1 Publié comme "Les origines de l'école éléates : Xénophane de Colophon" (tradu
1 Publié comme "Les origines de l'école éléates : Xénophane de Colophon" (traduction brièvement commentée des fragments, le grec n'a pas été imprimé), in Maîtrise du monde ou maîtrise de soi, De l'actualité de la sagesse gréco-romaine dans un monde déboussolé (Actes du colloque de Brest, 28 & 29 mai 2009), éds Y. Moraud & P. Nédélec, Abbaye de Daoulas, 2009 Xénophane de Colophon Les colonies grecques antiques ont accueilli ou donné naissance à nombre d'artistes talentueux dès l'époque la plus haute : qu'il fût de Chios ou de Smyrne, Homère (VIIIème siècle avant notre ère) était un micrasiate. Si Hésiode (VIII/VIIème siècles avant note ère) est né à Ascra en Béotie, son père venait de Kymé, en Eolie d'Asie. En Occident, Stésichore (VII/VIème siècle avant notre ère), le poète lyrique, serait né à Métauros en Grande Grèce1, puis aurait vécu à Himère, en Sicile, d'où il a reçu son toponyme. A l'opposé, Ibycos (VIème avant notre ère), autre poète lyrique, est né à Rhegion en Grande Grèce, puis a émigré vers l'Est, à Samos auprès du tyran Polycrate, cependant que Pythagore (VI/Vème siècles avant notre ère), l'inspiré, fuyait Samos où il était né pour tenter de s'installer à Crotone en Grande Grèce. C'est que les colonies grecques, colonies de peuplement, s'éparpillaient sur tout le pourtour de la Méditerranée et du Pont Euxin. Xénophane, lui, naît en Asie Mineure, à Colophon, au cœur de l'Ionie. Il s'en enfuit, vers l'âge 1 Le nom de Grande Grèce (Mégalé Hellas) apparaît pour la première fois, au deuxième siècle avant notre ère, dans les Histoires II 39, 1, 2 de Polybe, Arcadien de Mégalopolis (c. -200/c. -118). Il ne désigne alors que la partie méridionale de la péninsule italienne. Un siècle plus tard, Strabon (originaire d'Amasie, sur le Pont Euxin, ca.-64/ca.+19), dans sa Géographie VI 1, 2, 18, puis Appien (IIème siècle de notre ère), dans les Semitica 7, 1-2 de son Histoire romaine, englobe la Sicile dans la Grande Grèce. L'expression a fait l'objet d'une plaisanterie étiologique dans les Fastes IV 64 d'Ovide : Itala nam tellus Graecia major erat "car la Grèce était une terre plus grande que l'italienne". Mais, en prose latine, il faut attendre l'Histoire naturelle III 42, 5 et 95, 2 de Pline l'Ancien (+23/+79) pour trouver l'expression, appliquée à la seule Italie méridionale. H. Tréziny me signale l'article de G. Maddoli, "Megale Hellas : Genesi di un concetto e realtà storico politiche", atti del 21° convegno di studi sulla Magna Grecia, Megale Hellas, Nome e imagine, Taranto, 1981. 2 de 25 ans, en -546/-545, lorsque le roi de Perse, Cyrus, conquiert l'Asie Mineure. Il erre de ci de là en Méditerranée avant de s'installer à Zancle, puis à Catane, en Sicile, selon Diogène Laerce (IIème siècle de notre ère), Vies et doctrines des philosophes illustres IX, 18). Il n'est même pas certain qu'il ait mis les pieds à Elée en Lucanie2. Il n'est pas toujours rangé parmi les philosophes3, non pas parce qu'il compose des vers (hexamètres, distiques élégiaques, iambes), que parce que ses fragments n'ont ni la complexité formelle ni la puissante abstraction de ceux d'un Parménide ou d'un Empédocle. Cela n'a pas empêché Diogène Laerce de donner de ses pensées un résumé (une doxographie) squelettique et décevante (Vies et doctrines des philosophes illustres IX, 19-20)4. Si le le sceptique Timon de Phlionthe (c. -320/c. -230) fait son éloge : "Xénophane sans guère de présomption, éreinteur des tromperies d'Homère, lui qui a modelé le dieu séparé des hommes, en tout égal, <...