Philopsis La démonstration Jean-Gérard Rossi.doc © Delagrave Édition 2001 1 La

Philopsis La démonstration Jean-Gérard Rossi.doc © Delagrave Édition 2001 1 La démonstration Russell, Critique de Kant Jean-Gérard Rossi Philopsis : Revue numérique http ://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduc- tion intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Tout en reconnaissant l’importance historique de Kant présenté à plu- sieurs reprises comme le fondateur de l’épistémologie moderne, Russell n’a cessé d’émettre tout au long de sa carrière philosophique, des jugements très sévères sur l’auteur de la Critique de la Raison pure. Ces jugements peuvent paraître excessifs, hâtifs, à l’emporte pièce (« Kant fut une pure calamité », « Kant me rend malade ») mais rien ne serait plus erroné que d’y voir l’expression d’une méconnaissance, voire le fruit d’une lecture hâtive de l’oeuvre kantienne. Le jeune Russell, comme en témoigne l’Essai sur les Fondements de la Géométrie de 1897, avait étudié avec grand soin la philo- sophie critique, s’était efforcé de l’ « évaluer » à l’aune de ce qui constituait à l’époque la « modernité », à savoir la « métagéométrie » et la logique néo- hégélienne de Bradley et de Bosanquet. Le trait remarquable c’est que le ju- gement porté sur Kant par Russell demeurera à peu près le même dans ses grandes lignes lors même que Russell aura abandonné l’« idéalisme » de sa jeunesse, aura profondément modifié ses conceptions philosophiques et aura trouvé de nouvelles raisons de s’opposer à la philosophie kantienne. Toujours néanmoins Kant sera loué pour avoir insisté sur la notion d’a priori mais blâmé d’en avoir donné une version trop psychologique, trop empirique. Ce que Russell reproche à Kant, de l’Essai sur les Fondements de la Géométrie à Human Knowledge son dernier grand ouvrage philosophique, daté de 1948, c’est d’être trop subjectif, c’est de permettre que la description du monde soit déterminée par la connaissance humaine. Cette constance dans la critique de la philosophie kantienne ne fait peut-être que renvoyer à ce qui constitue l’unité même de la pensée russellienne, à travers tous ses aléas, à savoir son réalisme. Philopsis La démonstration Jean-Gérard Rossi.doc © Delagrave Édition 2001 2 Nous commencerons par étudier la position défendue par Russell dans l’Essai sur les Fondements de la Géométrie. C’est sans doute dans cet ou- vrage que l’analyse de la philosophie kantienne est la plus approfondie et que Russell témoigne le plus de « sympathie » pour la philosophie critique. C’est dans le cadre de cette analyse que se nouent en fait les principaux élé- ments de l’appréciation de la philosophie kantienne par Russell. Nous essaierons de repérer ensuite, à travers l’évolution de la philoso- phie russellienne, les divers éléments de la critique adressée à Kant, surtout de déterminer le sens et la portée des nouveaux arguments allégués à son en- contre. Ceci nous permettra de déceler à travers la volonté de répondre à Kant le souci de constituer une philosophie de substitution. I. RUSSELL, LECTEUR DE KANT : Couturat ne s’y trompe pas qui, dans sa recension de l’ouvrage, définit l’Essai sur les Fondements de la Géométrie de Russell comme « l’esthétique transcendantale de Kant, revue, corrigée et complétée, à la lumière de la Mé- tagéométrie » (in Revue de Métaphysique et de Morale. 1898, 6, p. 355). La question est effectivement pour Russell d’évaluer la théorie kantienne de la connaissance à la lumière des développements des mathématiques au cours du XIXème siècle, en particulier des géométries non-euclidiennes et de la géométrie projective. Il faut souligner que ce type de question était au centre des préoccupa- tions de beaucoup d’auteurs à l’époque, comme l’ont bien montré de récen- tes études consacrées à la phase « idéaliste » de la pensée russellienne (nous citerons en particulier Russell’s Idealist Apprenticeship de N. Griffin - Ox- ford - 1991 et Russell Idealism and the Emergence of Analytic Philosophy de Peter Hylton - Oxford 1990. Le problème posé par les géométries non-euclidiennes c’est que divers espaces étant construits à partir d’axiomes différents la thèse selon laquelle l’espace euclidien est le seul espace à envisager perd de sa plausibilité. Or lorsque Kant pour expliquer le caractère apodictique des propositions de la géométrie (euclidienne, bien entendu, puisqu’il ne peut en connaître d’autres) présuppose un espace doté d’un certain nombre de propriétés ; cet espace est l’espace euclidien, et le caractère nécessaire de ces propriétés est expliqué par le fait qu’il y a une intuition a priori de l’espace. En d’autres termes, la constitution même de notre esprit