LE TARGUM DU CANTIQUE DES CANTIQUES Introduction et traduction du codex Vatican

LE TARGUM DU CANTIQUE DES CANTIQUES Introduction et traduction du codex Vatican Urbinati 1 F. Manns Qu’est ce qu’un Targum ? Le Targum est une version araméenne de l’Ancien Testament à l’usage des synagogues. Très tôt, peut-être déjà à l’époque de Néhémie1, le be- soin se fit ressentir dans les assemblées liturgiques de faire suivre la lecture hébraïque de l’Ecriture d’une traduction orale en araméen desti- née à rendre accessible aux fidèles le texte sacré. L’interprète, désigné sous le nom de meturgeman, traduisait l’Ecriture, tout en l’expliquant et en y incluant des éléments aggadiques ou halachiques permettant d’ac- tualiser le texte. Longtemps le Targum fut transmis sous forme orale. Le fonds inter- prétatif s’amplifiait au cours de la transmission. La ramification des for- mulations orales rend compte de l’existence de plusieurs recensions. L’interprétation mise en oeuvre par le Targum relève de l’activité exégétique juive appelée midrash. Cette dernière a recours à des techni- ques précises pour scruter l’Ecriture au-delà du sens littéral 2. Les virtuali- tés du texte sont dégagées par analogie avec d’autres textes bibliques ou en relation avec les idées religieuses plus récentes du judaïsme. Il n’est donc pas étonnant que le Targum, comme les midrashim, nous soit par- venu sous différentes formes. Les Targumim du Pentateuque et des Pro- phètes étaient destinés à la récitation orale de la Synagogue. Les Targumim des Hagiographes, utilisés à l’occasion de certaines fêtes juives, n’avaient pas cependant le même caractère normatif. 1. La tradition rabbinique rapportée par Meg 3a et par Ned 37b considère la scène de Néhé- mie 8,1-18 comme prototype de la lecture synagogale. L’attestation la plus ancienne de l’usage du Targum à la synagogue provient de la Mishna Meg 4,4. Selon la Tosephta Sab 13,2 R. Gamaliel avait condamné et fait emmurer un targum de Job, ce qui n’empêcha pas son petit fils Gamaliel II d’en lire quelque autre exemplaire. On trouve d’autres allusions aux targumim écrits dans la Mishna Yadaim 4,5. 2. Voir notre ouvrage Le Midrash. Approche et commentaire de l’Ecriture, Jérusalem 1990. LA 41 (1991) 223-301 F. MANNS 224 L’objectif du meturgeman est avant tout de rendre intelligible le texte biblique pour la communauté. Selon l’expression de Ne 8,8 il doit donner le sens du texte. Plus d’une fois, le traducteur propose une lecture allé- gorique des textes bibliques. L’exemple du Targum d’Ez 16 qui évoque toute l’histoire de Jérusalem est un cas classique 3. De plus, l’Ecriture gar- dant toute son actualité pour toutes les générations, le targumiste ne se prive pas d’appliquer le texte sacré aux événements contemporains en vertu du principe herméneutique que la Bible ignore la chronologie 4. Bref, le Targum appartient à la littérature didactique : de là son intention d’é- claircir dans le texte tous les détails, les noms propres et les toponymes 5. En d’autres termes, il jette fréquemment un pont entre la Bible et le Midrash. Il n’est pas inutile de rappeler brièvement la situation présente des Targumim en notre possession. Il faut distinguer les trois blocs de l’Ecri- ture : la loi, les prophètes et les Hagiographes. Pour la loi ou le Pentateuque on divise les Targumim en deux groupes suivant leurs provenances : A.Le Targum Onqelos (TO) d’origine babylonienne et conforme avec la halaka des écoles babyloniennes est rédigé en araméen d’empire. Cer- tains pensent qu’il était l’oeuvre de maîtres palestiniens avant d’être accepté dans les académies babyloniennes. La traduction est généralement littérale. On y trouve cependant des éléments d’aggadot 6. B.Les recensions palestiniennes se présentent sous différentes formes : a.Le Targum Yerushalmi 1 (Tj I) encore appelé Targum Jonathan 7. Il contient de nombreux développements midrashiques. Sa rédaction semble postérieure à l’époque arabe, puisque la femme et la fille de Mahomet sont mentionnées en Gen 21,21. Mais les traditions véhiculées dans le Targum sont bien plus anciennes. b. Le Targum Yerushalmi 2 (Tj II) ou fragmentaire (environ 850 versets). On discute encore aujourd’hui pour savoir si ce Targum fournit les débris d’une version complète dont le texte se rapproche des gloses 3. R. Bloch, “Ezéchiel 16, exemple parfait du procédé midrashique”, CS 3 (1955) 193-223. 4. Le principe s’énonce : ’eyn muqdam ume’uhar. Cf Mekilta de R. Ismaël, Ex 15,2. 5. Généralement le targumiste élimine de l’Ecriture les anthropomorphismes. Cf D. Muñoz Leon, “Soluciones de los Targumim del Pentateuco a los antropomorfismos”, Est bíb 28 (1969) 263-281; voir aussi l’étude de M. L. Klein, “The Preposition QDM (Before) a pseudo-anti-anthropomorphism in the Targums”, JTS 30 (1979) 502-507. 