Mario Vargas Llosa, Nobel et éternel rebelle Il l’espérait depuis si longtemps

Mario Vargas Llosa, Nobel et éternel rebelle Il l’espérait depuis si longtemps qu’il ne l’attendait plus. Il a même cru à une blague lorsqu’on le lui a annoncé au téléphone. Déjà lauréat du prix Prince des Asturies (1986), du prix Cervantès (1994) du prix de Jérusalem (1995), officier de la Légion d’honneur (1985) et commandeur de l’Ordre des arts et lettres français (1993), membre de l’Académie royale espagnole (1994), titulaire de quarante doctorats honoris causa, il ne manquait pourtant à son palmarès que la récompense la plus internationale et médiatique, celle de l’Académie suédoise. Souvent cité depuis 1978, jamais plébiscité, aujourd’hui, après un demi-siècle de carrière littéraire (plus de trente ouvrages) et de combat politique (du castrisme au libéralisme), le jury du Nobel a choisi de consacrer un éternel rebelle dont l’œuvre - une « cartographie des structrures du pouvoir » - exalte « la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec » et prend intimement sa source dans la vie de son auteur. Né en 1936 dans la ville d’Arequipa au sud du Pérou, au sein d’une famille de la classe moyenne traditionnelle, Mario Vargas Llosa a cependant passé la majeure partie de son enfance - de 1 à 10 ans - en Bolivie, à Cochabamba, entre sa mère et un grand-père qui se substituera à la figure paternelle en l‘absence de celui-ci, parti avec une autre femme peu après sa naissance. C’est là qu’il apprend à lire et découvre l’univers de la littérature avec Alexandre Dumas, Jules Verne, et Victor Hugo. « C’est ce qui m’est arrivé de plus important dans la vie » a-t-il confessé devant l‘Académie suédoise le 7 décembre dernier. En 1948, la famille retourne au pays, s’installant sur la côte, à Piura, puis enfin dans la capitale. C’est à cette époque qu’il retrouve son père, retrouvailles qui se transformeront pour lui en drame intime sur fond d’incompréhension mutuelle. En effet, inquiet pour l’avenir d’un fils à la vocation poétique précoce, M. Llosa père décide de scolariser le jeune Mario dans un collège militaire. L’enfermement et la discipline deviendront pour lui un enfer quotidien dont il fera la matière de son premier roman (La ville et les chiens). Après cette douloureuse expérience au collège Leoncio Prado, il décide de s’inscrire dans une université publique contrairement aux fils de bonnes familles liméniennes. Il y étudie la littérature et le droit, découvre le marxisme et Sartre, et intègre un mouvement estudiantin, organe clandestin du Parti communiste. Pendant cette période, comme journaliste et militant de gauche, il combat la dictaure du général Manuel Odría (1949-1957). Une expérience qui nourrira un de ses futurs grands romans à la trame politique (Conversation à la cathédrale). Après un court passage à Madrid afin de rédiger une thèse de doctorat, il atterrit à Paris où il s’installe dans une mansarde du VIe arrondissement. C’est là que sa vocation littéraire va véritablement se fortifier et où il achève sa première tentative romanesque. Il n’a que 23 ans. Tout en travaillant à Radio France comme locuteur, il dévore Flaubert, se passionne pour la controverse entre Sartre avec Camus, le libertaire solaire qui influencera son parcours intellectuel et l’éloignera du froid dogmatisme sartrien. C’est à Paris aussi que naîtra son amitié avec d’autres jeunes écrivains d’Amérique latine : l’Argentin Julio Cortázar, le Mexicain Carlos Fuentes, ou le Colombien Gabriel Garcia Marquez, quartet littéraire à l’origine du « boom latino-américain », 1 mouvement littéraire qui contribuera à sortir la littérature hispano-américaine de son folklorisme sans pour autant ignorer le contexte socio-politique du sous-continent. D’ailleurs, tous partagent le même enthousiasme pour la jeune révolution cubaine. La ville et les chiens, premier roman de Vargas Llosa, sort en 1963. Vision sombre et critique acerbe du Pérou d’alors à travers la micro-société brutale d’un collège militaire, il ouvre une nouvelle voie dans la littérature péruvienne et latino-américaine aussi bien dans la forme que dans le fond. Son talent de narrateur mais aussi son art de la construction inspiré des techniques modernes du récit lui valent les éloges de la presse qui le considère d’emblée comme une œuvre novatrice. Mario Vargas Llosa n’a pas encore 30 ans, un seul roman à son actif et on le propulse chef de file du « boom latino- américain ». Il est même le centre d’une polémique au Pérou pour avoir attaqué l’institution militaire, accusé d’avoir été stipendié par l’Equateur pour fragiliser l‘armée péruvienne. Il racontera plus tard que « le livre a été brûlé, très officiellement, dans la cour du