LES ÉVOLUTIONS DU FORMALISME. ENTRE LÉGALITÉ ET LÉGITIMITÉ Philippe Ropenga Uni
LES ÉVOLUTIONS DU FORMALISME. ENTRE LÉGALITÉ ET LÉGITIMITÉ Philippe Ropenga Université Saint-Louis - Bruxelles | « Revue interdisciplinaire d'études juridiques » 2018/2 Volume 81 | pages 5 à 33 ISSN 0770-2310 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes- juridiques-2018-2-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Université Saint-Louis - Bruxelles. © Université Saint-Louis - Bruxelles. Tous droits réservés pour tous pays. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.19.52.34) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.19.52.34) R.I.E.J., 2018.81 5 ÉTUDES Les évolutions du formalisme. Entre légalité et légitimité* Philippe ROPENGA Docteur en droit, Avocat Résumé En droit, l'usage de la forme varie selon la perception du temps qui a cours à une époque donnée. Le droit s'inscrivait jusqu'à une période récente dans le temps par le biais de la légitimité. Cette notion unissait un élément institutionnel portant sur l'élaboration de la loi et un élément spirituel qui permettait de situer la loi par rapport à un repère spontanément admis. Une approche interdisciplinaire qui s'appuie sur le droit français, l'histoire, la philosophie et la sociologie révèle que l'union de ces deux éléments servait l'État. L'actuelle perception du temps a rompu cette union. L'État est contraint de rechercher une légitimité nouvelle au moyen du formalisme. Cette évolution est liée à des changements sociaux. Certains d'entre eux ont été magistralement analysés par Alexis de Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique. D'autres ont été mis en évidence plus récemment par les auteurs qui étudient la société postmoderne. Abstract : The evolutions of formalities. Between legality and legitimacy In law, form varies according to the perception of time that predominates during a given era. Law makers relied until recently on legitimacy to acknowledge the passing of time. This notion of legitimacy combined both an institutional and a spiritual element. The first one relates to the law- making process while the second one connects law to a commonly accepted frame of reference. An interdisciplinary approach drawing on French law, history, philosophy, and sociology reveals that the combination of these two elements has served the State. The current perception of time has however broken this union. The State now has to search for a new legitimacy by relying on formalities. This evolution is linked to social change. Some * Cet article a pour origine une intuition de Jacqueline LAFON rapprochant le lourd formalisme de l'ancien droit romain de l'oppressant formalisme postmoderne. L'auteur la remercie chaleureusement pour ses précieuses remarques. © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.19.52.34) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.19.52.34) R.I.E.J., 2018.81 Les évolutions du formalisme. Entre légalité et légitimité 6 changes have been masterfully analysed by Tocqueville in Democracy in America. More recently, attention has been drawn to other changes by authors studying the postmodern society. Le formalisme est souvent critiqué pour sa pesanteur alors qu'il est utilisé pour la protection de personnes réputées faibles. La protection des plus faibles est pourtant un objectif louable. Il est utile d'étudier le formalisme afin de dépasser l'agacement et de mieux comprendre les enjeux sociaux et juridiques du recours à une forme. Selon François Geny, « (…) pour qu'il s'agisse de formes juridiques, à proprement parler, il faut que les manifestations envisagées soient requises à peine d'inefficacité juridique (…) »1. Les formes utilisées par les professionnels qui exercent une profession réglementée sont précisément destinées à garantir la légalité des actes qu'ils établissent et leur efficacité juridique. L'information du consommateur est une forme qui offre une protection légitime à ce dernier. Il y aurait donc une différence entre la légalité d'une forme et sa légitimité. Une telle différence n'existait pas à l'époque de Jean Bodin où le pouvoir était fondé sur les lois de la nature auxquelles il obéissait et préservait la liberté et la propriété de ses sujets : « la Monarchie royale, ou legitime, est celle où les subiects obéissent aux loix du Monarque, & le Monarque aux loix de nature, demeurant la liberté naturelle et la proprieté des biens aux subiects »2. L'adjectif légitime date du XIIIe s. et l'Académie française en donne deux sens : « Qui est fondé en droit ; qui présente les conditions, les qualités requises par la loi ». On en trouve trace dans le droit français récent. Ainsi la filiation légitime, donnée en exemple par le vénérable dictionnaire, est celle qui repose sur un acte juridique et non seulement sur le fait de la nature, par opposition à la filiation naturelle. La seconde acception est signalée comme extension de la précédente : « Qui est conforme au bon droit, à la raison, à l'équité ; qui se justifie, qu'on peut admettre, excuser ». Le formalisme en général est souvent critiqué pour sa trop grande complexité alors que le formalisme de protection se développe et paraît 1 F. GENY, Science et technique en droit privé positif : nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique, t. III, Paris, Recueil Sirey, 1915, p. 98. Pour une présentation succincte de l'approche de GENY, v. J.