1 Tatiana MILLIARESSI M1 S1 Langues et sociétés Option « Traduction et médiatio
1 Tatiana MILLIARESSI M1 S1 Langues et sociétés Option « Traduction et médiation linguistique » BCC3 UE2 ASPECTS CULTURELS DE LA TRADUCTION Section 1 : Traductologie et philosophie 1. INTRODUCTION La traductologie est interdisciplinaire : elle comprend aussi bien les aspects culturels que les aspects linguistiques de la traduction. Les aspects culturels impliquent la connaissance et l’analyse contrastive des cultures, des comportements (par exemple : compréhension de la politesse, du dicible, du positif et du négatif dans des cultures différentes), la vision, la connaissance et la compréhension du monde différentes. La façon de voir le monde et de le comprendre influencent non seulement la traduction individuelle, mais aussi la traductologie. Qu’est-ce qu’on comprend quand on traduit ? La compréhension absolue est-elle possible ? Est-ce que le texte traduit est le même texte que le texte original ? Des philosophes et des linguistes essaient de répondre à ces questions à travers leurs approches relativistes (2) ou universalistes (3). 2. APPROCHES RELATIVISTES : HERMENEUTIQUE L’herméneutique (du grec hermeneutikè, ἑρμηνευτική [τέχνη], art d'interpréter, hermeneuein signifie d'abord « parler », « s'exprimer » et du nom du dieu grec Hermès, messager des dieux et interprète de leurs ordres) est la théorie de la lecture, de l'explication et de l'interprétation des textes. 2.1. Friedrich Schleiermacher (1768-1834)1 Selon Schleiermacher, il existe deux méthodes de traduire : 1) amener le lecteur à l’auteur ; 2) amener l’auteur au lecteur. 2.2. Wilhelm von Humboldt (1767-1835)2 Antinomies (ou les deux contraires sont interdépendants et l’un n’existe pas sans l’autre). En voici quelques-unes : 1 Voir : F. D. E. Schleiermacher, Herméneutique, tr. fr. Ch. Berner, Paris, Cerf – Lille : Presses Universitaires de Lille, 1989 ; Voir : Ch. Berner, « Les raisons de traduire. Quelques réflexions à partir de Schleiermacher », dans Ch. Berner & T. Milliaressi (éds), La traduction : philosophie et traduction, Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2011, p. 41-56. 2 Voir : W. von Humboldt, Sur le caractère national des langues et autres écrits sur le langage, tr. fr. D. Thouard, Paris : Éditions du Seuil, 2000. 2 1) La langue et la pensée ; 2) La langue est en même temps une activité (en cours) et une œuvre (achevée) ; 3) La langue et la parole ; 4) La parole et la compréhension ; 5) Le subjectif et l’objectif dans la langue ; 6) Le collectif et l’individuel ; 7) La rigueur et la liberté ; 8) Le statique et le dynamique, et autres. 2.3. Wilhelm Dilthey (1833-1911)3 Il poursuit l’herméneutique de Schleiermacher en s’intéressant à la sociologie : le sujet et l’histoire. Dilthey appelle le processus de recherche cercle herméneutique (explication – interprétation – compréhension) (l’idée du cercle était présente chez Schleiermacher, mais c’est Dilthey qui la formule clairement). 2.4. Martin Heidegger (1889-1976)4 Sein und Zeit, Être et Temps. Heidegger emploie le terme Destruktion qui ne signifie pas la destruction de l’objet même, mais l’enlèvement progressive de chaque couche de sens dérivés et déviés tout le long de l’évolution de la pensée philosophique, qui cachent l’objet originaire et obscurcissent sa compréhension. La langue influence la pensée. 2.5. Hans-Georg Gadamer (1900-2002)5 Gadamer est disciple d’Heidegger, publie Vérité et méthode (Wahrheit und Methode, 1960). Il tente de distinguer le processus d'interprétation de l'œuvre dans la lecture des textes philosophiques et toute forme de méthode et de connaissance propre aux sciences exactes. Pour Gadamer, l'art est la mise en œuvre de la vérité. Gadamer s’oppose à Dilthey : ce n’est pas le subjectif, l’individuel qui donne accès à la compréhension du passé, mais l’abandon de tous liens actuels avec le passé historique permet de déceler sa nature véritable. 2.6. Antoine Berman (1942-1991)6 L’Épreuve de l’étranger (1984), théorie allemande de la traduction. « Sur le plan psychique, le traducteur est ambivalent. Il veut forcer des deux côtés, forcer sa langue et se lester d’étrangeté, forcer l’autre langue à se dé-porter dans sa langue maternelle » 3 Voir : W. Dilthey, Introduction à l’étude des sciences humaines : essai sur le fondement qu’on pourrait donner à l’étude de la société et de l’histoire, tr. fr. L. Sauzin, Paris : PUF, 1942 ; S. Mesure, Dilthey et la fondation des sciences historiques, Paris : PUF, 1990. 4 M. Heidegger, Être et Temps, tr. fr. E. Martineau, Paris : Authentica, 1985. 5 H.-G. Gadamer, Vérité et Méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, tr.fr. P. Fruchon, J. Gribdin & G. Merlio, Paris : Seuil, 1996. 6 A. Berman, L’Épreuve de l’étranger : Cultures et tradition dans l’Allemagne romantique : Herder, Goethe, Schlegel, Novalis, Humboldt, Schleiermacher, Hölderlin, Paris, Gallimard, 1984. 