Journal des savants Propos sur l'oracle de Delphes Monsieur Pierre Amandry Cite

Journal des savants Propos sur l'oracle de Delphes Monsieur Pierre Amandry Citer ce document / Cite this document : Amandry Pierre. Propos sur l'oracle de Delphes. In: Journal des savants, 1997, n° pp. 195-209; doi : https://doi.org/10.3406/jds.1997.1608 https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1997_num_2_1_1608 Fichier pdf généré le 06/05/2018 PROPOS SUR L'ORACLE DE DELPHES L'oracle de Delphes a été, pendant un millénaire, le plus célèbre de Grèce. Pourtant, ses méthodes sont mal connues. On est incapable de décrire une séance de consultation. Plutarque, qui a été prêtre d'Apollon Pythien, ne l'a pas fait. Quelques auteurs, grecs et latins, ont distillé avec parcimonie des allusions, généralement brèves et le plus souvent vagues, sur la valeur desquelles il est difficile de porter un jugement. Combien parlaient de l'oracle autrement que par ouï-dire ? En outre, il faudrait tenir compte de la date de ces témoignages : rien n'avait-il changé entre l'époque de Crésus et celle de Julien l'Apostat ? La publication — il y aura tantôt un demi-siècle — de mon livre sur le fonctionnement de l'oracle de Delphes ' avait suscité des réactions 2 et ravivé un débat qu'ont prolongé depuis lors d'autres ouvrages consacrés, principalement ou partiellement, à ce problème 3. Parmi les questions débattues figurait celle de l'attitude de la Pythie. Entre l'image que les Pères de l'Eglise, et en particulier Saint Jean Chrysostome, ont fait passer à la postérité, d'une femme en proie à des convulsions sous l'effet d'un esprit malin pénétrant en elle par les organes génitaux, hurlant et divaguant, et celle d'une prophétesse (sous le nom de Thémis) absorbée dans la contemplation d'une coupe qu'a peinte un céramiste athénien du Ve siècle avant 1 . Le mantique apollinienne à Delphes. Essai sur le fonctionnement de l'oracle (Bibl. des Écoles fr. d'Athènes et de Rome, fase. 170, 1950). [Sera cité : Mantique]. 2. Principaux comptes rendus : P. de La CoSTE-MESSELièRE, JfSav 1950, p. 145-159 ; R. Flaceliòre, REA 52 (1950), p. 306-324 ; J. Defradas, REG 63 (1950), p. 269-273 ; H.W. Parke, Hermathena 76 (1950), p. 91-93 ; Ch. Picard, RHR 1951 II, p. 238-245 ; E. Will, Syria 28 (1951), p. 291-296 ; P. Chantraine, RPhil 77 (1951), p. 261-262 ; L. Lacroix, AntCl 20 (1951), p. 241-243 ; K. Latte, Hist. Zeitschrift 172 (1951), p. 112-114 ; H. Berve, Gnomon 24 (1952), p. 5-12 ; H.J. Rose, JHS 72 (1952), p. 146-147 ; J. Fontenrose, AjfPhil 73 (1952), p. 445-448 : M. P. NiLSSON, Historia 7 (1958), p. 237-250. 3. E.R. Dodds, The Greeks and the Irrational (195 1) ; Jean Defradas, Les thèmes de la propagande delphique (1954 ; 2e tirage avec postface, 1972) ; Marie Delcourt, L'oracle de Delphes (1955 ; réimpr., 1981) ; Roland Crahay, La littérature oraculaire chez Hérodote (Bibl. de la Faculté de Phil, et Lettres de l'Univ. de Liège, fase. 138, 1956) ; H.W. Parke-D.E.W. Wormell, The Delphie Oracle (2 vol., 1956) ; Joseph Fontenrose, The Delphic Oracle (1976). io6 PIERRE AMANDRY J.-C, il y a incompatibilité. On admet généralement que les polémistes chrétiens ont outré le tableau. Mais, dit-on, une caricature n'atteint son but que si le sujet n'est pas déformé au point d'être méconnaissable. « Le délire de la Pythie est-il une légende ? », tel était le titre d'un compte rendu de mon livre par Robert Flacelière. Contrairement à lui, je serais tenté de répondre affirmativement à cette question. Tout d'abord, St Jean Chrysostome ne devait avoir aucune difficulté à abuser ses auditeurs : il est probable qu'aucun d'eux ne savait exactement comment les choses se passaient à Delphes. Ensuite, quand Origène déclare que la Pythie prophétise en état de (xavixifj xaxàaxaatç, quand Chrysostome dit que sous l'empire de la Tcapàvota, elle profère Ta r/jç [xavtaç , et qu'une scholie d'Aristophane précise rà ttjç fxavTstaç y) fzàXXov (xavlaç , il n'est pas malaisé de remonter à l'origine de la fausse étymologie sur laquelle repose ce jeu de mots : c'est le Phèdre de Platon. Dans un passage bien connu de ce dialogue (244-249), Platon oppose la [lolv'kx. à la acocppoauvv), c'est-à-dire l'intuition à l'analyse, l'inspiration à la technique, le spontané au réfléchi. La mania est un don divin, la techné s'acquiert. La mania élève l'homme pour un moment au-dessus de sa condition ordinaire, le poète au-dessus du versificateur, le prophète au-dessus du devin. C'est une exaltation spirituelle, un état intérieur ; il n'est pas question de manifestations extérieures. Cette exégèse, qui paraît évidente +, a été contestée ou repoussée par ceux qui