nous conduit à penser les phé- nomènes dans le cadre de l’espace euclidien, ce qui peut expliquer le carac- tère nécessaire de la géométrie (euclidienne). Si donc il y a d’autres géomé- tries la question se pose de savoir si elles ont elles aussi un caractère apodic- tique (en quel sens ?) et si il leur correspond également une intuition. Aux yeux de beaucoup l’existence même d’une métagéométrie (c’est-à-dire des géométries non-euclidiennes) indique clairement que l’espace euclidien étant Philopsis La démonstration Jean-Gérard Rossi.doc © Delagrave Édition 2001 3 un espace parmi d’autres, il n’y a pas lieu de le rattacher à quelque chose de nécessaire. Kant semble donc condamné. On a pu ainsi croire que la Métagéométrie est de nature à ruiner la théorie kantienne de la connaissance. La géométrie euclidienne ayant perdu de son exclusivité et son apodicticité, la théorie ad hoc élaborée par Kant pour justement rendre compte du caractère nécessaire et a priori des propo- sitions de la géométrie euclidienne semble devoir perdre du même coup toute justification, voire toute raison d’être. La position de Russell est beaucoup plus nuancée que celle de nombre de ses contemporains. Russell continue de prendre au sérieux la philosophie kantienne et à ses yeux l’importance de Kant reste incontestable : « vraies ou fausses ses opinions sur la géométrie ont contribué à former les opinions et à régler le mode d’exposition de presque tous les auteurs récents » (Essai sur les Fondements de la Géométrie. p. 69). Son analyse de la position kantienne est approfondie. Russell souligne que l’argumentation kantienne est double : Kant utilise la déduction transcendantale et la déduction métaphysique et il ne saurait être question de les traiter de la même manière. Partant du fait que la géométrie euclidienne (la seule envisagée à son époque) est apodictique (tout au moins le croit-il) Kant remonte jusqu’à ses conditions de possibilité et en infère que l’espace doit être a priori et subjec- tif. C’est là la déduction transcendantale, la théorie de l’espace y est dérivée du caractère apodictique de la géométrie. Elle est seule à apparaître dans les Prolégomènes et elle est utilisée dans la Seconde Préface de la Critique de la Raison Pure conjointement avec la déduction métaphysique. Avec cette der- nière l’a prioricité et la subjectivité de l’espace sont prouvées indépendam- ment de la géométrie. Telle est la présentation de Russell. Elle est, on le voit, fidèle au texte kantien et n’en constitue en aucune manière une simplifica- tion. Or nous ne pouvons plus affirmer le caractère apodictique de la géo- métrie euclidienne. L’argument tiré de la géométrie est donc bel et bien rui- né par la Métagéométrie, tant du moins qu’il concerne les propriétés appar- tenant à l’espace euclidien. Mais Russell n’en conclut pas pour autant que la Métagéométrie invalide la théorie kantienne. Il note simplement qu’elle rend caduque et inopérante la déduction transcendantale de l’espace. Quant à la déduction métaphysique « elle conserve autant de force qu’elle en a jamais pu avoir » (Essai sur les Fondements de la Géométrie. p. 72). On ne peut pas la réfuter pour des raisons purement géométriques. « La thèse de Kant ne peut être renversée par la géométrie seule » (Essai sur les Fondements de la Géométrie. p. 72). Si on veut l’attaquer il faut mettre en cause la doctrine des jugements synthétiques et des jugements analytiques et réfuter les deux pre- miers arguments de l’esthétique transcendantale, à savoir l’argument en ver- tu duquel pour que je puisse me représenter les choses comme extérieures à moi et extérieures les unes aux autres il faut que je possède déjà la représen- tation de l’espace et l’argument selon lequel nous pouvons imaginer l’espace vide mais non pas l’absence d’espace. De ces deux arguments en faveur du Philopsis La démonstration Jean-Gérard Rossi.doc © Delagrave Édition 2001 4 caractère a priori de l’espace, Russell ne retient que le premier, le second étant manifestement faux. En ce qui concerne la doctrine des jugements synthétiques et des ju- gements analytiques Russell entreprend de la réfuter du point de vue de la logique néo-hégélienne de Bradley et de Bosanquet qui, en 1897, lui semble constituer un horizon indépassable. Ces logiciens modernes (entendons par là Bradley et Bosanquet), nous dit Russell, ont rejeté la doctrine des juge- ments analytiques et des jugements synthétiques ainsi que celle, corrélative, de la distinction entre sujet et prédicat (les jugements analytiques étant ceux dans lesquels le prédicat est uploads/Philosophie/ rossi-jean-gerard-russell-critique-de-kant.pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager