1 2 La démission surprise d’Ahmadou Ahidjo, premier président de la République
1 2 La démission surprise d’Ahmadou Ahidjo, premier président de la République du Ca- meroun, est demeurée, jusqu’à ce jour – et, peut-être, le sera encore pour longtemps – une véritable énigme. Comment cela se peut- il qu’un homme qui tient le pays d’une main de fer, a réduit à néant la contestation de son régime, si forte au début de son règne, et qui n’est âgé que de cinquante-huit ans décide, tout d’un coup, de se retirer du pouvoir ? Ce livre apporte un éclairage nouveau sur cette page importante de l’histoire du Came- roun, en se basant sur la vision française de l’Afrique, et les liens étroits tissés entre Paris et Yaoundé, dès la naissance du régime d’Ahmadou Ahidjo le 18 février 1958, et qui ont fait que, tout au long de son règne, le pre- mier président du Cameroun s’est trouvé dans l’incapacité de refuser, quoi que ce soit, à la France…y compris le désir de l’Elysée de le voir abandonner le pouvoir. Ecrivain, journaliste, homme politique, Enoh Meyomesse est né à Ebolowa en 1954. Il est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg et Maître es Science Politique de l’Université de Paris II. 3 4 LES EDITIONS DU KAMERUN Courriel : leseditionsdukamerun@yahoo.fr 5 © LES EDITIONS DU KAMERUN Yaoundé, mars 2010 Seconde édition 6 Introduction La démission surprise d’Ahmadou Ahidjo, premier prési- dent de la République, au Cameroun, est demeurée, jusqu’à ce jour – et, peut-être, le sera encore pour longtemps – une véritable énigme. Comment cela se peut-il qu’un homme qui tient le pays d’une main de fer, a réduit à néant la contestation de son régime, si forte au début de son règne, et qui n’est âgé que de cinquante-huit ans, décide, tout d’un coup, de se retirer du pouvoir ? L’explication qui a prévalu, tout au début, a été celle de son retrait pour cause de maladie. Toutefois, nul n’a jamais su de quelle maladie souffrait-il. Mais, bien vite, cette thèse a rapidement été délaissée, au vu du regain de santé et d’activité qui a caractérisé Ahmadou Ahidjo, dès le mois de janvier 1983, soit, deux mois à peine, après sa démission spectaculaire. On se souvient qu’il avait entrepris une tournée nationale « d’explication », au cours de laquelle, il avait continué à inviter les Camerounais à apporter leur soutien sans réserve au nouveau président de la République, Paul Biya, confirmant ses propos du jeudi 4 novembre 1982, lorsqu’il annonçait sa démission. Par ailleurs, il avait accordé une longue interview au quotidien Cameroon Tribune, en date du 31 janvier 1983, dans laquelle il répondait, narquois, à ceux qu’il désignait comme des « aigris », des « profes- sionnels de l’intoxication » et autres « pêcheurs en eau trou- ble », qui, selon lui, se réjouissaient de son départ du pou- voir, en ces termes : 7 « certains souhaiteraient ne plus me voir à Yaoundé. Il faut, cependant, qu’ils s’accommodent de ma présence et se résignent à me voir (…) je suis, pour ma part, vacciné et immunisé depuis longtemps contre les calomnies… ». Tout ceci montrait bien une chose, Ahmadou Ahidjo n’était pas au chapitre de la mort, et ne pouvait pas, en con- séquence, avoir renoncé au pouvoir pour cette raison. Des années plus tard, quelque analyste politique entre- prendra de démontrer, en se basant sur les nombreuses dis- positions prises par Ahmadou Ahidjo pour s’assurer une confortable retraite de chef d’Etat, que ce dernier avait, vo- lontairement, quitté le pouvoir. Mais, cette démonstration comporte une faiblesse monumentale. Elle n’explique pas la tentative de reconquête du pouvoir par ce dernier, qui a at- teint son point culminant le 18 juin 1983, à travers ce que l’histoire du Cameroun a retenu sous l’appellation « réunion du lac ». Cette rencontre, rappelons-le, visait à exiger la dé- mission, en bloc, du gouvernement, de la totalité des minis- tres du Nord, tout comme il l’avait fait, le 11 février 1958, pour renverser le Premier ministre de l’époque et son pa- tron, André-Marie Mbida. Ahmadou Ahidjo s’était, tout bonnement, comporté en récidiviste. Pour cette raison fon- damentale, il ne pouvait pas avoir renoncé au pouvoir, huit mois seulement auparavant, de son propre chef, autrement, il n’aurait pas tenté de rééditer son exploit de 1958. Pour quelle raison, Ahmadou Ahidjo, a-t-il décidé de dé- missionner de ses fonctions de président de la République ? Il nous reste une dernière explication. Celle-ci porte sur sa relation particulière avec la France, en sa qualité de chef d’Etat hissé et maintenu au pouvoir, par l’ex-puissance