trouvent dans la mania platonicienne un argument en faveur de l'hypothèse de la présence d'éléments dionysiaques dans le rituel apollinien. Mais les philosophes emploient le vocabulaire commun pour exprimer des idées qui leur sont propres. Quand Chrysostome feignait de comprendre le mot mania au sens de folie furieuse ou de désordre mental, il était moins naïf que certains exégètes modernes. Visité par la mania divine, l'homme est evGsoç, en état d'excrraaiç ou d'èv0oucn.aa|xoç. Ces mots posent aussi un problème d'interprétation. Déjà, les interlocuteurs des dialogues pythiques de Plutarque, cheminant le long de la voie sacrée, ou assis sur les degrés du temple, devaient recourir à toutes les 4. Elle a été approuvée par La Coste-Messelière, Defradas, Berve, Nilsson, Fontenrose. Elle avait déjà été proposée par d'autres, par exemple par P. Perdrizet, Cultes et mythes du Pangée (1910), p. 46 et 74-75. Même problème d'interprétation à propos du mot xàro^oç et de l'expression xaxe^ofASvoç Ó7TÒ ToG 0EoO. Sur la question de la « possession » dans la pensée antique, cf. entre autres : E.R. Dodds, op. cit. (note 3), p. 64-101 ; H. Seyrig, Antiquités syriennes, 4e série (1953), p. 181-185 ; D. Van Berchem, Rendiconti Pontif. Accad. Romana di Arch. 32 (1959-60), p. 64-65 ; W.D. Smith, « So-called Possession in Pre-Christian Greece », Trans, of the Amer. Phil. Assoc. 96 (1965), p. 403-426. PROPOS SUR L'ORACLE DE DELPHES 1 97 ressources de leur subtilité pour définir le xaXoufxsvoç èv0ouataa[AOç. Selon Théon, il résulte d'un accord passager entre des dispositions naturelles de l'âme et un agent extérieur (De Pyth. or., 397 C et 404 F). Lamprias en donne une définition semblable (De def. or., 432 C à 434 C, 437 C, 438 A-C). Mais, pour Aristote, le facteur externe qui déclenche Y enthousiasmos est de nature matérielle. Cepneuma est un fluide qui peut être propagé par l'air ou par un liquide ; à Delphes, il est émis par la terre. Le sol de Delphes a cette propriété, de même que l'air y forme sur les bronzes une patine particulière, de même que l'eau du Cydnos à Tarse est seule capable de nettoyer le couteau du sacrificateur, et l'eau de l'Alphée d'agglomérer les cendres de l'autel à Olympic Les émanations se produisent à intervalles irréguliers, elles sont sujettes à s'altérer en fonction des pluies et des séismes, voire à s'épuiser comme les filons des mines d'Attique et d'Eubée. On a été leurré par le pneuma aristotélicien 5 comme on l'a été par la mania platonicienne. Ces doctrines ont donné naissance au mythe, qu'a recueilli Diodore, et auquel Plutarque a fait allusion (De def. or., 435 D), de la découverte de l'oracle par le berger Corétas, dont les chèvres tombèrent dans une faille d'où se dégageaient des émanations qui provoquèrent aussi des accidents chez des humains, saisis d'un transport prophétique, à la suite de quoi on jugea prudent d'installer au-dessus de la crevasse une médiane à trois pieds. Nulle part il n'est question dans les écrits de Plutarque de yó.G\La. yyjç ni de « délire » de la Pythie. Quand il rapporte, par ouï-dire (De def. or., 438 A-B), qu'une Pythie, en proie à une crise de nerfs, s'est jetée à terre en poussant des cris stridents et qu'elle est morte peu de temps après, il présente cet accident comme un fait divers, exceptionnel et anormal, et l'explique par l'obstination des prêtres à passer outre à des présages défavorables. Au demeurant, la question du comportement de la Pythie n'est pas fondamentale : paisible ou agitée, en pleine lucidité ou en état second, simple ou théâtrale, la Pythie était enthéos, convaincue qu'elle était de parler au nom d'Apollon. Car la Pythie parlait. Sur ce point, la tradition est unanime, d'Hérodote à Plutarque et à Chrysostome. À plusieurs reprises, Plutarque fait allusion à la voix de la Pythie (De Pythiae oraculis, 397 A, 405 D ; De defectu oraculorum, 438 S. E. Will, BC H 66-67 (1942-43), p. 161-175. I98 PIERRE AMANDRY B). Il précise même que les oracles n'étaient pas rendus par écrit, mais énoncés de vive voix (De Pyth. or., 397 C). La contradiction n'est qu'apparente avec les indications fournies par la Souda, selon laquelle les réponses étaient remises sous scellés, et par une lettre des Delphiens au génos des Gephyraioi de la fin du Ier siècle av. J.-C, annonçant l'envoi sous pli cacheté de la question et de la réponse 6 : quand il s'agissait de consultations officielles par l'intermédiaire de théores ou théopropoi, la réponse pouvait être mise par écrit et scellée après avoir été énoncée oralement. Selon uploads/Litterature/ propos-sur-l-x27-oracle-de-delphes.pdf

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