3 Selon Berman, la théorie allemande se construit contre les traductions à la française. 3. APPROCHES UNIVERSALISTES 3.1. Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), philosophe, mathématicien, logicien et philologue allemand pose : l’« idée de caractéristique universelle, qui ne vise pas moins qu’à composer un lexique universel des idées simples, complété par un recueil de toutes les règles de composition entre ces véritables atomes de la pensée. » (Thomas 2011 : 31)7 3.2. Emmanuel Kant (1724-1804) : philosophie de la connaissance développée dans Critique de la raison pure (1781) (« que puis-je savoir ? »). Il postule l’universalité de la raison. 3.3. Friedrich Nietzsche (1844-1900) L’étrange air de famille de toutes les manières de philosopher, indiennes, grecques, allemandes s’explique assez facilement. Là où se trouve une parenté linguistique, il est absolument inévitable que du fait de la philosophie commune de la grammaire – je veux dire du fait de la domination et de l’aiguillage inconscients exercés par de mêmes fonctions grammaticales – tout soit préparé d’emblée pour une évolution et une succession semblables des systèmes philosophiques : de même que la voie semble barrée à certaines autres possibilités d’interpréter le monde. Il est très probable que des philosophes du domaine linguistique ouralo- altaïque (dans lequel le concept de sujet est le moins développé) porteront « sur le monde » un regard autre et s’engageront dans d’autres sentiers que les Indo-Européens ou les Musulmans. Le charme exercé par des fonctions grammaticales déterminées est en dernière analyse le charme exercé par des jugements de valeur physiologiques […]8. Nietzsche critique les traductions allemandes, reproche à ces traducteurs de fondamentalement mal écrire9. Il souligne l’importance à accorder, en lisant comme en traduisant, au rythme, à la respiration, à la dimension corporelle ou incarnée d’une écriture. 3.4. Paul Ricœur (1913-2015)10 […] ou bien la diversité des langues exprime une hétérogénéité radicale – et alors la traduction est théoriquement impossible ; les langues sont a priori intraduisibles l’une dans l’autre. Ou bien la traduction prise comme un fait s’explique par un fonds commun qui rend possible le fait de la traduction ; mais alors on doit pouvoir soit retrouver ce fonds commun, et c’est la piste de la langue originaire, soit le reconstruire logiquement, et c’est la piste de la langue universelle. (p. 25-26) L’écart entre l’adéquation et l’équivalence, l’équivalence sans adéquation. En dépit de l’agonistique qui dramatise la tâche du traducteur, celui-ci peut trouver son bonheur dans […] l’hospitalité langagière. » (p. 19) Abandonner le rêve de la traduction parfaite reste l’aveu de la différence indépassable entre le propre et l’étranger. (p. 42) 4. ÉCOLE ALLEMANDE ET ECOLE FRANÇAISE : SOURCIERS ET CIBLISTES Ce sera toujours une question difficile à résoudre, que celle de savoir comment on doit traduire en français un écrivain allemand. Doit-on élaguer çà et là des pensées et des images, quand elles ne répondent pas au 7 F. Thomas, « ″Introduire le sauvage allemand dans le beau monde parisien″ : l’enjeu éthique et politique de la traduction dans le débat entre les lumières et le Romantisme allemand », dans Ch. Berner & T. Milliaressi (éds), La Traduction : philosophie et tradition, Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2011, p. 147- 162. 8 F. Nietzsche, Par-delà bien et mal (Livre I, § 20), tr. fr. P. Wotling, 2000, p. 68. 9 Nietzsche, « Einleitung in das Studium der platonischen Dialoge », Nietzsche Werke. Kritische Gesamtausgabe, 1995, p. 10. 10 P. Ricœur, Sur la traduction, Paris : Bayard, 2004/2008. 4 goût civilisé des Français et lorsqu'elles pourraient leur paraître une exagération désagréable ou même ridicule ? ou bien faut-il introduire le sauvage Allemand dans le beau monde parisien avec toute son originalité d'outre-Rhin, fantastiquement colorié de germanismes et surchargé d'ornements par trop romantiques ? Selon mon avis, je ne crois pas qu'on doive traduire le sauvage allemand en français apprivoisé, et je me présente ici moi-même dans ma barbarie native. […] Le style, l'enchaînement des pensées, les transitions, les brusques saillies, les étrangetés d'expression, bref, tout le caractère de l'original allemand a été, autant que possible, reproduit mot à mot dans cette traduction française des Reisebilder. […] C'est maintenant un livre allemand en langue française, lequel livre n'a pas la prétention de plaire au public français, mais bien de faire connaître à ce public une originalité étrangère. […]. C'est de cette manière que nous avons, nous autres Allemands, traduit les écrivains étrangers, et cela nous a profité : nous y avons gagné des uploads/Philosophie/ aspects-culturels-de-la-traduction-1.pdf
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- Publié le Mar 30, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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