CHRISTOPHER TECK YONG LE MARBRE DE PERSONNE LE MARBRE DE PERSONNE EDITION HORS-
CHRISTOPHER TECK YONG LE MARBRE DE PERSONNE LE MARBRE DE PERSONNE EDITION HORS-COMMERCE ©2022 pour la présente édition électronique 2 Christopher Teck Yong est né en 1991, à Moka (Maurice), ancien étudiant de l’École normale supérieure (Ulm), nomade. 3 In memoriam Maistre Robert Gamon 4 L’Essai sur le grec ancien Projet d’écriture. Que nous caracolassions. – Je me prénomme le Lombard. Cette fois, cette fois encore et seulement je m’étranglerai. Que j’y inclus des bouderies. Y compris. Ostensiblement. Je demande à l’écriture une rédemption. Je me suis jamais remis de mes largesses, de mes larves, enfin des insignifiances qui ont, quoique j’en dise, énervé la Colonne. On s’efforcera dans cette recherche de piller dans ce que la littérature sobre n’a cessé d’abîmer. Le titre est d’ores et déjà connu : « Am Stram Gram ». Pour ta liseuse, à lire aux enfants quand ils seront en âge, quoiqu’il n’y a pas d’âge pour se mettre aux langues anciennes. 5 Et puis je hais le mariage, je hais tous les hommes, je hais les engagements éternels, les promesses, les projets, l’avenir arrangé à l’avance par des contrats et des marchés dont le destin se rit toujours. Je n’aime plus que les voyages, la rêverie, la solitude, le bruit du monde, pour le traverser et en rire, puis la poésie pour supporter le passé, et Dieu pour espérer l’avenir. George Sand. Je me suis tellement accoutumé ces jours passés à détacher mon esprit des sens (...) Descartes, Méditation quatrième 6 Le mort Vous ne saviez rien de l’homme qui habitait au troisième étage de la rue de Chéroy. Vous veniez d’emménager il y a moins d’une semaine et déjà, en arrivant, devant votre porte, vous aviez senti cette odeur putride qui envahit les murs. Vous aviez rencontré votre voisine du dessus, celle du quatrième et, vous dûtes lui faire peur aux premiers abords car vous débouliez, tout essoufflé, pour lui demander, avec sa permission, les clés de la cave – elle était la seule à les détenir – car enfin c’était pour installer le wifi chez vous. Quand vous avez écrit « porte », vos doigts se sont immédiatement portés vers le « mort » avant de s’arrêter. Car il était mort. Les pompiers arrivent toujours de la même façon. Néanmoins il n’y eut pas de brisures de portes cette fois heureusement. On cassa une vitre de la fenêtre qui donnait sur cette petite rue, à côté du théâtre où l’on jouait encore cette pièce sur des hommes en colère. Quand ils cassèrent la vitre à coup de marteau ou peut- être à coup de coudes, on ressentit l’odeur de pourri qui s’échappait comme des éclats de verre pour atteindre vos narines. En arrivant, ils avaient été discrets : pas de sirène, du moins une très courte, pas de « c’est les pompiers », pas de grand fracas si ce n’est cette échelle télescopique qui monta très lentement jusqu’au troisième. Vous vous en souvenez quand elle passa devant votre fenêtre. Un volet devait être réparé ; je l’avais dit à Morgane et elle me dit que Julien s’en occuperait. Je dus attendre longtemps. – Oui mais là ça fait des jours qu’il est comme ça. Moi je venais d’emménager il y a à peine une semaine et vous n’avez pas immédiatement pensé à donner l’alarme. Vous ne connaissiez rien de l’odeur d’un mort – fallait-il la reconnaître ? Et pourtant vous vous doutiez que cette odeur était suspecte, louche et appelant à la raison que 7 quelque chose, un événement, s’était produit dans cet immeuble. Vous supposez que c’est Madame Bettina, la voisine du dessus qui a dû donner le coup de fil aux pompiers : vous imaginez, elle, qui devait passer devant cette porte pour rentrer chez elle tous les soirs ou pour descendre au petit matin faire son marché sur le boulevard des Batignolles. Vous ne pensiez pas vous rappeler de son nom mais ça vous est revenu tout seul car vous vous souvenez de la manière dont elle vous dit, d’une manière un peu vulgaire et pleine de soulagement – « Enchantée », en vous remettant les clés dans la paume de votre main. Vous la remerciez et promettiez de lui remettre les clés aussitôt dans la journée, le temps que le technicien a priori fraîchement arrivé d’une nation africaine – vous n’eûtes pas l’occasion de lui demander ses origines – finisse sa besogne. Vous songiez surtout à retenir votre respiration en descendant tout en reprenant votre souffle car monter et descendre quatre étages, cela vous a éreinté. L’appartement, le vôtre, celui que vous louiez, celui dans lequel vous seriez confiné pendant plusieurs mois, celui de