Le Bulletin Freudien n° 1 Octobre 1984 LA BIBLIOTHEQUE DE JACQUES LACAN (56) Da

Le Bulletin Freudien n° 1 Octobre 1984 LA BIBLIOTHEQUE DE JACQUES LACAN (56) Dans cette rubrique nous proposons de rendre plus facilement accessibles certains textes parmi les nombreux auxquels Jacques Lacan nous a renvoyés tout au long de son séminaire. Ainsi, le 3 juillet 1957,vingt-quatrième et dernière séance du séminaire consacré à la Relation d’Objet, Lacan nous indique: “Ce petit Hans, laissons-le à son sort. Je vous signale néanmoins que si j’ai fait à son propos une allusion à quelque chose de profondément actuel dans une certaine évolution dans les rapports entre les sexes; et si je me suis rapporté à la génération de 1945, c’est assurément pour ne pas faire une excessive actualité. Je laisse à dépeindre et à définir ce que peut être la génération actuelle, laissant à d’autres le soin d’en donner une expression directe et symbolique, disons à Françoise Sagan que je ne cite pas ici au hasard, pour le seul plaisir de faire de l’actualité, mais pour vous dire que comme lecture de vacances, vous pourrez voir ce qu’un philosophe austère et habitué à ne se situer qu’au niveau d’Hegel et de la plus haute politique, peut tirer d’un ouvrage d’apparence aussi frivole. Je vous conseille de le lire (numéro de Critique d’août— septembre 1956, p 704-708, Alexandre Kojève) sous le titre: “ le dernier monde nouveau"; étude qu’il a faite sur les deux livres, “ Bonjour Tristesse" et “ Un certain sourire” de l’auteur à succès que je viens de nommé. Ceci ne manquera pas de vous instruire, et comme on dit, ça ne vous fera pas de mal, vous ne risquerez rien. Le psychanalyste ne se recrute pas parmi ceux qui se livrent tout entiers aux fluctuations de la mode en matière psycho-sexuelle. Vous êtes trop bien orientés, si je puis dire, pour cela, voire même avec un rien de fort en thème en cette matière". (57) LA BIBLIOTHEQUE DE JACQUES LACAN LE DERNIER MONDE NOUVEAU FRANÇOISE SAGAN Bonjour tristesse Julliard, 1954. In-16, 192 p. Un certain sourire Jlliard, 1956. In-16, 192 p. Un nouveau type de monde est né à la littérature (1). Et quant à moi, je trouve tout naturel qu’il soit né à Paris et qu’il ait été enfanté par une fille mère (s’entend mère d’un nouveau-né purement littéraire). ----------------------------------------------------------------------------- (1) Cf Robert Paris, apud Temps Modernes (Sartre dir.), 11 année,n° 125 (juin 1956), p.1.903. Certes, ce nouveau monde lui-même n’est pas né d’aujourd’hui. Mais, bien que la recherche n’en soit plus interdite, la paternité est loin d’être définitivement établie dans son cas, la théorie des prétendants à cette lourde responsabilité n’étant pas encore close. Pourtant, du vivant même du père supposé, un Allemand, de génie lui aussi, insinua discrètement que ce pourrait bien être le Grand Corse. Et quant à moi, je commence à croire fermement que le dernier conquérant était effectivement lui-même responsable de ce que fut, pour lui, l’honneur et le plaisir de la conception de notre monde nouveau, Quoi qu’il en soit de l’insinuation allemande, l’Allemand dénonciateur a très bien vu et pré-vu ce que sera l’enfant annoncé par lui au monde. Encore que beaucoup de personnes pleines de bon sens (common sense) continuent à ne pas prendre au sérieux les visions, même de ce visionnaire, pourtant épris de raison (Vernunft) (sans parler des inquiétantes visions de certains de ses apôtres). En Angleterre pourtant, un contemporain semble avoir tout aussi bien vu les choses. En tout cas, il s’est très certainement rendu compte du fait qu’à cause des exploits même de son concurrent franco-italien, l’honneur (que d’aucuns prétendent vain) de l’héroïsme viril (ne serait-ce que vestimentaire) ne peut désormais s’acquérir qu’en civil (couleur (58) de deuil, évidemment). Mais ce génie pacifique mourut en martyr inconnu de sa découverte sensationnelle (qui eu un retentissement inoubliable dans le monde proprement dit) sans laisser de traces littéraires, et ses hagiographes ne révélèrent jamais aux non-initiés le sens et la portée véritables de son douloureux témoignage (dont un couvent français de femmes abrite encore les reliques matérielles). - Enfin, il y eut en France un marquis, emprisonné par le Tyran, mais libéré par le Peuple, -qui comprit lui aussi que, dans le nouveau monde libre, tout devait se commettre désormais dans le privé ; notamment les crimes, obligatoirement conçus, d’ailleurs, comme des actes (noblement gratuits) de Liberté égalitaire et fraternelle. Mais les Libérateurs populaires ne prirent d’abord ce Libéré que pour un libertin. Et aujourd’hui encore les quelques hommes d’élite qui le lisent