L’ORTHOGRAPHE ET LA QUESTION DIALECTALE EN PEUL (...) L’orthographe d’une langu

L’ORTHOGRAPHE ET LA QUESTION DIALECTALE EN PEUL (...) L’orthographe d’une langue ne repose que sur une convention d’écriture. Cette convention est, certes, motivée, voire justifiée au double plan de la grammaire et des pratiques dialectales, pour les langues à dialectes comme le fulfulde. Mais, en tout état de cause, l’orthographe ne saurait être considérée comme un dogme, encore moins comme un carcan. En général, l’écriture rend compte des préoccupations grammaticales, voire de l’étymologie même des mots dans une langue. Si l’on se réfère, par exemple, à l’orthographe française actuelle, on se rend compte du poids de cet aspect étymologique qui la rend si "compliquée" aux yeux des francophones. L’orthographe anglaise n’est pas plus simple. En allemand, ce sont des syntagmes entiers qui sont écrits "en un_ seul mot". En arabe, l’orthographe est très dépendante de la grammaire, notamment de la morpho­syntaxe : le passage du singulier au pluriel, la fonction d’objet directe, la préposition introduisant le complément, etc., sont autant de facteurs qui déterminent la forme de la vocalisation que prend le mot. C’est ainsi que pour quelqu’un qui maîtrise bien la langue arabe (dans sa sémantique et sa grammaire) peut aisément se passer de la vocalisation des mots à la lecture. On pourrait citer d’autres exemples. L’orthographe est une convention, mais une convention adaptée selon les langues, car chaque orthographe a une fonction et une utilité précises pour la langue en une période donnée de son histoire. La langue peule (pulaar ou fulfulde) est une langue atomisée en dialectes, mais elle conserve l’avantage d’une forte unité du fond lexical (1), surtout au niveau des items radicaux. Cette unité fondamentale favorise l’intercompréhension relative des locuteurs, à travers les parlers, mais elle offre aussi une base propice pour toute forme de standardisation ultérieure, celle de l’orthographe notamment. Quand on parle de l’orthographe, on parle aussi, bien entendu, de la séparation des mots. Sur ce plan, nous sommes d’avis qu’au stade actuel de l’histoire de la langue, la dimension dialectale permet de régler, par­delà la grammaire, les questions liées à l’orthographe. Par exemple, au niveau du Sénégal, nous avons eu à décider d’une forme de séparation des mots qui améliore une disposition particulière du décret cité ci­dessous. Il s’agissait de la liaison entre le pronom personnel de la première personne du singulier am avec l’élément qu’il détermine. Ainsi, selon le décret, il devait être « collé » au mot qu’il détermine. Exemple : Hooram « ma tête » pour hoore am. Tottam (donne­moi) pour tottu am 1 comme le veut la pratique dialectale du nord Sénégal. Mais, en tenant compte de la réalisation phonétique des parlers du Sud (Fulakunda, Gabou, Guinée, etc.), il a été proposé de laisser la forme écrite : Hoore am et tottu am. Quitte à ce que les locuteurs­lecteurs du Nord fassent la liaison à la lecture. C’est là un des cas des multiples exemples où la dimension dialectale actuelle détermine certaines dispositions du système orthographique. Historique : de Vajami aux caractères latins Le pulaar a connu, à notre connaissance, comme la plupart des langues africaines des pays islamisés, l’écriture sous la forme ajami (2) ­ qui a toujours cours aujourd’hui ­ depuis fort longtemps. En effet, les érudits arabisants ont tôt senti le besoin d’exprimer certaines préoccupations culturelles et religieuses propres à leur civilisation à travers l’écrit dans leurs langues premières que sont les langues africaines. C’est ainsi que chants et poèmes religieux ont souvent été écrits en translittération arabe des sons de ces langues. Mais, à l’évidence, l’inadaptation des langues négro­africaines au consonatisme arabe posera problème : en témoigne l’usage excessif des signes diacritiques qui affectent les caractères arabes dans les versions langues africaines. De plus, il n’y a pas d’harmonisation unitaire dans l’emploi de ces signes diacritiques. Par exemple, la nasale palatale « h » (gn) sera notée non seulement de façon différente du wolof au pulaar (pour ne parler que du Sénégal) mais même d’un pulaar écrit à un autre. La conférence de Bamako de mars 1966, sous l’égide de l’Unesco, a marqué un pas important dans l’histoire de l’orthographe de certaines langues africaines. A l’époque, l’adoption des caractères dits « latins » a permis de doter plusieurs langues africaines de caractères orthographiques communs, unifiés et ultérieurement harmonisables. Le pulaar adoptera cet alphabet dit de l’Unesco, avec les caractéristiques suivantes : les palatales sont notées sous forme de digraphes : on aura « ty », « dy », « ny », etc., à côte