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Extrait de la publication Extrait de la publication Extrait de la publication THÉRÈSE PHILOSOPHE Extrait de la publication Extrait de la publication THÉRÈSE PHILOSOPHE ou Mémoires pour servir à l’histoire du Père Dirrag et de Mademoiselle Éradice Présentation, notes, chronologie et bibliographie par Florence LOTTERIE GF Flammarion À la mémoire de Véronique Goetsch-Lauglaney © Éditions Flammarion, Paris, 2007 ISBN : 978-2-0807-1254-7 978-2-08-125691-0 Extrait de la publication PRÉSENTATION La nature en criant ne réclame rien d’autre Sinon que la douleur soit éloignée du corps, Que l’esprit jouisse de sensations heureuses, Délivré des soucis et de crainte affranchi. Lucrèce, De la nature, chant II La Nature nous a tous créés uniquement pour être heureux ; oui tous, depuis le ver qui rampe jusqu’à l’aigle qui se perd dans la nue. Julien Offroy de La Mettrie, L ’Homme-machine (1747) Ah ! que la nature est un grand maître ! Diderot, Les Bijoux indiscrets (1748) Autour de 1870, Charles Monselet, connaisseur averti du « second rayon » du XVIIIe siècle, lance un prétendu inédit libertin : daté de 1787 et attribué à Sade, La Courtisane anaphrodite ou la Pucelle libertine, annoncé comme publié à « Avignon », haut lieu de l’édition clandestine au temps des Lumières, est un bel exemple de supercherie littéraire. Le tome IV des Œuvres anonymes du XVIIIe siècle, dans la collection fameuse de « L’Enfer de la Bibliothèque nationale », le propose à ce titre. Mais curieusement, il ne dit mot du contenu, pourtant aisément reconnaissable, de ce texte postiche : car il s’agit, à l’exception des phrases qui le raccordaient originellement à l’ensemble du roman et de quelques détails mineurs, d’un démar- 8 THÉRÈSE PHILOSOPHE quage du récit de la Bois-Laurier inséré au milieu de Thérèse philosophe. On mesure par là l’impact à longue portée de ce dernier, qui traverse ainsi plus d’un siècle de mémoire clandestine et se présente toujours, à l’aube de la IIIe République, comme un modèle à saisir… À la recherche d’un auteur perdu Bien des facteurs ont concouru à donner une sorte d’aura de légende à ce roman, à commencer par ses aventures éditoriales. Thérèse philosophe est un classique de l’édition clandestine d’erotica du XVIIIe siècle, sinon le classique. Ses complices en littérature interdite n’ont d’ailleurs pas manqué de lui rendre hommage. Le témoignage qu’on cite le plus souvent est celui de Sade, notamment parce qu’il a beaucoup fait pour l’attribution du texte à Boyer d’Argens. Dans l’Histoire de Juliette, l’héroïne éponyme, visitant la bibliothèque secrète du carme Claude, y découvre en effet l’« ou- vrage charmant du marquis d’Argens », qu’elle dis- tingue avec soin non seulement d’autres classiques por- nographiques bien connus des lecteurs du temps, mais encore de « ces misérables petites brochures, faites dans des cafés, ou dans des bordels, et qui prouvent à la fois deux vides dans leurs mesquins auteurs, celui de l’esprit et celui de l’estomac 1 ». Cette distinction aristo- cratique entre une sorte de caste supérieure de la litté- rature audacieuse et la plèbe constituée de ce que Robert Darnton a appelé la « bohème littéraire », si elle relève bien d’une réalité du champ littéraire où pullulè- rent rapidement, dans le sillage des grands succès édi- toriaux, des « pauvres diables » contraints à une poly- graphie souvent médiocre, marque aussi un mépris typiquement sadien. Michel Delon suggère d’y voir une sorte de stratégie de reprise, où l’écrivain s’assure sym- 1. Sade, Œuvres, III, éd. M. Delon, avec la coll. de J. Deprun, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, p. 591. Extrait de la publication PRÉSENTATION 9 boliquement une position « haute » dans la littérature en rendant hommage à un compagnon socialement et culturellement proche : le marquis d’Argens, fils d’un procureur au parlement d’Aix, issu comme lui de la bonne noblesse provençale, mais aussi noble déclassé par une vie passablement débauchée, peut apparaître comme un pair idéal 1. Pour autant, est-il vraiment res- ponsable de Thérèse philosophe ? Le livre ne porte pas de nom d’auteur, et n’a jamais été avoué par le principal intéressé. Rapportant, dans ses Mémoires, une visite faite en 1769 au marquis, qui lui offre à cette occasion des exemplaires de ses œuvres, Casanova ne mentionne pas ce roman, et ce n’est sûrement pas par pudeur. Qu’en penser ? L’histoire éditoriale de Thérèse philosophe relève à cet égard du cas d’école pour bibliophile opiniâtre. Les éditeurs modernes du texte, de Pascal Pia et Jacques Duprilot à Pierre Saint-Amand et François Moureau, ont tous souligné le caractère embrouillé et rocambolesque des circonstances qui présidèrent à la parution et à la traque policière de l’ouvrage, dont on n’est pas même certain qu’il n’ait pas cir- culé sous forme manuscrite avant 1748 2. Il n’est donc pas utile de revenir en détail sur ce qui a déjà été développé par d’autres et qu’on tâchera ici de résumer. L’affaire est d’abord intéressante en ce qu’elle montre bien comment peuvent se recouper, autour du 1. Michel Delon, « De Thérèse philosophe à La Philosophie dans le boudoir, la place de la philosophie », Romanistische Zeitschrift für Lit- teraturgeschichte, 1-2, 1983. 