Genesis Manuscrits – Recherche – Invention 44 | 2017 Après le texte Genèse édit
Genesis Manuscrits – Recherche – Invention 44 | 2017 Après le texte Genèse éditoriale de Dan Yack Sylvestre Pidoux Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/genesis/1762 DOI : 10.4000/genesis.1762 ISSN : 2268-1590 Éditeur : Presses universitaires de Paris Sorbonne (PUPS), Société internationale de génétique artistique littéraire et scientifique (SIGALES) Édition imprimée Date de publication : 9 mai 2017 Pagination : 137-146 ISBN : 979-1023-105636 ISSN : 1167-5101 Référence électronique Sylvestre Pidoux, « Genèse éditoriale de Dan Yack », Genesis [En ligne], 44 | 2017, mis en ligne le 17 mai 2018, consulté le 11 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/genesis/1762 ; DOI : https://doi.org/10.4000/genesis.1762 Tous droits réservés 137 É T U D E S Genesis 44, 2017 L e 17 janvier 1944, Cendrars écrit à son confident littéraire, Jacques-Henry Lévesque : « J’ai demandé à Denoël si cela l’intéressait de publier en un seul volume Le Plan et Les Confessions. Je suis curieux de ce qu’il va répondre 1. » Ces deux romans, Le Plan de l’Aiguille et Les Confessions de Dan Yack, étaient parus en février et septembre 1929 aux éditions du Sans Pareil. Le premier raconte à la troisième personne la retraite d’une année d’un milliardaire nommé Dan Yack sur une île antarctique. Le deuxième se présente comme un enregistrement de la voix du héros, isolé désormais dans une cabane proche du Mont-Blanc. Les histoires et la voix narrative changent d’un roman à l’autre, tout comme le dispositif de chacun des deux volumes : Le Plan se compose de cinq chapitres, compor- tant chacun sept séquences, numérotées en 1929 de I à VII. Les Confessions sont composées de « rouleaux », qui sont la retranscription fictive de bandes enregistrées. La « curiosité » manifestée par Cendrars semble légitime. Claude Leroy y fait écho en 2002 : « Dan Yack commence comme une parabole et s’achève comme un lamento. Entre les deux parties […], le contraste touche au grand écart. Le Plan de l’Aiguille et Les Confessions de Dan Yack appartiennent-ils vraiment au même roman ? 2 » La question soulevée par le dossier Dan Yack est celle des conditions d’identification d’une œuvre : en quoi est-il possible de considérer comme une même œuvre trois titres distincts, édités en deux tomes en 1929, en un seul en 1946 ? Conformément aux sens des notions de version et d’œuvre telles que nous les avons définies collectivement3, l’œuvre est le principe d’unité sur lequel est gagée l’analyse de la production et de la variation. Quelles sont les conditions de reconnaissance d’un « principe d’unité » ? Cette question revient à se demander ce qui autorise une analyse génétique d’un corpus composé des deux éditions de 1929 et de celle, unique, de 1946. L’histoire éditoriale donne une première réponse à ces questions (1). Néanmoins, le statut des œuvres de 1929, abordé en fonction des situations spécifiques de leur communication publique, n’est pas réductible à leur état de 1946 (2). L’analyse d’un lieu stratégique – l’incipit – permet de le montrer (3). Il importe alors de décrire comment Dan Yack, roman en deux parties édité en 1946, a pris forme et sens après la publication de chacune de ses parties en 1929. Nous montrerons, en nous arrêtant sur le paratexte des édi- tions de 1929, comment la communication publique de cha- cune de ces parties peut être considérée comme participant de la genèse du roman de 1946 (4). 1. Les orientations auctoriales de lecture Michèle Touret a souligné une orientation de la critique cendrarsienne, encline à lire les textes selon le « parcours dessiné par Blaise Cendrars lui-même, a posteriori et prin- cipalement dans les œuvres dites des mémoires d’après la Seconde Guerre mondiale 4 ». Les commentaires de l’auteur configurent une lecture de l’œuvre plutôt qu’ils ne témoignent des circonstances de l’écriture ou de l’histoire des éditions. L’Homme foudroyé relate en 1945 l’histoire 1. Blaise Cendrars-Jacques-Henry Lévesque, Correspondance 1924- 1959 : « J’écris. Écrivez-moi », éd. Monique Chefdor, Paris, Denoël, 1991, p. 209. 2. Claude Leroy, « Préface », dans Blaise Cendrars, Dan Yack, Paris, Denoël (TADA 4), 2002, p. IX. 3. Voir p. 30. Rappelons que ce numéro de Genesis est pour bonne partie le fruit d’un travail collaboratif conduit lors du séminaire « Manuscrit – Linguistique – Cognition » de l’ITEM, de 2012 à 2015 et consacré à la genèse éditoriale. 