-L. HALPÉRIN, Histoire du droit privé français depuis 1804, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, nº 122. 2 J. BODIN, Six Livres de la République, Livre II, Jacques du Puys, Libraire Juré en l’Université de Paris, 1580, p. 190. © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.19.52.34) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.19.52.34) Philippe Ropenga R.I.E.J., 2018.81 7 légitime. Quelles réalités le terme de formalisme recouvre-t-il selon que l'on se place sous l'angle de la légalité (1) ou à l'aune de la légitimité (2) ? 1. Formalisme et légalité Il sera vu que le formalisme en tant que manifestation de la légalité a une double fonction : rappeler l'autorité de l'État (A) et inscrire le droit dans le temps. (B). A. Rappeler l'autorité de l'État Ceci suppose l'affirmation des organes de gouvernement (1) et l'exécution des missions régaliennes (2). 1. L'affirmation des organes de gouvernement Les historiens et philosophes qui s'intéressent à l'évolution de la société distinguent en général trois périodes : la période classique, la période moderne et la période postmoderne. Comme l'indique M. Hartog, ces différentes périodes se caractérisent par un rapport différent au temps, en particulier au présent.3 La période classique se réfère au passé et considère le présent en tirant des enseignements du passé ; ce qui survient est confronté à ce qui s'est produit. La Renaissance est un exemple de redécouverte de la sagesse antique. La modernité quant à elle est tournée vers l'avenir ; on ne méprise pas le passé mais on cherche avant tout à aller de l'avant. Dans une optique moderne, la contemplation du présent permet de se rendre compte du chemin qu'il faut encore parcourir. Depuis les Lumières, le progrès a été recherché avec ardeur et on s'est employé à permettre à tout un chacun de faire advenir ce qui n'était pas encore. Tocqueville, témoin de ce changement de paradigme qui s'est brutalement imposé en 1789, écrit : « Le passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres »4. Le XIXe siècle a ainsi été marqué par une foi en la science et en la poursuite de l'histoire.5 Cet état d'esprit se retrouve également en droit : les hommes naissent libres et égaux en droit ; il convient de reconnaître les effets juridiques de leur volonté. M. Halpérin rappelle que les débats les plus vifs sur l'autonomie de la volonté datent de 3 F. HARTOG, Régimes d’historicité : Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003, p. 116 et suivante pour un exposé très clair de la différence entre régime classique et moderne d'historicité ; p. 205 où l'auteur revient succession des différents régimes. 4 A. DE TOCQUEVILLE, « De la démocratie en Amérique, t. III, 17e éd. », in A. DE TOCQUEVILLE, Œuvres complètes, Paris, Calmann Lévy, 1888, p. 554. L'œuvre est initialement parue en deux volets, en 1835 puis 1840. Comme l'indique l'auteur dans son avertissement publié en tête du tome III, il s'agit du second volet paru pour la première fois en 1840. Ci-après mentionné Tocqueville. 5 F. HARTOG, Croire en l’Histoire, Paris, Flammarion, 2013, p. 16 et s. © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.19.52.34) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 11/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.19.52.34) R.I.E.J., 2018.81 Les évolutions du formalisme. Entre légalité et légitimité 8 cette époque.6 Le droit des contrats a alors très nettement favorisé le consensualisme. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la circulation des personnes et de l'information s'est accélérée ; ceci a modifié notre rapport au présent et marqué le début de la postmodernité. Jean-François Lyotard estime que la période postmoderne s'étend « depuis au moins la fin des années 50 »7. Alors que l'époque moderne a été caractérisée par l'élaboration de « systèmes »8 articulés autour de notions abstraites telles que la nation ou l'État uploads/S4/ les-evolutions-du-formalisme.pdf
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- Publié le Oct 02, 2021
- Catégorie Law / Droit
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