Histoire Épistémologie Langage Définition et métalangage : les arguments de Fre

Histoire Épistémologie Langage Définition et métalangage : les arguments de Frege contre la définition implicite John M. Vickers Citer ce document / Cite this document : Vickers John M. Définition et métalangage : les arguments de Frege contre la définition implicite. In: Histoire Épistémologie Langage, tome 1, fascicule 1, 1979. Sciences du Langage et Métalangage. pp. 39-44; doi : 10.3406/hel.1979.1030 http://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_1979_num_1_1_1030 Document généré le 15/06/2016 -39- DÉFINITION ET MÉTALANGAGE: les arguments de Frege contre la définition implicite. John M. VICKERS Ce mémoire (1) essaye de comprendre les résistances de Frege àla doctrine de la définition implicite, et par conséquent son choix d''une c~~ ception métalinguistique de la définition. Ces résistances se montrent, surtout, dans «Uber die Grundlagen der Geometrie » , où Frege critique les vues de Hilbert et de son école (2). Mais la position de Frege sur la définition, et la critique qu''il formule contre Hilbert, dépendent des principes fondamentaux de sa pensée. De plus, ses vues sur la définition, y compris notamment ses vues négatives, montrent que, de bien des façons, Frege rejoint la tradition classique. Dans les deux premières sections ci- dessous les théories classique et moderne de la définition sont esquissées. La troisième section comporte un examen de quelques thèses de Frege. 1. DÉFINITION ET SIMPLICITÉ DANS LA PENSÉE CLASSIQUE. Pour apprécier la théorie classique du langage et de la définition, nous commencerons par citer un argument assez connu de Locke : § . 5. Je ne m''arrêterai pas ici à prouver que tous les Modes ne peuvent point être définis, par la raison tirée du progrès à l''infini, où nous nous engagerions visiblement, si nous reconnaissions que tous les Mots peuvent être définis. Car où s''arrêter, s''il falloit définir les mots d''une Définition par d''autres mots? Mais je montrerai par la nature de nos idées, & par la signification de nos paroles, pourquoi certains noms peuvent être définis, & pourquoi d''autes ne sauroient l''être, & quels ils sont. § . 6. On convient, je pense, que Définir n''est autre chose que faire connoÎtre le sens d''un Mot par le moyen de plusieurs autres mots qui ne soient pas synonymes. Or comme le sens des mots n''est autre chose que les idées mêmes dont ils sont établis les signes par celui qui les emploie, la signification d''un mot est connue, ou le mot est défini dès que l''idée dont il est rendu signe, & à laquelle il est attaché dans l''esprit de celui qui parle, est, pour ainsi dire, représentée & comme exposée aux yeux d''une autre personne par le moyen d''autres termes, & que par- là la signification en est déterminée. C''est- là le seul usage & l''unique fin des Définitions, & par conséquent l''unique règle par où l''on peut juger si une Définition est bonne ou mauvaise. § . 7. Cela posé, je dis que les noms des Idées simples ne peuvent point être défi nis, & que ce sont les seuls qui ne puissent l''être. En voici la raison. C''est que les différens termes d''une Définition signifiant différentes idées, ils ne sauroient en aucune manière représenter une idée qui n''a aucune composition. Et par conséquent, une Définition, qui ° n''est proprement autre chose que l''explication du sens d''un mot par le moyen de plusieurs autres mots qui ne signifient point la même chose, ne peut avoir lieu dans les noms des Idées simples. (3) Première remarque sur cet argument : il ne semble pas être valide. Supposons, en effet, comme Locke aurait certainement accepté de le faire, que l''idée de bleu soit une idée simple. Pourquoi ne pourrions- nous pas défini~ le bleu comme «la couleur qui se situe entre vert et violet dans le spectre des couleurs » ? Locke nous dirait, bien sûr, que notre définition est sophistique, parce que l''expérience de la couleur bleue est unique et simple, et que nous ne saurions pas créer cette expérience à partir des expériences des autres couleurs. Acceptons cette réponse. Si elle montre que le mot bleu n''est pas définissable, elle le fait par le moyen de raisons psychologiques, -40- et elle ne touche pas notre objection au premier argument. Là il n''y avait rien de psychologique. Ce n''étaient pas des thèses psychologiques ou sensorielles que nous mettions en question, mais plutôt le principe qu''une idée simple ne peut s''exprimer que par un nom simple. Poursuivons encore un peu notre dialogue avec Locke. Nous pouvons deviner quelle serait sa prochaine réponse: à savoir, que, si nous pouvons construire des définitions comme celle donnée ci- dessus pour bleu, cette possibilité n''existe