> intact, plus intelligent que l'intelligence"5, Héraclite le vilipende :"Le savoir 2 H. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker, Berlin, 19031, 19516 (sixième édition revue et augmentée par W. Kranz), 21A1, volume I p. 113, suspectant une lacune dans les manuscrits de Diogène Laerce (Vitae Philosophorum, ed. M. Marcovich, Stuttgart et Leipzig, 1999, traduction française, Vies et doctrines des philosophes illustres, éd. M.-O Goulet-Gazé, J. Brunschwig et alii, Paris, Pochothèque, 1999), a ajouté Élée à la liste des séjours de Xénophane. 3 J.-P Dumont, qui l'inclut dans Les Présocratiques, Paris, Pléiade, 1988, p. 91-126 (traduction française des Vorsokratiker), ne le retient pas dans l'abrégé qu'il a, trois ans plus tard, procuré dans la collection Folio : Les écoles présocratiques, Paris, 1991. 4 Le bon abbé Pluquet, Mémoire pour servir à l'histoire des égarements de l'esprit humain par rapport à la religion chrétienne ou Dictionnaire des Hérésies, des erreurs et des schismes ; précédé d'un discours dans lequel on cherche quelle a été la Religion primitive des hommes ; les changements qu'elle a soufferts jusqu'à la naissance du christianisme, les causes générales, les liaisons et les effets des hérésies qui ont divisé les Chrétiens, Paris, 1762, p. 71, a jadis résumé la doxographie de Xénophane : "Xénophane plus frappé de l'idée de l'infini que tous les philosophes admettoient, que des phénomènes, ne supposa point dans le monde autre chose que l'infini, qui par cela même qu'il étoit infini, étoit immobile: d'où il concluoit que les phénomènes n'étoient que des perceptions de l'esprit." 5 Sextus Empiricus, Hypotypose Pyrrhonienne I 224 et Diogène Laerce, Vies et doctrines des philosophes 3 nombreux n'enseigne pas l'intelligence ; car il l'aurait enseignée à Hésiode et à Pythagore, et encore à Xénophane comme à Hécatée"6. Ce n'est pas un poète de la diégèse ou du raisonnement, mais de l'ekphrasis : il ne conte ni n'explique rationnellement ; il donne à voir, construit des tableautins, enchaîne des apophtegmes qu'il faut déchiffrer. A lire les fragments pour eux mêmes, on découvre un souci de bienséance, voire de decorum (21B1 et 3), de la juste évaluation sociale des qualités humaines (22B2 et 6), la dénonciation de la mollesse et du luxe clinquant (22B3), quelques railleries décochées contre les pratiques et les croyances ordinaires des hommes (22B 7, 9, peut-être 10, 11, 12, 14, 15, 16, 18 et 21), une ombre fugace de désenchantement (22B8 et 22), le sentiment d'une complexité infinie du monde, associé à l'intuition d'une cohérence, en fin de compte inaccessible (22B27, 28, 29, 30, 31, 32 et 33), la conviction d'une toute puissance divine, unique, omnisciente, omniprésente, incommensurable à l'homme (22B23, 24, 25 et 26), l'idée finalement qu'il ne reste à l'homme que la possibilité et