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Tous droits réservés © Institut d'histoire de l'Amérique française, 2000 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 03/07/2021 2:59 p.m. Revue d'histoire de l'Amérique française Biographie, narration et philosophie de l’histoire Julien Goyette Volume 54, Number 1, été 2000 URI: https://id.erudit.org/iderudit/305657ar DOI: https://doi.org/10.7202/305657ar See table of contents Publisher(s) Institut d'histoire de l'Amérique française ISSN 0035-2357 (print) 1492-1383 (digital) Explore this journal Cite this document Goyette, J. (2000). Biographie, narration et philosophie de l’histoire. Revue d'histoire de l'Amérique française, 54 (1), 81–88. https://doi.org/10.7202/305657ar Biographie, narration et philosophie de l'histoire JULIEN GOYETTE Département d'histoire Université du Québec à Montréal L ES HISTORIENS sont d'ordinaire inconfortables avec le genre biogra- phique, celui-ci restant pour eux quelque peu inavouable. Il faut dire que la biographie historique se présente couramment comme un problème non résolu, peut-être même une cause perdue. Et il n'y a rien là d'étonnant : à répétition, en ce siècle, des penseurs ont mis en doute la valeur de ses explications ; ils lui ont reproché de faire l'histoire des grands hommes au détriment de l'histoire des hommes et, plus récem- ment, des femmes; ils ont dénoncé — et souvent avec raison — sa langueur, sa prolixité, ses faux-semblants, etc. Bref, si elle a été long- temps présentée comme le modèle même des écrits historiques, la biographie se montre plutôt chancelante au xxe siècle. Aujourd'hui, à un moment où rien pourtant ne nous permet de douter de la solidité de son lectorat, le genre paraît encore instable, n'arrivant à faire l'unanimité ni chez les scientifiques ni chez les littéraires1. Tout compte fait, c'est probablement Claude Lévi-Strauss qui a le mieux transcrit ce que d'aucuns considèrent être la tare congénitale de la 1. « Les biographes sont de la racaille ! », dit Milan Kundera. Et il ajoute : « [...] fouiller dans la correspondance intime, interroger les anciennes maîtresses, convaincre des médecins de trahir le secret médical, c'est dégueulasse. » Milan Kundera, cité par Colette Cosnier, « Les pièges de la biographie», dans Marta Dvorak, dir., La création biographique/Biographical Creation (Rennes, Presses universitaires de Rennes et Association française d'études canadiennes, 1997), 25. 82 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE biographie historique: «L'histoire biographique et anecdotique est la moins explicative ; mais elle est la plus riche du point de vue de Tin- formation, puisqu'elle considère les individus dans leur particularité [...] le choix relatif de l'historien n'est jamais qu'entre une histoire qui apprend plus et explique moins, et une histoire qui explique plus et apprend moins2. » Face à un tel dilemme, on comprend que plusieurs se soient laissés convaincre qu'«il y a la biographie, qui traite l'homme individuellement, et l'histoire, qui le traite comme partie d'un ensemble, et que la bonne biographie fait la mauvaise histoire3. » Pour nombre de raisons, cette antinomie entre l'histoire informative (dite aussi événementielle, anecdotique ou narrative) et l'histoire expli- cative (sociale, structuraliste) n'a pas été totalement surmontée. En regard du sens commun, la biographie demeure un genre historique mineur, et la connaissance biographique reste dévaluée, entre autres parce qu'assimilable à la «stérile» narration. Pourtant, des acquis de Tépistémologie de l'histoire ont considérablement bousculé les habi- tuelles conceptions de la narration. De même, l'évolution de l'histo- riographie a prouvé la capacité de la biographie à perdurer, même dans des conditions qui lui sont défavorables. C'est ce qui me fait croire qu'il est possible de redonner une certaine respectabilité épistémologique à la biographie, et que cette dernière n'est pas qu'un simple problème de l'historiographie à résoudre, mais bien un aspect incontournable de l'histoire et de la pratique historique. Depuis quarante ou cinquante ans, les thèses narrativistes se sont largement répandues en épistémologie de l'histoire. En cherchant à s'opposer aux tenants des modèles d'explication de type déductif- nomologique — qui tentaient de réconcilier les sciences dites « dures » et « humaines » sous la bannière des systèmes de lois universelles —, des philosophes ont réhabilité la narration, une forme de discours touchée de discrédit depuis Descartes4 et associée abusivement à l'histoire tra- ditionnelle par plusieurs historiens du xxe siècle. Pour dire vite, les thèses narrativistes procèdent d'un constat apparemment banal: c'est-à-dire 2. «L'histoire biographique [...] est une histoire faible, qui ne contient pas en elle-même sa propre intelligibilité, laquelle lui vient seulement quand on la transporte en bloc au sein d'une histoire plus forte qu'elle [...]». Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage (Paris, Pion, 1962), 346- 347. 3. Edward H. Carr, Qu'est-ce que l'histoire? (Paris, Éditions La découverte, 1988), 98. 4. Maurice Lagueux, «Narrativisme et philosophie spéculative de l'histoire», Revue de synthèse, 4,1 (janvier-mars 1998): 65. Biographie, narration et philosophie de l'histoire 83 que la narration est en soi une forme d'explication, et que par voie de consé- quence, raconter correctement, c'est déjà expliquer. Cette observation, que Ton doit avant tout au philosophe analytique Arthur Danto5, implique que la narration, loin d'être un simple artifice stylistique imputable à l'historien, ait un rôle déterminant à jouer dans le procédé explicatif en histoire. Le récit historique ainsi appréhendé, l'opposition entre la narration et Y explication s'estompe. En fait, plutôt que de disparaître, elle se déplace entre la narration et la chronique, cette dernière étant vue comme la stricte exposition des faits sans aucun lien explicatif. Du point de vue historique, cette distinction entre l'activité d'« établir les faits » et celle de les « mettre en œuvre » n'a rien de très original. Déjà en 1897, Henri Pirenne faisait la différence entre Vhistoire-érudition et Yhistoire-récit6. Du reste, ce qui est novateur dans les théories narra- tivistes, c'est d'attribuer a priori les virtualités explicatives au récit, plutôt que de les réserver aux seules relations causales. Mais qu'est-ce qu'un récit et, surtout, qu'a-t-il à voir au juste avec la biographie? Par convention, si j'ose dire, on puise de la Poétique d'Aristote la définition du récit. Pour le philosophe, l'histoire représente «l'agencement des actes accomplis7», en autant que ces mêmes actes forment un tout, une totalité. Or, ajoute-t-il, «forme un tout, ce qui a commencement, milieu et fin8». Du coup, les choses se précisent à propos du récit : il s'agit d'une relation close d'actes accomplis. Mais il manque encore un élément fondamental. Il consiste en ce que les auteurs appellent généralement Yintrigue (plot en anglais), c'est-à-dire ce qui lie les différents temps du récit et rend possible le dénouement de l'histoire racontée9. 5. Arthur Danto, Analytical Philosophy of History (New York, Cambridge University Press, 1968), 201. 6. «L'authenticité des textes établie, les sources critiquées, la chronologie des événements fixée, il reste encore à faire l'histoire.» Henri Pirenne, «Une polémique historique en Allemagne», Revue historique, 64 (mai-août 1897): 50. 7. Aristote, cité dans Maurice Lagueux, loc. cit., 69. 8. Ibid., 70. 9. En liant récit et histoire, on rendait évidemment inévitable l'association avec la fiction ; elle n'a pas échappé à certains auteurs, particulièrement pressés, il faut dire, de saper la première prétention de l'historien : celle de raconter fidèlement ce qui s'est passé. Voir là-dessus, entre autres, les travaux controversés d'Hayden White. L'historien, quant à lui, n'est pas tenu de tirer des conséquences aussi radicales des énoncés narrativistes, même si, comme le reconnaît Roger Chartier, le «chemin est [...] forcément étroit pour qui entend refuser, en même temps, la réduction de l'histoire à une activité littéraire de simple curiosité, libre et aléatoire, et la défi- nition de sa scientificité à partir du seul modèle de la connaissance du monde physique ». Roger Chartier, Au bord de la falaise. L'histoire entre certitudes et inquiétude (Paris, Albin Michel, 1998), 104. 84 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE À première vue, ne peut-on pas dire que l'objet de la biographie s'accorde admirablement avec cette notion de récit? Ne peut-on pas prétendre que la vie d'un humain s'organise, et de façon obligée, en fonction d'un commencement (la naissance), d'un milieu (le cours de la vie) et d'une fin (la mort) ? Les péripéties qui ponctuent nos vies, comme celles des agents historiques, ne peuvent-elles pas être entendues telles de vastes intrigues aux multiples rebondissements ? Que la notion de récit paraisse autant à la mesure de l'existence humaine ne doit pas cependant nous méprendre sur la nature précise de l'un ou de l'autre. La corrélation narration-explication peut être facile- ment admise — du moins pour l'auteur de ces lignes. Mais peut-on pour autant considérer la réalité (l'histoire vécue) comme étant elle-même structurée à la façon d'un récit10 ? Ou, pour rester plus près des préoccu- pations historiennes, est-il possible de voir dans la vie d'un individu un cadre d'analyse opératoire ? Recevoir une catégorie comme celle de vie, sans la questionner, c'est évidemment passer à côté de plusieurs impli- cations cruciales. Des implications qui n'ont pas échappé uploads/Histoire/ biographie-narration-et-philosophie-de-l-x27-histoire-julien-goyette.pdf
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- Publié le Sep 30, 2022
- Catégorie History / Histoire
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