qu''à partir d''une infirmité de notre langue ordinaire; et que si cette langue était bien faite, ou logiquement parfaite, de telles définitions n''existeraient pas. li n''est pas difficile de voir quel est le sens de langue bien faite, ou langue logiquement parfaite, ici. C''est la caractéristique (4), une langue dont la structure nominale est isomorphique à la structure des idées. Les idées auront leur algèbre; quelques- unes feront partie des autres, certaines se chevaucheront, certaines en excluront d''autres, etc. Et ces deux algèbres, passant par la voie des compréhensions des idées, se!. ont - dans le cas d''une langue bien faite ou logiquement parfaite - isomorphiques. Une telle structure n''implique pas forcément la thèse de Locke; pour cela il nous faut supposer aussi l''existence des idées simples et des noms simples. Mais cela fait, l''argument de Locke est exact: Dans une langue où une idée simple ne peut s''exprimer que par un nom simple, nous ne pourrions jamais définir un tel nom dans le sens classique de la définition. Supposons qu''il y avait à l''origine de notre langue ordinaire et mal structurée une langue parfaite de ce genre - dont la structure suit celle des idées (5). Et posons- nous donc, à titre d''exercice, la question de la relation entre cette langue parfaite originelle et la langue fort imparfaite que nous parlons aujourd''hui. Nous pouvons imaginer une petite fable. Jadis tout le monde parlait la même langue, qui ~ xprimait dans son système nominal la structure de la pensée. Mais il y avait des noms complexes dont on se servait avec une telle fréquence que l''on fut amené, pûUï les besoins d''une communication plus rapide et efficace - et par le fait, peut- être, d''une certaine_ paresse - à introduire des abréviation~, des expressions plus courtes qui remplacèrent certaines expressions complexes, encombrantes, et souvent employées. Une telle abréviation est une définition nominale. En effet, notre petite histoire nous montre un cas paradigmatique de définition nominale: une telle définition est arbitraire, elle a un but uniquement pratique, elle n''est pas nécessaire, peut- être même pas exigée, mais au mieux elle facilitera la communication - au prix d''une certaine perte de cl~ rté ~ et au pire elle nous fera glisser dans une langue facile et obscure. Nous n''avons qu''à imaginer le passage de plusieurs générations, insuffisamment disciplinées dans leurs habitudes linguistiques, pour voir que très vraisemblablement les origines des abréviations seront perdues, et que le discours se coupera de ses rapports structurels et directs avec la pensée. Le rôle de la définition dans ce glissement vers l''obscurité est évident. C''est la possibilité de remplacer une expression par son definiens qui est aux racines du mal. Mais il faut aussi remarquer que si la définition nous donne cette maladie, elle peut être également notre meilleur outil dans Sa guérison. Pour rétablir la clarté dans l''expression linguistique de la pensée, il nous faut remonter des noms simples - des abréviations vers les noms complexes qu''ils abrègent. Et ce retour à la clarté ne peut se faire que par le moyen des définitions. Ce qui a été définition nominale dans la direction coml''lexe - simple sera définition réelle dans l''autre sens, c''est- à- dire quand nous trouvons l''expression exacte et complexe qui nous livre la signification d''un nom simple véhiculant une idée complexe. Nous pouvons voir à l''oeuvre dans cette petite histoire une bonne partie du concept classique de la définition. Il est important de remarquer que cette théorie ne peut pas se dégager de la théorie classique des idées. En dehors du domaine classique des idées, on ne pourrait mê. me pas la formuler. -41- 2. LA THÉORIE MODERNE DE LA DÉFINITION. Il n''est pas sans intérêt de se demander comment et pourquoi la théorie classique de la définition a perdu son influence. Pour répondre à cette question il faut la comparer avec la théorie moderne. D''abord, au centre des choses, tant du point de vue de la théorie classique que de celui de la théorie contemporaine, il y a la question de la définissabilité : quelles sont les choses qui sont ou qui ne sont pas définissables, et par quelles règles peut- on les distinguer les unes des autres. Ici la théorie classique et la théorie moderne se distinguent très nettement l''une de l''autre sur deux points. Premièrement, on ne fait plus référence ni aux idées ni à la simplicité dans le discours contemporain, tandis qu''à l''âge classique cette question de la définissabilité ne uploads/Philosophie/ definition-et-metalangage-les-arguments-de-frege-contre-la-definition-implicite.pdf

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