2. L’hypothèse est avancée par Michel Delon, art. cité. Raymond Trousson note pour sa part que les ouvrages cités par Thérèse à la fin du roman comme appartenant à la bibliothèque du comte datent au plus tard de 1747 (préface aux Romans libertins du XVIIIe siècle, Laffont, « Bouquins », 1993, p. 562). On peut se demander, à cet égard, pourquoi Pascal Pia suggère que le roman constituait sans doute non un inédit, mais « un article de librairie devenu rare » (pré- face à Thérèse philosophe, J.-C. Lattès, « Les Classiques interdits », 1979, p. 15). Il s’appuie seulement sur le fait que le roman paraît alors que l’affaire Cadière-Girard est vieille de dix-sept ans. Extrait de la publication 10 THÉRÈSE PHILOSOPHE livre interdit, des univers sociaux et des intérêts dont la collusion semblera souvent surprenante au lecteur contemporain. Au cœur de ce feuilleton éditorial, on trouve un aventurier déclassé et escroc à ses heures, lié aux milieux de la librairie clandestine, Xavier d’Arles de Montigny ; tout peu recommandable qu’il est, il béné- ficie de hautes protections, en particulier celle du prince de Conti. L’individu se retrouve ainsi en 1745 commissaire des Guerres dans l’armée du Rhin – il paraît qu’il y fait merveille – et envoyé l’année suivante comme espion à Liège où il a pour charge de débus- quer les agents autrichiens (le contexte est celui de la guerre de Succession d’Autriche). Lui vient alors l’idée lucrative de fournir l’armée en livres licencieux. Ces derniers ne peuvent évidemment pas espérer se voir attribuer le « privilège » donnant autorisation de publi- cation dans le royaume, ni même la « permission tacite ». Le Code de la Librairie de 1723 avait soumis à l’interdit les ouvrages censés menacer le triple ordre de la religion, de l’État et du roi, des mœurs, à quoi s’ajoutaient les ouvrages susceptibles de s’en prendre directement ou non à la « réputation » des personnes : le pouvoir a d’ailleurs toujours mis beaucoup d’énergie à poursuivre ces innombrables libelles ou pamphlets injurieux, comme le rappelle l’enquête de Barbara de Negroni 1. Quoi qu’il en soit, la définition des « mauvais livres » concerne directement un livre tel que Thérèse philosophe, d’autant que la répression des ouvrages « licencieux » ou « lascifs » se durcit autour de 1741 – date de publication du Portier des Chartreux, autre classique érotique du siècle –, et qu’en 1748 un autre ouvrage de la même veine, Margot la ravaudeuse, dû à Fougeret de Monbron, se trouve aussi poursuivi. Montigny, qui va financer – grâce à quel soutien ? – l’opération, se lie avec un libraire liégeois qui recrute des protes à Paris. Il s’agit de refaire une édition du Portier des Chartreux et d’y joindre un inédit, Thérèse 1. Lectures interdites : le travail des censeurs au XVIII e siècle : 1723- 1774, Albin Michel, 1995. Extrait de la publication PRÉSENTATION 11 philosophe, dont Montigny assure posséder le manus- crit de la main de l’auteur. Pour François Moureau, il y aurait donc eu une première édition « liégeoise », sans gravures, avant que le traité d’Aix-la-Chapelle, mettant fin à la guerre et, partant, à la présence fran- çaise sur place, supprime de fait le « marché » sur lequel comptait Montigny et incite le libraire à rapa- trier son fonds à Paris, afin de commercialiser – tou- jours clandestinement – le livre sur place. Montigny, soucieux du manque à gagner, ne l’entend évidem- ment pas de cette oreille : il prend contact de son côté avec des ouvriers imprimeurs revenus de Liège et lance une édition parisienne, avec gravures. Mais l’entreprise, comme souvent, est noyautée par des indicateurs de police et découverte en novembre 1748 1. Entre 800 et 900 exemplaires d’une édition qui, selon le chiffre avancé par François Moureau, en comporte 1 400, sont saisis en décembre. Montigny est embastillé en février de l’année suivante uploads/Philosophie/ therese-philosophe.pdf

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