des glottalisées « bh », « dh », « jh », par exemple. Plus tard, dans un souci de simplification, surtout pour respecter le principe idéal de "un signe = un son et vice­versa", on a changé les digraphes en lettres simples, à partir des claviers européens. On aura ainsi, par exemple, « c, j, n... » à la place de « ty, dy, ny », au Sénégal du moins, les pays orientaux préférant garder toujours le « ny » (on y reviendra plus bas). De même, « bh », « dh », « jh » seront respectivement remplacées par « v, z, q... », puis par « v, q... » sous les touches­claviers de certaines lettres latines. La nasale vélaire « h » sera conservée sous sa forme phonétique (Api) (3). Divers décrets ont été pris dans les pays poulophones pour fixer l’orthographe et la séparation des mots dans la langue. Pour ce qui est du Sénégal, on peut citer le décret 71­566 du 21 mai 1971 relatif à la transcription des langues nationales, abrogeant et remplaçant le décret 68­ 871 du 24 juillet 1968. 2 Pour le pulaar, c’est le décret 80­1049 du 14 octobre 1980 quia fixé l’orthographe et la séparation des mots. Juste après la parution de ce décret, le projet promotion des langues mandingue et peul (Mape) (4) vit le jour, avec l’ambition de renforcer les orientations des systèmes orthographiques de deux grandes langues transfrontalières africaines (Afrique de l’Ouest), en appuyant l’harmonisation des orthographes sur la base de l’éclairage des pratiques dialectales, ainsi que l’enrichissement lexico­terminologique de ces langues. C’est ainsi que la pratique de terrain, les éclairages dialectaux notamment, ont apporté beaucoup de changements aux dispositions de ce décret. Sans remettre en cause la validité de ces dispositions, la pratique actuelle a découvert et a ajouté beaucoup d’autres éléments renforçant l’orthographe de la langue. Le projet Mape a joué un rôle essentiel dans l’harmonisation de l’orthographe du pulaar/fulfulde. Cependant, l’écriture de la langue n’en a pas moins connu de problèmes, de débats, de rencontres d’harmonisation et même parfois des formes de tiraillements ­ qui nous semblent évidemment peu utiles ­qui continuent de marquer l’histoire de cette orthographe. Le projet Mape a eu pour avantage d’aider plusieurs pays partageant les deux langues ci­dessus désignées à harmoniser leurs orthographes. Les problèmes Pour ce qui est de l’orthographe du pulaar/fulfulde, on peut dire que jusque­ là, nous avons eu la chance d’avoir une orthographe latine harmonisée, par­ delà les distances géographique et dialectale, au moins depuis les années 1980 (cf. projet Mape et suite). Nous pouvons parler plutôt de divergences mineures qui ne sauraient entraver aujourd’hui l’écriture, l’édition et les publications en pulaar/fulfulde. (...) Rappelons d’abord les dispositions de la dernière réunion internationale consacrée aux problèmes de l’orthographe, entre autres, celle de l’atelier de Niamey de novembre 1997, sous l’égide de la Dse. Les pays suivants étaient représentés : Burkina Faso, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria et Sénégal (en plus d’un expert linguiste venant d’Autriche). Voici, en résumé, les dispositions de Niamey 1997 : L’alphabet : il a été décidé de considérer toutes les lettres utilisées par chacun des pays et donner la latitude à chaque pays de continuer à travailler avec les lettres qu’il a choisies. Exemple : (­_, ny, x). La segmentation des mots fulfulde : après des discussions contradictoires, il a été retenu que les pronoms personnels post­posés qui débutent par une consonne doivent être séparés du verbe qu’ils suivent par un trait d’union. Exemple : « ngar­mi » (je vins), « ndokku­moo­mi » (je lui donnai). 3 Les pronoms personnels post­posés qui sont représentés par une voyelle ou commençant par une voyelle se collent au verbe qu’ils suivent. Exemple : ngaraa (tu viennes), ngaren (venons, nous venions), ngaron (vous venez, vous veniez). Le pronom personnel en position de complément est séparé de l’élément qu’il complète, même si, dans la prononciation, la liaison est faite. Exemple : « puccu am » (mon cheval). La longueur vocalique dans les désinences verbales ainsi qu’en position finale de certaines particules dictomodales et des classificateurs est pertinente. Par conséquent, il faut en tenir compte. Ainsi, les particules « duu », « fuu », « boo », « faa », « haa », etc., sont écrits avec la voyelle longue. Les classificateurs à finale vocalique déterminant le nom sont aussi écrits avec la voyelle longue. Exemples : « nduu suudu » (cette case­là)/ « suudu nduu » (la case, cette case) et « ngoo wuro » (ce village­là)/ « wuro ngoo » (ce village, le village). Mais, en fonction uploads/Litterature/ l-orthographe-du-pulaar.pdf

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