’original à cause de l’ordre des mots employé. J’oserais dire que la phrase « trecătorii tot mai rari, siluete nedesluşite, rătăceau ici-acolo. » est plus fluide en roumain et, de cette manière, plus fidèle de tous les points de vue au texte de Proust. Streinu a traduit la phrase « Parfois l'ombre d'une femme qui s'approchait de lui, lui murmurant un mot à l'oreille, lui demandant de la ramener, fit tressaillir Swann » comme « Din când în când, umbra câte unei femei, care se apropia de el, şoptindu-i un cuvânt la ureche, cerându-i s-o conducă până acasă, făcu pe Swann să tresară. ». Le problème est que Streinu a décidé de préserver en roumain le passé simple du verbe « faire ». En français, le passé simple est, par excellence, le temps de la narration. Dans ce fragment dont fait partie la phrase mentionnée on a affaire à une séquence descriptive qui ne réclame pas de manière impérative l’utilisation du passé simple; par conséquent, sa présence ici pourrait paraître assez surprenante. Pourtant, elle est justifiée car, grâce au passé simple, on fait la transition vers une très courte séquence narrative. Streinu a choisi de garder en roumain ce découpage des séquences, mais le résultat n’est pas satisfaisant parce que l’on a l’impression d’une rupture dans la logique interne du texte. Cette impression est, à son tour, tout à fait justifiée parce que le fragment en question décrit un processus en son entier, non pas une série d’événements. D’ailleurs, le seul événement qui survient est le tressaillement de Swann, et on pourrait considérer que la séquence descriptive a pour but de préparer le terrain pour l’avènement de celui-ci. Le tressaillement de Swann n’est qu’une partie de ce processus qui se déroule sous les yeux du lecteur. Mavrodin a uploads/Litterature/ a-la-recherche-du-temps-perdu.pdf

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