“Amore, salute lucente” Essai sur l’amour Abstract. This paper presents a pheno
“Amore, salute lucente” Essai sur l’amour Abstract. This paper presents a phenomenological analysis of some structural features of personal love, as a privileged way of spiritual and personal knowledge. A Major Adventure is described, in the form of an interpretation of Dante’s Vita nuova ; a Minor or Everyday Adventure is subsequently dealt with, presenting an outline of a theory of personal love as the only cognitive fulfilment(Erfüllung) of our standard belief in the uniqueness of persons, or Essential Individualities. Résumé. L’article présente une analyse phénoménologique de plusieurs traits structurels de l’amour personnel, comme une voie privilégiée de connaissance spirituelle et personnelle. Une Aventure Majeure est décrite sou la forme d’une interprétation de la Vita nuova de Dante ; une Aventure Mineure ou quotidienne est prise en considération ensuite, avec l’esquisse d’une théorie de l’amour personnel comme le seul remplissement (Erfüllung) cognitif de notre croyance habituelle dans l’unicité des personnes, ou dans des Individualités essentielles. « Io non so parlar d’amore » - c’est le couplet attendu d’une des nouvelles chansons du vieux chansonnier italien, Adriano Celentano. Un petit leitmotiv entraînant et qui traîne, éperdument sentimental jusque dans son ironie enrouée et oublieuse, tendrement troisième âge. – Moi non plus, « Io non so parlar d’amore ». D’autant moins sais-je en parler dans une langue où l’on peut indifféremment aimer les fruits de mer et F. Schubert, les jeux vidéo et sa tante, le chapeau de sa tante et le Général De Gaulle, les randonnées en montagne et sa fiancée. Peut-être bien peut-on impunément « aimer » tant de choses disparates dans toutes les langues ; pourtant dans celle-ci, le plus célèbre des philosophes dont elle fut la langue maternelle n’a pas hésité un seul moment à consacrer une telle variété d’amours sous un seul concept, comme si vraiment une unique idée claire et distincte resplendissait à travers cette foisonnante pluralité. Je cite Descartes, Article 82 des Passions de l’âme: « Il n’est pas besoin de distinguer autant d’espèces d’amour qu’il y a de divers objets qu’on peut aimer. Car, par exemple, encore que les passions qu’un ambitieux a pour la gloire, un avaricieux pour l’argent, un ivrogne pour le vin, un brutal pour une femme qu’il veut violer, un homme d’honneur pour son ami ou pour sa maîtresse et un bon père pour ses enfants soient bien différentes entre elles, toutefois, en ce qu’elles participent de l’amour, elles sont semblables. » « Io non so parlar d’amore » dans un sens aussi vaste et ouvert. Je me limiterai ici à une petite phénoménologie des amours personnelles et électives, qui ont pour objet des personnes rencontrées en dehors des liens d’étroite parenté, ou plus généralement des personnes qu’on aurait pu ne pas rencontrer, ou alors dont on peut au moins choisir si on veut continuer de les fréquenter une fois rencontrées. J’exclurai donc de mon attention le vin de l’ivrogne et la gloire de l’ambitieux, mais aussi les enfants du bon père. En revanche je ne ferai pas trop de distinctions entre deux choses que la belle tradition rhétorique de cette langue garde bien distinctes, à savoir l’amour d’amitié et l’amour passion. Peut-être est-ce la meilleure façon de tomber de Charybde en Scylla. Car j’allais ajouter immédiatement : deuxièmement, je me refuserai à parler d’amour et de mort à la fois. Mais ma délimitation de l’objet possible frise tout de suite l’objet interdit. Les amants meurent souvent l’un de l’autre, ou l’un dans l’autre, et les amis l’un pour l’autre. On ne peut pas parler d’amants et d’amis sans être guetté par les ombres de Tristan et Iseult, ou d’Oreste et Pylade. Et pourtant j’essaierai de me passer des ombres – nous sommes après tout dans le doux Pays Romand de Denis de Rougemont, qui semble tellement à l’aise en prônant sa saine disjonction de l’amitié, d’excellence et conjugale, de la passion mortelle de l’Occident. Il y a assez de mort autour de nous et qui sait, peut-être en nous, pour qu’il soit sage de prendre congé de la mort au moment où l’occasion gaie et légère s’offrirait de parler d’amour, cette chose en laquelle tout le monde trouve une source de vie. Et même une panacée, un remède, une source de bien-être. Mais – ici je commence à entrer dans le vif du sujet – nous savons tous qu’il s’agit d’une source tout particulière, qui apporte la chaleur du bien dans la mesure