Morgane et Julien, était vide. En passant devant les bouquinistes, vous vous dîtes qu’il devait avoir chez lui des livres qui, sans doute, finiraient sur les étals de ces mêmes bouquinistes. Il y en avait un, lors de la recherche d’un ouvrage à ranger dans la bibliothèque, en particulier, qui vous conseilla de lire aussi d’Hermann Hesse, Le jeu des perles de verre, tandis que vous preniez Narcisse et Goldmund, trois euros. Vous étiez alors bibliovore. Et votre manie, votre marotte, de remplir votre appartement de vieux livres poussiéreux était harassante. Le soir, en rentrant, vous vous dépêchiez de sortir le foie de veau et on eut dit parfois que l’odeur s’estompait. Pourtant c’est si simple d’appeler les pompiers ou le croque-mort. Par ailleurs vous avez entendu, les jours suivants, quelqu’un venir après la découverte du défunt. 8 On venait sans doute récupérer quelques affaires, ce qu’on pouvait sauver, ce qui avait encore une valeur sentimentale ou peut-être encore un peu d’or sous le matelas du lit, même si les pompiers et le médecin avaient dû tout passer au peigne fin. De toute façon vous doutiez que ce soit une histoire très intéressante : de pourri, il n’y avait que cette odeur. Les voisins du dessous, pas ceux qui partaient en vacances et qui vous confièrent leur numéro de téléphone en cas de cambriolage, mais ceux dont entendriez les ébats durant tout le confinement, n’étaient alors pas encore arrivés dans l’immeuble. Vous arrivez trop tard pour raconter cette histoire. Par moment vous espionniez leurs récréations et vous aussi vous rêviez de faire l’amour. Vous pensez alors à celles qui vinrent vous rendre visite, à votre instance, et qui repartaient, à votre instance également. Tout le reste est banale, propre, une histoire sur rien, c’est-à-dire sur une vie défunte, sur les quelques temps qui ont précédé, puisque vous arriviez tout juste à l’appartement, et ceux qui ont suivi, tandis que vous vous installiez confortablement : vous aviez commandé en ligne un canapé gris (comme de si nombreux canapés dans la capitale) et une très jolie table basse en bois et un tapis. Vous vous souvenez brusquement du regard hagard d’Emmanuelle Riva : vous aviez collé l’affiche d’un film dans cette chambre minuscule que vous occupiez, des années plus tôt, quand vous habitiez à côté des Écoles. Votre directeur de recherche s’était même proposé une fois de récupérer du courrier pour vous car vous deviez reprendre l’avion et revoir votre famille éloignée. Néanmoins, ce vous semble, il ne vous pardonna pas l’abandon de vos études et cette entrée en matière on ne peut plus fautive. Vous ne vous en souvenez plus. Et vous persistiez, comme toujours, comme à votre habitude, alors même que votre entourage vous disiez que c’était fautif. – Vous comprenez je 9 peux pas laisser passer ça. Vous fûtes même convoqué chez lui dans le quatorzième, à un arrêt de Nation, où vous parlâtes ensuite de votre projet. Lui, aussi, ce Monsieur confortablement installé dans la poussière d’antan, était bibliophile mais, dans son cas, cela s’expliquait par une vie consacrée à la recherche. – Alors expliquez-moi votre affaire. Et vous balbutiez quelque chose. Vous cachiez votre insatisfaction de petit premier de la classe, un tantinet fayot, têtu et imbu de sa propre personne d’aspirant chercheur et vous ravaliez votre orgueil car là oui effectivement ça saute aux yeux. Je concède. Ne vas pas au-dehors, rentre en toi-même ; à l’intérieur de l’homme se tient la vérité. Aujourd’hui, après des années encore dans l’infortune : « Si je reste un jour sans écrire, la cicatrice me brûle ; si j’écris trop aisément, elle me brûle aussi » (Sartre). Les hommes, l’a-t-on jamais assez dit, pense en troupeau ; nous verrons qu’ils deviennent fous en troupeau, tandis qu’ils retrouvent leur sens petit à petit, et un par un. … Ça c’est pas un marché, c’est une foire (ferya ou fira)… D’ailleurs j’aimais bien celui de …Montpellier et j’allais une fois à celui d’Aligre, pour ce qu’il s’agit du marché. …Le bonheur danois est une marque à lui tout seul. J’ai passé pas mal de temps à regarder une emission sur de talentueux designers de ce bonheur qu’on nous vante. Ici il y a toujours un coin livres et audio : des Pierre de Mandiargues qui traînent, des René Char, des biographies de Grimal, des uploads/Litterature/2022-teckyong-lemarbredepersonne.pdf
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- Publié le Aoû 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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