collège au cours d'une cérémonie expiatoire. Cent exemplaires sont ainsi partis en fumée. Mais le livre n'ayant pas été interdit, il est devenu rapidement très populaire, à ma grande surprise et à celle de mon éditeur ! ». Fort de cette notoriété, il retourne dans son pays natal quelques années plus tard afin de s’immerger dans la lointaine et méconnue région amazonienne. Séjour qui donnera naissance à La Maison verte (1965), récit ambitieux aussi touffu que la forêt équatoriale où il se déroule en partie, dans lequel il affermit sa technique des « narrations télescopiques » ou des « vases communicants » selon ses propres termes. Ce procédé inauguré dans La Ville et les chiens et inspiré de Faulkner dont il fera ensuite sa « marque », consiste à entrecroiser simultanément plusieurs histoires se déroulant en des espaces et temporalités différents. Ce deuxième roman le confirme comme un écrivain majeur des lettres hispaniques et lui vaudra son premier prix, le prix international de littérature Romulo Gallegos en 1967. Le discours qu’il prononce à cette occasion à Caracasest resté fameux, notamment pour la définition qu’il y donnait de la littérature et sa conception libertaire du rôle de l’écrivain : « la littérature est feu, cela signifie inconformisme et rebellion, la raison d’être de l’écrivain est la protestation, la contradiction et la critique ». Des propos qui, plus de quarante ans après, résonneront encore dans son « Eloge de la lecture et de la fiction » à Stockholm : « Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l’esprit critique, moteur du progrès, n’existerait même pas. » Pourtant à cette époque, s’il défend les prisonniers politiques au Pérou aux côtés de Sartre et Simone de Beauvoir, il n’a pas encore pris ses distances avec la révolution cubaine qu’il admire toujours. Il voyage à La Havane et participe même au conseil de rédaction de la revue d’Etat Casa de las Americas. Il faudra attendre « l’affaire Padilla », du nom de ce poète cubain emprisonné en 1971 pour ses « écrits subversifs », pour que Vargas Llosa prenne enfin conscience du caractère totalitaire du régime cubain et rompe définitivement avec son engagement castriste. Ainsi qu’il l’a lui-même explicité, lors de son discours de Nobel, « revenu de l’étatisme et du collectivisme, mon passage au démocrate et au libéral que je suis – que je 2 tente d’être – a été long, difficile, et réalisé lentement […] ». Au tournant des années soixante-dix, Mario Vargas Llosa est un écrivain reconnu dont la conscience politique va évoluer progressivement à la faveur d’événements historiques marquants (le printemps de Prague en 1968), de témoignages littéraires poignants (L’Archipel du goulag de Soljenitsyne en 1973) et d’analyses politiques pénétrantes, celles de Raymond Aron et de Jean- François Revel notamment . « Ces maîtres furent un exemple de lucidité et de hardiesse a-t-il avoué sans ambages en Suède quand l’intelligentsia de l’Occident semblait, par frivolité ou opportunisme, avoir succombé au charme du socialisme soviétique ou, pire encore, au sabbat sanguinaire de la révolution culturelle chinoise ». Mais pour l’heure, il est encore concentré sur le contexte politique péruvien. En 1969 paraît son troisième roman, un récit encore plus ambitieux et monumental que les précédents : Conversation à la cathédrale. Ecrite entre Paris, Lima, Washington et Londres, cette vaste fresque politico-sociale, polyphonique et fragmentée en quatre récits indépendants de près de 800 pages s’avère en grande partie autobiographique. Souvenir de ses années de militant communiste sous la dictature du général Odría, l’écrivain y met en scène de manière à peine voilée la corruption et la répression qui sévit au Pérou sous la férule d’un dictateur invisible. L’œuvre s’inscrit dans la tradition romanesque des grandes œuvres politiques latino-américaines inaugurée par Miguel Angel Asturias (Monsieur le Président, 1946) et que poursuivront Augusto Roa Bastos (Moi, le Suprême, 1974), Gabriel Garcia Marquez (L’Automne du patriarche, 1975). Selon l’aveu même de l’écrivain, aucun autre livre ne lui aura donné autant de travail et il serait celui qu’il sauverait du feu en cas d’incendie. Après ces romans volumineux au réalisme magique et social typiquement latin, Mario Vargas Llosa va ensuite s’essayer à des récits au ton plus léger sans pour autant abandonner ses prétentions littéraires et politiques : Pantaléon et les Visiteuses (1973), satire de l’armée et de la religion au Pérou tirée une fois encore de son séjour amazonien ; La Tante Julia et le scriboullard (1977), uploads/Litterature/ vargas-llosa-nobel-et-eternel-rebelle-v2.pdf

  • 36
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager