LES PRATIQUES FUNÉRAIRES À L'ÂGE DU BRONZE EN FRANCE Actes de la table ronde de

LES PRATIQUES FUNÉRAIRES À L'ÂGE DU BRONZE EN FRANCE Actes de la table ronde de Sens-en-Bourgogne (Yonne) Sous la direction de Claude Mordant et Germaine Depierre Paris Éditions du CTHS Sens-en-Bourgogne, Société archéologique de Sens 2005 ETHNOLOGIE ET ARCHÉOLOGIE DE LA MORT : DE L'ILLUSION DES RÉFÉRENCES A L'EMPLOI D'UN VOCABULAIRE Bruno BOULESTIN* et Henri DUDAY* Mots clés Archéologie funéraire, ethnologie funéraire, sépulture, primaire, secondaire, funérailles. Résumé Il existe entre l'ethnologie et l'archéologie de la mort un véritable fossé qui tient à l'impossibilité de passer directement, sans interprétation subjective, des observations de terrain à la restitution des pratiques, puis de celles-ci aux pensées qui les ont gui- dées. Ce décalage a des conséquences importantes sur le vocabulaire de l'archéologie funéraire, qui s'appuie sur une typologie se référant essentiellement à des observations ethnologiques. Les auteurs proposent de reconsidérer en conséquence l'emploi de certains termes, afin qu'il soit plus conforme à la démarche qui doit présider à notre recherche. Keywords Funerary archaeology, funerary ethnology, burial, primary, secondary, funeral ceremony. Abstract There exists a real divide between Ethnology and the Archaeology of death that arises from the impossibility to pass directly and without subjective interpretation from observations made in the field to the restitution of practices and then on to the throught processes that have guided these practices. This difference has important consequences on archaeological and funerary vocabu- lary that cornes from a typology referenced essentially from ethnological observations. The authors propose to reconsider the use of certain terms so that they conforme more to the tools necessary in our research. • Laboratoire d'anthropologie, UMR 5809 du CNRS, Université de Bordeaux I et UMR 6566 du CNRS, Université de Rennes I ; 16 rue Paul Bert, 94 130 Nogent-sur-Marne. ** Laboratoire d'anthropologie, UMR 5809 du CNRS, Université de Bordeaux I, avenue des Facultés, 33 405 Talence cedex.. 17 « Chacun de nous croit savoir d'une manière suffisante ce que c'est que la mort... » R. HERT. (1907). L'archéologie funéraire a connu, durant ces der- nières années, un développement considérable et elle tend enfin à gagner dans la recherche archéologique une place digne de son importance. Paradoxalement, la notion même de sépulture, principal objet de son étude, n'a jus- qu'à présent été que fort peu discutée et sa simple défini- tion soulève aujourd'hui encore des difficultés notables1. En l'absence de consensus sur le vocabulaire et les cri- tères de détermination, il est probable que les erreurs dans la reconnaissance même des sépultures ne soient pas rares, que ce soit par excès ou par défaut. Certes, les rites funéraires documentés à travers le monde reposent tous sur deux grands principes de base, la gestion du cadavre et la gestion de la séparation ; mais leur extrême variabi- lité se traduit par un polymorphisme des gestes, de sorte que dans les fouilles archéologiques, il n'est pas toujours évident que l'on a bien à faire à une sépulture, loin s'en faut. À ces difficultés, s'ajoutent naturellement celles que peut induire la mauvaise préservation des sites ou des vestiges. Au-delà des problèmes d'identification, intervient l'interprétation des pratiques funéraires : nous ne dispo- sons en effet que de témoignages matériels indirects – position du squelette, aménagements de la tombe, maté- riels associés... –, données observées que nous cherchons à corréler aux gestes originels. Cette opération se traduit par des propositions qui n'ont évidemment pas valeur de démonstration : il s'agit d'hypothèses interprétatives et non de déductions certaines. Cette situation n'est pas spé- cifique au monde de la mort, et la démarche archéolo- gique générale consiste ensuite à classer les diverses pro- positions en fonction du principe de l'économie d'hypo- thèses : on dégagera ainsi l'hypothèse «la moins coûteu- se» en fonction de critères pragmatiques. Fonder notre raisonnement sur la logique que nous prêtons à une popu- lation passée constitue pourtant en soi une hypothèse lourde, sans doute acceptable pour des faits régis par des contraintes essentiellement matérielles ou techniques, mais très vite dénuée de sens lorsque celles-ci s'effacent devant les obligations que dicte la pensée religieuse : on ne peut pas interpréter un gisement funéraire comme un atelier... Dans le domaine funéraire, les archéologues ont depuis longtemps élaboré une typologie qui se voudrait calquée sur les observations de l'ethnologie, et ce, bien évidemment, dans le but d'inférer les pratiques des popu- lations anciennes de modèles historiques ou contempo- rains documentés. Ainsi, les publications archéologiques ou anthropologiques sont-elles parsemées de qualificatifs tels que «primaire» ou «secondaire», «collectif» ou «mul- tiple» 2, lesquels sont censés décrire non seulement la tombe, mais bien les pratiques funéraires dont elle reste le seul