l'obligation d'élaborer pour lui-même un savoir phénomélogique, relatif, approximatif, insuffisant et incertain. Parmi les savants, chacun se construit son propre Xénophane : l'auteur aristotélisant du Mélissos, Xénophane et Gorgias7, en fait un théologien, comme W. Jaeger, au XXème siècle (The Theology of the Early Greek Philosophers, Oxford, 1947, traduction française, A la naissance de la théologie, Paris, 1966). E. Diehl l'associe à Tyrtée, Mimnerne, Solon et quelques autres, comme illustres IX 18 ; Supplementum Hellenisticum, ed. H. Lloyd-Jones et P. Parsons, Berlin, 1983, fgt 834 et Poetarum Philosophorum Graecorum 9B60, ed. H. Diels, Berlin, 1901 : Ξεινοφάνης ὑπάτυφος, ̔Ομηραπάτης ἐπικόπτης ὃς τὸν ἀπ' ἀνθρώπων θεὸν ἐπλάσατ' ἶσον ἁπάντῃ, †... ἀσκηθῆ νοερώτερον ἠὲ νόημα. 6 Diogène Laerce, Vies et doctrines des philosophes illustres IX 1, 22B40DK, traduction J. Bollack-H. Wismann, Héraclite ou la séparation, Paris, 1972 : πολυμαθίη νόον ἔχειν οὐ διδάσκει· ̔Ησίοδον γὰρ ἂν ἐδίδαξε καὶ Πυθαγόρην αὖτίς τε Ξενοφάνεά τε καὶ Εκαταῖον. 7 B. Cassin, Si Parménide, Lille, 1980, a édité, traduit et commenté le Mélissos, Xénophane et Gorgias (indûment intitulé dans les manuscrits grecs Περὶ Ξενοφάνους, Περὶ Ζήνωνος, περὶ Γοργίου) 4 poète élégiaque et omet les fragments qui ne lui paraissent pas assez poétiques (Anthologia Lyrica graeca, Leizig, 1923, I p. 53-63 19493, I p. 63-74). M.L. West (Iambi et Elegi Graeci ante Alexandrum Cantati, Oxford, 1971, 19882, p. 184-191), B. Gentili et C. Prato (Poetae elegiaci Testimonia et Fragmenta, Leipzig, 1979, 19882, p. 166-183) et D.E. Gerber (Greek Elegiac Poetry, From the Seventh to the Fifth Centuries B.C., Cambridge Mass.-London, 1999, p. 408-425)8 font de même. H. Diels le traite comme un poète philosophe et retient tous les témoignages qu'il peut récolter à son sujet (Poetarum Philosophorum Fragmenta, Berlin, 1901, 3, p. 20-47 ; Die Fragmente der Vorsokratiker, Berlin, 1903, 19546, édition revue et augmentée, par W. Kranz, 21, I p. 113-139). Plutôt que de longues paraphrases, mieux vaut lire le texte même, avec ses énigmes, ses difficultés, ses surprises : [21B1DK] Athénée, Deipnosophistes XI 462C νῦν γὰρ δὴ ζάπεδον καθαρὸν καὶ χεῖρες ἁπάντων καὶ κύλικες· πλεκτοὺς δ᾿ ἀμφιτιθεῖ στεφάνους, ἄλλος δ᾿ εὐῶδες μύρον ἐν φιάληι παρατείνει· κρητὴρ δ᾿ ἕστηκεν μεστὸς ἐυφροσύνης· ἄλλος δ᾿ οἶνος ἑτοῖμος, ὃς οὔποτέ φησι προδώσειν, (5) μείλιχος ἐν κεράμοις, ἄνθεος ὀζόμενος· ἐν δὲ μέσοις ἁγνὴν ὀδμὴν λιβανωτὸς ἵησιν, ψυχρὸν δ᾿ ἐστὶν ὕδωρ καὶ γλυκὺ καὶ καθαρόν· παρκέαται δ᾿ ἄρτοι ξανθοὶ γεραρή τε τράπεζα τυροῦ καὶ μέλιτος πίονος ἀχθομένη· (10) βωμὸς δ᾿ ἄνθεσιν ἂν τὸ μέσον πάντηι πεπύκασται, μολπὴ δ᾿ ἀμφὶς ἔχει δώματα καὶ θαλίη. 8 F. Bossi, Studi sull Margite, Quaderni del Giornale filologico ferrarese 6, Ferrara, 1986 (cité par D.E. Gerber, A Companion to Greek Lyric Poets, Leiden, Brill, 1997, "Xenophanes", p. 131), voudrait attribuer à Xénophane le Margitès, épopée parodique du bon à rien, traditionnellement attribuée à Homère. 5 χρὴ δὲ πρῶτον μὲν θεὸν ὑμνεῖν εὔφρονας ἄνδρας uploads/Philosophie/ xe-nophane-les-fragments-pdf.pdf
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- Publié le Sep 24, 2021
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