4. Michèle Touret, « Être un écrivain populaire », dans Maria Teresa Russo, Blaise Cendrars et ses contemporains. Entre texte(s) et contexte(s), Palermo, Flaccovio Editore, 2011, p. 19. Genèse éditoriale de Dan Yack Sylvestre Pidoux G E N E S I S 138 éditoriale de Dan Yack : « Les deux volumes devaient paraître ensemble, en 1929. Ce qui explique les différentes dates de parution et le curieux “achevé d’imprimer” du “Plan de l’Aiguille” qui intriguèrent quelques lecteurs. En effet, la couverture de ce roman porte comme date : “MCMXXIX” ; la page titre : “MCMXXVII” ; et l’achevé d’imprimer est ainsi libellé : “… ce livre, commencé d’imprimer le 15 avril 1927 et achevé le 28 février 1929.” L’imprimeur a souvent dû me maudire. Qu’il trouve ici mes excuses réitérées 5 ! » (fi g. 1). Le commentaire souligne la vocation des deux ouvrages à une publication simultanée et participe à la reconnaissance critique d’une même œuvre. La version de l’« imprimeur » est pourtant différente : « La vérité est que la mise au point de Dan Yack et du Plan de l’Aiguille a été des plus laborieuses : Blaise écrivait d’abondance et véritablement d’inspiration, sur ce qui lui passait par la tête, et il ne se préoccupait guère de la composition même du livre, voire de sa cohérence. C’est bien pourquoi l’achevé d’imprimer qui se trouve à la fi n de ces livres en situe la fabrication typographique entre 1927 et 1929 6… » Hilsum insiste sur les contingences de l’histoire éditoriale des textes 7, alors que l’auteur met l’accent sur la cohérence de deux de ses romans. Cendrars engage, dès 1946, au service de l’établissement de cette cohérence, des arguments herméneutiques : « Le monde est ma représentation. J’ai voulu dans Dan Yack intérioriser cette vue de l’esprit, ce qui est une conception pessimiste ; puis l’extérioriser, ce qui est une action optimiste. D’où la division en deux parties de mon roman 8. » En précisant son intention, Cendrars travaille à réduire le « contraste » entre les deux volumes, en même temps qu’il suggère une interprétation de Dan Yack. 2. Les séquences et l’Opus L’analyse de la réception permet d’interroger cette interprétation. L’articulation du Plan aux Confessions se fait en 1929 selon un principe théorisé par Ugo Dionne sous le nom de « séquence » : « un roman auquel on a donné une ou plusieurs suites […] compose avec ces suites un type de discours que j’appellerai la séquence 9 ». L’ordre de rédaction et de succession des volumes défi nit la séquence 10, mais « c’est essentiellement la reprise du système des personnages qui [la] caractérise […]. Il n’est […] pas nécessaire que soit présent tout le personnel survivant du roman source : seul doit être maintenu un élément de continuité entre les deux univers 11 ». La promotion des Confessions de Dan Yack fonctionne en 1929 selon le mode de la séquence. On lit sur le bandeau publicitaire : « Dan Yack ?… Une fi gure 5. Blaise Cendrars, L’Homme foudroyé, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2013, p. 283-284. La remise du manuscrit à l’éditeur est racontée dans Une nuit dans la forêt : « Jean, tiens, voilà mon ours. – Non ! c’est… c’est le… – Oui, c’est le manuscrit de Dan Yack. – De Dan Yack ? – Oui, de Dan Yack et des Confessions. – Pas possible ! Ah, ce que tu es chic, Blaise, ce que tu es gentil ! Et tu l’as fait comme ça, sans me prévenir ! Jean n’arrive pas à se contenir. Il m’embrasse, rit, jubile » (Blaise Cendrars, Une nuit dans la forêt, Paris, Denoël (TADA 3), 2001, p. 167). 6. « Souvenirs de René Hilsum », dans Blaise Cendrars, Œuvres complètes, t. V, Paris, Club français du livre, 1969, p. xi- xii. 7. Ses souvenirs concernent spécifi quement Le Plan de l’Aiguille, à la fi n duquel on trouve l’achevé d’imprimer dont parle Hilsum. 8. Blaise Cendrars, Diogène, 19 avril 1946. Voir la préface de Claude Leroy (TADA 4) pour les implications herméneutiques de cette note. 9. Ugo Dionne, La Voie aux chapitres, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 2008, p. 45. 10. La question de l’ordre la distingue par exemple de la série, défi nie comme la « répétition variée d’un modèle unique » (Dionne, op. cit., p. 58). 11. Ibid., p. 47. Fig. 1 : Achevé d’imprimer du Plan de l’Aiguille (Paris, Au Sans Pareil, 1929) Cendrars commente dans L’Homme foudroyé (1945) le « curieux “achevé d’imprimer” du “Plan de l’Aiguille” » et explique pourquoi il aura fallu deux années pour imprimer son roman (Bibliothèque nationale uploads/Litterature/ dan-jack-cendrars 1 .pdf
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- Publié le Jui 10, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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