OBSERVATIONS SUR L'ORTHOGRAPHE OU ORTOGRAFIE FRANÇAISE SUIVIES D'UNE HISTOIRE D
OBSERVATIONS SUR L'ORTHOGRAPHE OU ORTOGRAFIE FRANÇAISE SUIVIES D'UNE HISTOIRE DE LA REFORME ORTHOGRAPHIQUE DEPUIS LE XVe SIECLE JUSQU'A NOS JOURS PAR AMBROISE FIRMIN DIDOT DEUXIEME EDITION REVUE ET CONSIDERABLEMENT AUGMENTEE PARIS TYPOGRAPHIE DE AMBROISE FIRMIN DIDOT IMPRIMEUR-LIBRAIRE DE L'INSTITUT DE France RUE JACOB, 56 1868 OBSERVATIONS SUR L'ORTHOGRAPHE OU ORTOGRAFIE FRANÇAISE Remédier aux imperfections encore si nombreuses de notre orthographe, imperfections qui démentent la logique et la netteté de l'esprit français, serait chose bien désirable à un double point de vue : le bon et rapide enseignement de la jeunesse, la propagation de notre langue et de ses chefs d'œuvre. Mais cette tâche est bien plus difficile que ne le supposent ceux qui, frappés des abus, ne se sont pas rendu compte de la nature des obstacles, ainsi que des efforts divers tentés depuis trois siècles pour la solution d'un problème aussi compliqué. C'est à l'Académie française, à cause même de sa légitime influence sur la langue et de l'autorité de son Dictionnaire, devenu depuis longtemps le Code du langage, qu'il convient d'examiner, en vue de la nouvelle édition qu'elle prépare, les modifications à introduire dans l'orthographe, pour satisfaire, dans une juste mesure et conformément à ses propres précédents, aux vœux le plus généralement manifestés. Fidèle à son institution et à sa devise, l'Académie, tout en tenant compte des nécessités du présent, jette au loin ses regards sur l'avenir pour conduire, de degré en degré, la langue française à sa perfection. Grâce aux améliorations successivement introduites par l'Académie dans les six éditions de son Dictionnaire, améliorations attestés par la comparaison de celle de 1835 avec la première de 1694, ce qui reste à faire dans notre orthographe est peu considérable, et pourrait même être admis en une seule fois, si l'Académie se montrait aussi hardie qu'elle l'a été dans sa troisième édition. Jusqu'au commencement de ce siècle, son Dictionnaire, moins répandu, n'avait pas acquis l'autorité dont il jouit universellement ; de sorte qu'il restait à chacun quelque liberté pour modifier l'orthographe, soit dans le manuscrit, soit dans l'impression (1). C'est ainsi qu'avaient pu et que pouvaient encore se faire jour les préférences en matière d'écriture de ceux qu'on nommait alors « les honnêtes gens » et dont la manière était désignée sous ce nom : l'Usage. Mais l'Usage, que l'Académie invoquait jusqu'en 1835 comme sa règle, n' a plus aujourd'hui de raison d'être ; le Dictionnaire est là qui s'oppose à tout changement : chaque écrivain, chaque imprimerie, s'est soumis à la loi : elle y est gravée ; les journaux, par leur immense publicité, l'ont propagée partout ; personne n'oserait la braver. Ainsi tout progrès deviendrait impossible, si l'Académie, forte de l'autorité qu'elle a justement acquise, ne venait elle-même au-devant du vœu public en faisant un nouveau pas dans son système de réforme, afin de rendre notre langue plus facile à apprendre, à lire et à prononcer, surtout pour les étrangers. Que d'efforts et de fatigues quelques réformes pourraient encore épargner aux mères et aux professeurs ! que de larmes à l'enfance ! que de découragement aux populations rurales ! tout ce qui peut économiser la peine et le temps perdus à écrire des lettres inutiles, à consulter sa mémoire, souvent en défaut, profiterait à chacun. Car, avouons-le, personne d'entre nous ne saurait s'exempter d'avoir recours au Dictionnaire pour s'assurer s'il faut soit l'y soit l'i dans tel ou tel mot ; soit un ou deux l, ou n ou p dans tel autre ; soit un ph ou th ; un accent grave ou un accent circonflexe, un tréma ou un accent aigu, un trait d'union ou même la marque du pluriel, l's ou le x, dans certains mots. Il serait trop long d'énumérer ici les tentatives plus ou moins sensées, plus ou moins téméraires, proposées depuis le commencement du seizième siècle pour la simplification de l'orthographe : les unes, trop absolues dans leur ensemble, dénaturaient le caractère et les traditions de notre idiome ; d'autres déroutaient et offensaient la vue en altérant la simplicité de notre alphabet ; d'autres, enfin, n'avaient peut-être que le tort d'être prématurées et de contrarier des habitudes contractées dès l'enfance, et d'autant plus tenaces qu'elles avaient coûté plus de peine à acquérir. (Voy. l'Appendice D.) L'Académie seule, quelquefois avec une grande hardiesse, a pu introduire et sanctionner de sages modifications ; toutes ont été accueillies avec reconnaissance en France et dans les pays étrangers. C'est donc à sa sagesse de juger dans quelles limites on devra céder au vœu manifesté par tant de bons esprits durant plus de trois siècles. Les concessions