colo- niale. Dans les pages qui suivent, nous nous efforçons d’étayer cette thèse, et offrons, aux Camerounais, la conclusion à la- 8 quelle nous avons abouti : Ahmadou Ahidjo, en protégé de la France, a été limogé, par celle-ci, lorsque la défense des intérêts de l’ex-puissance coloniale, au Cameroun, ne passait plus par lui. Cela est révoltant, au plus haut point, nous en convenons, mais nullement surprenant, dès lors que les cho- ses se sont maintes fois déroulées, ainsi, dans d’autres an- ciennes colonies françaises d’Afrique Noire, qui nous entou- rent. 9 Chapitre I Les plans de l’Elysée Les ex-colonies françaises d’Afrique Noire constituaient, il y a quelques années encore, pour la France, une zone d’in- fluence de premier plan, qui contribuait à son rayonnement, à sa grandeur, au même titre que l’arme nucléaire, ou son siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies, à New York. A preuve, les régimes se succédaient en France, mais, sa politique africaine demeurait identique : la prédo- minance des intérêts français, dans cette partie du monde. Mieux encore, le Cameroun, de par sa position géogra- phique, au fond du Golfe de Guinée, qui en fait le débouché maritime de la République du Tchad et de la Centrafrique, et par la richesse de son sous-sol en minerais divers dont le pétrole, à laquelle vient s’ajouter le gros investissement que le groupe Péchiney Ugine Kulmann a réalisé à Edéa en 1956, dans le but d’approvisionner la métropole en aluminium, occupait une place hautement importante, pour la France, en Afrique Centrale. En conséquence, quel que soit le régime qui prévaut en France, le gouvernement en place au Ca- meroun, se devait, impérativement, d’être vassal de ce der- nier, faute de quoi, le gouvernement français estimerait, en danger, les intérêts de son pays, non seulement au Came- roun, mais dans toute l’Afrique Centrale. C’est pourquoi, au nom de cette logique, l’Upc, qui était accusée de vouloir rompre avec la France, a été combattue, férocement, et mise hors-jeu, par le gouvernement français de l’époque, afin de ne pouvoir accéder au pouvoir et gérer le Cameroun indé- pendant 10 Charles de Gaulle, président de la République française, de 1958 à 1969, puis Georges Pompidou, de 1969 à 1974, ont appliqué cette politique, d’une part, en maintenant en place les régimes que la France avait hissés au pouvoir en 1960, en Afrique Noire, et, d’autre part, en renversant, pu- rement et simplement, ceux qui tentaient de remettre celle-ci en cause. Jacques Foccart, secrétaire général de Charles de Gaulle pour les Affaires Africaines et Malgaches nous relate, dans son livre intitulé, Tous les soirs avec Charles de Gaulle, Jour- nal de l’Elysée, tome I, 1965-1967, comment le sort de Bernard Bongo, le remplaçant de Léon Mba, premier président du Gabon, atteint de cancer, a été réglé depuis Paris : « Mercredi 3 février 1965. Foccart : j’ai eu connaissance d’un diagnostic tout à fait précis, qui doit rester ultra secret pour le moment : Léon Mba a bien un cancer du poumon. Les médecins me di- sent que l’issue fatale peut être attendue dans deux mois ou, si Dieu le veut, dans six mois. De Gaulle : Comment ? Une évolution aussi rapide ? Ne peut-on pas l’opérer ? Foccart : Il paraît que non, que le mal est trop avancé. Manifestement, le général (De Gaulle) est très peiné pour Léon Mba, qu’il aime bien, au fond. Il me demande : A- lors, que va-t-on faire ? Foccart : le Gabon est un pays où personne n’émerge. On parle bien du président de l’Assemblée, mais il est d’une ethnie qui ne compte que quelques milliers de membres. De Gaulle : Quelle est l’ethnie de Léon Mba ? Foccart : C’est un Fang. Bongo, son directeur de ca- binet, est un jeune autoritaire, qui sait ce qu’il veut, qui aurait de la fermeté, mais pas la capacité de gouverner. De Gaulle : on va être obligé d’aller chercher Aubame. Où est-il Aubame ? En prison ? 11 Foccart : Oui, mais, de toute façon, on ne peut pas en- visager cela. Aubame n’oubliera pas que nous avons prêté main-forte à Léon Mba pour l’arrêter ; il nous serait systématiquement hostile. De plus, il avait partie liée avec les Américains, qui portent un intérêt considérable au Ga- bon du fait des mines de fer de Mekambo, et qui lorgnent aussi sur les gisements d’uranium et de manganèse. De Gaulle : en définitive, il y a qui uploads/Politique/ le-limogeage-politique-d-x27-ahmadou-ahidjo-1.pdf
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- Publié le Jan 24, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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