témoin : dire d'une sépulture qu'elle est «primaire» ou «secondaire» ne définit pas une propriété intrinsèque de la structure, mais présuppose ce que purent être les funérailles qui s'y associèrent (en l'occurrence simples ou doubles). Ce vocabulaire est universellement répandu depuis plus d'un siècle et cependant, qu'il s'agisse de la reconnaissance des sépultures ou d'une classification des pratiques funéraires, il est d'un emploi au mieux délicat, au pire périlleux, dans tous les cas peu compatible avec la logique qui devrait présider à toute démarche scienti- fique. Les termes qui le composent sont en réalité disso- ciés des données de l'ethnologie, et, surtout, l'interpréta- tion directe des observations archéologiques en terme de pratiques ethnologiques oblige la plupart du temps à recourir à des hypothèses parfaitement invérifiables. Si nous voulons que notre recherche ait un sens, il faut impérativement qu'elle reste en accord avec les réa- lités sociales, culturelles et/ou religieuses et nous permet- te ainsi d'approcher véritablement les comportements et, si possible, les modes de pensée des populations du passé : il est donc indispensable que nous reconsidérions le lexique de base par lequel s'exprime, mais aussi sur lequel repose notre raisonnement en archéologie funérai- re. Cette démarche nous demande à la fois de mieux défi- nir certaines notions, de restreindre l'emploi de certains termes, voire d'en abandonner certains au profit d'autres qui soient plus conformes aux réalités archéologiques. I. LA PLACE DE L'ETHNOLOGIE DANS LE RÉFÉRENTIEL ARCHÉOLOGIQUE Pour les périodes historiques, les références qui s'imposent naturellement sont celles de textes traitant, plus ou moins exactement, de la population concernée par la fouille. Et bien que l'on note une légère évolution, l'in- terprétation des données du terrain reste encore aujour- d'hui très largement fondée sur les sources littéraires ou iconographiques (Philpott 1991 ; Alexandre-Bidon, Treffort 1993a ; Georges 1997 ; Alexandre-Bidon 1998). C'est en revanche très tôt, dès la seconde moitié du XIXe siècle, que les préhistoriens – et tout particuliè- rement ceux qui travaillaient sur le Paléolithique – se sont appropriés les observations rapportées par les eth- nologues (sans doute vaudrait-il mieux parler pour cette époque de voyageurs ou d'ethnographes). La précocité de cette démarche s'explique, bien entendu, par l'absen- ce de textes, d'où la nécessité de chercher ailleurs les 18 comparaisons ; son développement fut largement favori- sé par l'idée, alors tout à fait naturelle, mais qui nous paraît aujourd'hui fortement entachée de racisme, qu'il existait des peuples «primitifs», l'acception valant à la fois pour les aspects culturels et morphologiques. Pour expliquer des gestes mis en évidence par la fouille de sites occupés par l' «Homme primitif», il suffisait d'en rechercher les équivalents dans les «peuples primitifs» actuels3... Mutatis mutandis, cette démarche s'est large- ment perpétuée, pour atteindre son apogée au cours des dernières décennies avec l'archéologie processuelle et post-processuelle, donnant naissance à l'«interpretative theory» de D. Clarke (1973) ou à la «middle-range research» de L. Binford (1977 ; 1981, p. 21 et ss.). Les observations rapportées sur des groupes humains contemporains ont ainsi fait «fleurir» les interprétations dans les publications archéologiques : l'ethnologie a manifestement joué pour les préhistoriens le rôle que tenait l'histoire pour les antiquisants et les médiévistes, tandis que les protohistoriens oscillaient entre ces deux voies. Pour ce qui est de l'archéologie funéraire, le recours aux références ethnologiques est relativement mesuré en France, alors que, dans les pays de langue anglaise, l'essentiel de la recherche s'appuie toujours sur l'approche dite de Binford-Saxe : son objectif principal est de restituer l'organisation sociale des vivants à partir des pratiques funéraires (pour un aperçu résumé de cette recherche, voir par exemple Chapman 1987). Cette voie est sans doute justifiée en terme de paléosociologie et dans l'étude des techniques ; elle nous paraît beaucoup plus discutable en terme de palethnologie religieuse, car autant il semble plausible de raisonner sur des systèmes, autant il est illusoire de restituer la pensée qui a sous- tendu tel ou tel comportement. En fait, il existe entre la voie des textes et celle de l'ethnologie des différences absolument essentielles. Les premiers traitent de la population dont témoignent les vestiges archéologiques – il en va autrement pour la Protohistoire, c'est pourquoi celle-ci oscille entre les deux attitudes –, et les informations qu'ils livrent sont directement interprétables à condition qu'ils soient bien utilisés. Les références ethnologiques sont au contraire très éloignées des populations archéologiques, bien sou- vent dans l'espace (c'est surtout l'ethnologie «exotique» qui est exploitée), et toujours dans le temps. Dans le domaine de l'archéologie funéraire uploads/Philosophie/ boulestin-amp-duday-ethnologie.pdf

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