6. Voir note 72. 7. Ce Targum utilise parfois Sifre Dt et parfois Pirqe de R. Eliézer. Sa rédaction finale pour- rait dater du 7e-8e siècle. TARGUM DU CANTIQUE 225 marginales du TN ou bien s’il n’est constitué que d’une collection de glo- ses. c.Le Targum Néofiti (TN) découvert par Díez Macho à la bibliothèque vaticane 8 en 1956 présente un bon reflet de l’ancien courant targumique désigné sous le nom de Targum palestinien. La paraphrase reste sobre, bien qu’elle se permette de nombreux développements aggadiques. Díez Macho date le TN du deuxième siècle de notre ère. d. Les fragments de la Geniza du Caire publiés par Kahle et Klein. Les manuscrits sont anciens et l’ensemble est ordonné dans le cadre du cycle triennal des lectures bibliques pour le sabbat. Pour les Prophètes nous disposons du Targum Jonathan ben Uzziel qui aurait été rédigé en Babylonie à partir de matériaux palestiniens. Goshen Gottstein a remarqué des coïncidences linguistiques entre le texte d’Isaïe découvert à Qumran et le Targum d’Isaïe lorsque les deux s’écartent du texte hébreu 9. En plus du Targum nous disposons de quelques fragments targumiques des Prophètes. Ces pièces portent seulement sur des lectures pour les fêtes. Les Targumim des Hagiographes qui n’étaient pas destinés à l’usage li- turgique avaient mauvaise presse avant les découvertes de Qumran. Depuis 1947 la situation a changé, car on sait qu’à Qumran presque toute la Bible était traduite. Un Targum de Job, différent de celui que nous connaissions jusqu’alors, a été découvert à Qumran. Le Targum des Hagiographes, gonflé de paraphrases, n’a pas le même statut que les Targumim officiels du Pentateuque et des Prophètes. Le Tal- mud de Babylone rapporte au traité Meg 3a que Jonathan ben Uziel essaya de publier une traduction des Ketoubim. Une voix céleste retentit et dit : Assez! Pourquoi ? Parce que le temps du Messie y est contenu. Cette tradi- tion témoigne du souci de mettre un frein aux spéculations messianiques après la seconde révolte juive. Généralement on présente le Targum des Hagiographes comme posté- rieur à la période talmudique 10. Zunz 11 observe que Rashi, le rabbin cham- 8. Le Targum Néofiti contient des halakot différentes de celles de la Mishna (Ex 22,4) et ne contient pas des additions tardives (Tj I Ex 24,12). Sa rédaction est plus ancienne que celle du Tj I. 9. M. Goshen Gottstein, “Die Jesaya Rolle im Lichte vom Peshitta und Targum”, Bi 35 (1954) 51-71. 10. S. Landauer, Orientalischen Studien, 505; T. Walker, Dictionary of the Bible, 682; R. H. Melamed, The Targum to Canticles, 5.19. 11. Die gottesdienstlichen Vorträge der Juden historisch entwickelt, Frankfurt 1892, 68. F. MANNS 226 penois qui vécut de 1040 à 1105, ne mentionne jamais de Targum des Hagiographes. Celui-ci est souvent cité, par contre, dans l’Aruk de R. Nathan ben Yehiel 12. Enfin, Nahmanide qui cite le Targum du Ct 4,14 dans son commentaire de Ex 30,34, est un nouveau témoin de l’existence du Targum des Hagiographes. On pense que les Targumim des Hagiographes sont des oeuvres individuelles où le Midrash prend de plus en plus d’im- portance. Chacun des Targumim des Hagiographes, dont l’étude critique est à peine commencée, pose de nombreux problèmes. Une étude approfondie permet d’établir qu’ils charrient de nombreuses traditions anciennes d’ori- gine palestinienne. L’activité midrashique est particulièrement forte dans le Targum du Cantique, à tel point que certains auteurs n’hésitent pas à appeler le Targum du Cantique un midrash 13. En effet, le meturgeman emprunte aux midrashim de la période des Tannaim des traditions déjà modelées qu’il intègre à son commentaire de l’Ecriture. Une recherche des sources du Targum du Canti- que permettra de retracer le cheminement du texte et d’en dater les tradi- tions successives. Les interférences entre le Targum et le midrash n’étonneront pas si on admet que la version synagogale avait un lien avec le beth midrash 14, l’école rabbinique. Bien plus, à Qumran l’Apocryphe de la Genèse est un Targum du livre de la Genèse qui se rapproche également du Midrash. L’existence d’un genre mixte est donc attestée depuis fort long- temps. Enfin, il faut rappeler que le Targum de la Synagogue revenait à l’école comme matière de l’enseignement oral de base qui devait être ap- profondi sous la conduite des maîtres du midrash. Le Targum du Cantique interprète le texte biblique comme une allégo- rie. L’époux est Dieu et l’épouse, la communauté d’Israël. Toute l’histoire sainte, depuis l’exode jusqu’à l’évocation de la libération future, y est résu- mée. Les étapes du don de la loi au Sinaï, du séjour uploads/Litterature/ targumcantique-manns 1 .pdf

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