seulement où elle apporte également la lumière, la splendeur du beau. C’est le premier phénomène qui frappe dès qu’on est saisi par cette sorte d’amour : le bien qu’il fait n’est pas séparable du beau qu’il laisse entrevoir, de sorte que dès le début la réflexion philosophique se prend dans le nœud difficile qu’est le rapport du Bien et du Beau, ou l’expérience contradictoire des deux. Peut- être est-ce bien là le sujet principal du Banquet de Platon, d’ailleurs. En tout cas, c’est ce que les premiers balbutiements de la poésie lyrique grecque ne manquent pas de remarquer : Il me paraît semblable aux dieux L’homme bienheureux qui est assis devant toi Qui entend de près tes mots Bien doux, et ton rire amoureux. Soudain mon cœur est saisi d’effroi Dans ma poitrine : si je te vois Un seul instant, ma voix tout de suite S’éteint… Il s’agit là du plus célèbre des fragments de Sappho… Ici, notre Chose s’annonce. C’est de cette annonce ou de ce début dont nous voulons d’abord nous occuper. Cette apparition soudaine et toujours quelque peu miraculeuse de quelque chose que l’on appelle amour, mais qu’il faudrait distinguer de toute autre espèce d’amour par l’importance que le début y joue. Qu’il y ait un début, où s’annonce quelque chose de bien surprenant, de merveilleux et même d’effrayant, c’est cela qui distingue tout amour personnel électif des autres formes d’amour, aussi bien celles qui sont constitutives et non électives, comme l’amour des parents ou de son pays, que celles qui ne sont pas de l’amour, en dépit de la langue française, comme l’attachement aux bons mets ou aux bons vins. L’intrigant et mystérieux rapport du Bien qu’on ressent et du Beau qu’on voit, c’est justement ce qui frappe dans tout début, c’est la forme même de l’annonce de la Chose que tout le monde va dès lors appeler «amour ». A savoir, une chose qui fait du bien, mais d’une manière différente de toute autre chose bénéfique. Cette chose nous fait du bien, nous «réchauffe », tout comme n’importe quoi d’envoûtant et de maternel, comme une nourriture ou des vêtements chauds, comme une caresse, et pourtant en même temps nous enjoint une distance, en nous forçant non pas à fermer, mais à ouvrir grands les yeux devant ce qui par excellence luit, resplendit. Tel est le Beau, qui nous coupe le souffle, jusqu’à l’effroi dont parle déjà Sappho, et nous force à nous arrêter et à nous tenir à distance. J’ai rarement trouvé une expression plus concise et exacte de l’expérience esthétique pure – l’expérience du Beau – que ces mots d’une jeune fille de dix-sept ans, Simone Weil, dans une dissertation : « Je marche en regardant autour de moi, et je vois un temple : son premier effet est de me faire arrêter. Le tas de pierres que j’ai vu auparavant ne m’avait pas fait arrêter. J’avais continué mon chemin sans penser à lui ; ou, si j’y avais pensé, c’était pour me demander qui l’avait mis là, à quoi il servait ; ou pour me souvenir d’autres tas de pierre ; … enfin, il m’avait fait penser à toute autre chose qu’à lui. Mais devant le temple, je ne pense à rien qu’au temple : le temple arrête mon cœur et mon esprit1. » L’amour s’annonce par un double lien contradictoire au Bien et au Beau, à une chaleur qui favorise la vie et à une lueur qui suscite l’émerveillement, voire même l’effroi, et tend plutôt à suspendre la vie, à l’arrêter. C’est à ce phénomène bien familier que fait allusion le vers choisi – d’abord inopinément – comme titre de cet essai : Amore, salute lucente. Un beau vers du poète italien Giuseppe Ungaretti, que je ne saurais traduire de peur d’enlever à « salute » l’un ou l’autre de ses sens : soit d’en faire tout simplement du salut, ce qui en enlèverait la chaleur et nous rapprocherait un peu trop de l’Armée du Salut, soit à l’inverse d’en faire seulement de la santé, ce qui enlèverait le moment « luisant », celui du beau, et ferait évoquer un peu trop une clinique suisse, lieu de repos que l’on fréquente pour se remettre en forme. A moins qu’on ne retienne simplement le sens que « salut » a encore en français dans l’expression par laquelle on salue quelqu’un. Nous l’oublions tout à fait, mais c’est là un souhait bien amoureux que nous adressons à notre prochain en le « saluant ». Le premier regard, le premier salut de Béatrice est celui qui déclenche en Dante une uploads/Litterature/ amore-salute-lucente.pdf
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- Publié le Fev 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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