qu'elle croira devoir faire ne seront même que la conséquence de l'opinion émise par elle en 1718 dans la préface de la deuxième édition de son Dictionnaire : « Comme il ne faut point se presser de rejeter l'ancienne orthographe, on ne doit pas non plus, dit-elle, faire de trop grands effort pour la retenir. » Ces modifications seraient d'autant plus utiles et opportunes qu'elles hâteraient le développement et la propagation de l'instruction primaire dans nos campagnes, et l'enseignement de la langue française aux Arabes, moyen le plus sûr de nous les assimiler (2). Ce bienfait s'étendrait même à tout l'Orient, où on se livre à de sérieux efforts pour indiquer par des signes la prononciation de mots de notre langue à ces populations aussi nombreuses que diverses (3). Faciliter l'écriture et la lecture de la langue nationale, c'est contribuer à la répandre et à la maintenir. Avant même que François Ier, par son édit de Villers-Cotteret, du 10 août 1539, eût rendu officielle la langue française, en bannissant le latin de tout acte public, beaucoup de grammairiens et de savants imprimeurs s'étaient occupés de régulariser notre orthographe. Le désordre dans l'écriture du français était alors à son comble : chacun, loin de la rapprocher de sa simplicité antérieure, croyait faire montre de savoir en la compliquant par la multiplicité des consonnes. Ronsard, après s'être plaint dans la préface de sa première édition de la Franciade, en 1572, de l'impossibilité de se reconnaître dans la « corruption de l'orthographe », écrivait dans sa seconde édition : «[…] quant à nostre éscriture, elle est fort vicieuse et corrompuë, et me semble qu'elle a grand besoin de reformation : et de remettre en son premier honneur le K et le Z, et faire charactères nouveaux pour la double N à la mode des Espagnols, n tilde, pour escrire monseigneur, et une double L pour escrire orgueilleux » (4) [« Tu éviteras toute orthographie superflue et ne mettras aucunes lettres en tels mots, si tu ne les prononces en lisant. » (Abrégé de l'Art poétique, par Ronsard, édit de 1561). Plus tard, en tête de son Abrégé de l'Art poétique, il développe plus énergiquement encore son opinion sur la réforme de l'orthographe française. Et le grand Corneille, trente ans avant le Dictionnaire de l'Académie, proposait et appliquait lui-même une écriture plus conforme à la prononciation, devancé même en cela par l'un de ses prédécesseurs à l'Académie, d'Ablancourt, et surpassé en hardiesse par son collègue Dangeau. (Voir les Appendices B et C.) Cependant, dès l'année 1660, trente-quatre ans avant l'apparition du Dictionnaire de l'Académie, la Grammaire de Port-Royal avait posé les bases de l'accord de l'écriture et de la prononciation ; elle voulait : 1° Que toute figure marquât quelque son, c'est-à-dire qu'on n'écrivît rien qu'on ne prononçât ; 2° Que tout son fût marqué par une figure, c'est-à-dire qu'on ne prononçât rien qui ne fût écrit ; 3° Que chaque figure ne marquât qu'un son, ou simple, ou double ; 4° Qu'un même son ne fût point marqué par des figures différentes. Pourquoi donc, après de telles prémisses, tant de contradictions qu'on ne saurait justifier et auxquelles l'esprit logique de l'enfance ne se soumet qu'en faisant abandon de cette rectitude de raisonnement qui nous étonne si souvent nous force d'avouer qu'en fait de langue la raison n'est pas du côté de l'âge mûr ? Pour quiconque veut approfondir l'étude de la langue française, rien de plus intéressant que d'en suivre les progrès dans les modifications successives de son Dictionnaire. Dans chacune d'elles, en effet, sont enregistrés les changements résultant soit de la suppression de mots surannées, soi de l'introduction de ceux qu'elle jugeait admissibles, soit de modifications apportées dans l'acception des mots et des locutions. Mais pour ne parler ici que de l'orthographe, c'est dans ces variations successives qu'on peut apprécier cette tendance à la simplification dans la forme des mots qui répond au besoin toujours croisant de mieux conformer l'écriture à la rapidité de la pensée. Par ce qui est fait on jugera mieux de ce qui reste à faire. Première édition du Dictionnaire. A l'époque où l'Académie résolut de rédiger son Dictionnaire, deux courants opposés portaient le trouble dans les imprimeries : les unes, sous l'influence des Estienne, modelaient leur orthographe sur la langue latine, les autres sur celle de nos vieux poëtes et chroniqueurs. Antérieurement à l'apparition, en 150, du Dictionnaire de Robert Etienne, on remarque dans nos plus anciens uploads/Litterature/ observations-sur-l-x27-ortographe-ou-ortografie-francaise-firmin-didot.pdf
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- Publié le Sep 29, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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