et en parlent sérieusement sont taxés de peu sérieux par la masse de ceux qui le sont très. Ainsi, lui non plus n’a pas divulgué le Secret. A vrai dire, c’est parce que j’ai envie de révéler enfin ce mystère si soigneusement gardé par ceux qui le détiennent (en supposant qu’il y en ait encore) que je me suis décidé à écrire et même à publier les quelques pages qui suivent, en les dédiant à tous ceux qui les liront et donc, très certainement, à mademoiselle Sagan, qui les recevra sans nul doute grâce aux bons soins d’un Argus vigilant. Car c’est grâce au soin que cette jeune fille a mis à écrire ses deux premiers livres que le monde en question est " né à la littérature". Jusqu’à cette fille française, aucun lettré, n’a voulu en parler, du moins joliment. Sans doute, un -grand littérateur américain des temps modernes, spécialisé dans l’analyse du comportement (behevior) viril, s’est penché sur le problème de ce monde émasculé par son propre père, d’ailleurs encore inconnu. Ayant fait pousser sa barbe (aujourd’hui blanche), probablement pour se donner du courage dans sa lutte héroïque contre le désespoir, cet auteur réputé a cherché à travers tout le monde le dernier mâle humain ou plutôt le dernier homme vraiment mâle, et il prétendit l’avoir enfin trouvé, dans la mer des Caraïbes, en la personne d’un vieux pêcheur, à moitié mort il est vrai, Encore ne put-il lui trouver, en fait de digne adversaire, qu’un — héroïque et très puissant, certes, mais quand même — poisson (d’une espèce autre, d’ailleurs; que celle qui (59) servit de modèle à l’un des symboles d'une religion bien connue) (2) . Mais cette toute récente histoire naturelle du moderne Anglo-Savon resta tout aussi ésotérique que la déjà vénérable apocalypse germanique de l’histoire universelle. C’est donc à une très très jeune jeune fille française que revient la gloire (littéraire) de révéler aux foules (de ses lecteurs et lectrices) à travers le monde entier ce qu’est. au juste le monde où cette gloire a été récoltée, d’une façon certainement très honnête, mais peut-être encore quelque peu "inconsciente " (au sens philosophique de ce mot) ou " naïve" (an sens de Schiller c’est-à-dire par opposition à " sentimentale"). Pour le dire tout de suite, e’e d’un monde qui est nouveau parce que complètement et définitivement privé d'hommes (au sens de Malraux—Montherlant—Hemingway, pour ne citer que ces trois classiques, en laissant en paix Homère et les autres) qu’il s'agit. D’un monde sans hommes, vu (3) par une jeune fille, certes. Mais d ‘un monde qui diffère du tout. au tout de celui, déjà poussiéreux., où une autre jeune fille (d’ailleurs non parisienne) ne voyait pour ainsi dire rien d’autre que des pantalons de flanelle, qu’à son époque les hommes considérés comme authentiques étaient pratiquement seuls à porter. Dans le monde nouveau par contre, que nous révèle la jeune fille à qui ce monde s’est révélé, les hommes (non pas au sens ambigu de ce mot français équivoque, mais au sens précis et propre qu’est son sens anatomo-physiologique), dans ce monde nouveau, dis-je (avec humiliation virile), les faisant- fonction d ‘hommes ont une fâcheuse tendance à s’offrir tout nus (niais obligatoirement musclés) ou en déshabillé aux regards nullement émerveillés des jeunes filles. De mon temps (qui est pour moi bon et vieux, comme c’était de tout temps le cas de tous les temps dont on parlait avec une certaine tristesse), de mon temps, dis-je (avec une virile fierté), la nudité, même intégrale, était plutôt réservée aux jeunes filles (du moins dans l’art et la littérature). Tel fut aussi son sort dans de plus lointains passés. Dieu sait, d‘ailleurs, que ce n'était pas chose facile que de déshabiller les hommes virils d’autrefois. Il fallait se mettre à quatre ou cinq pour sortir un brillant chevalier de sa lumineuse armure, et tout récemment encore l’aide d’un vigoureux gaillard n’était pas de trop pour extraire tel militaire illustre de ses fines bottes lustrées. Sans doute les choses se sont grandement améliorées depuis. Déjà de mon temps, le facile et confortable pyjama des Indes efféminées a conquis le monde occidental et libre, grâce aux conquérants britanniques du servile Orient. Pourtant, en tant que thème littéraire tout au moins, ce vêtement occi-oriental (à ses débuts exclusivement réservé aux hommes et rigoureusement interdit aux jeunes filles bien élevées par leurs mamans) ne jouait un rôle que dans les vaudevilles On imaginerait mal, en effet, un auteur (masculin) sérieux de l’époque évoquant le pyjama d’un héros (1ittéraire) qui, par exemple, uploads/Litterature/ le-dernier-monde-nouveau.pdf

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