La société sans pères Paul Federn Dans Figures de la psychanalyse 2002/2 (no7),
La société sans pères Paul Federn Dans Figures de la psychanalyse 2002/2 (no7), pages 217 à 238 Éditions Érès ISSN 1623-3883 ISBN 2-7492-0040-7 DOI 10.3917/fp.007.0217 Distribution électronique Cairn.info pour Érès. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2002-2-page-217.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. © Érès | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 187.106.40.183) © Érès | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 187.106.40.183) La société sans pères * • Paul Federn • Traduit de l’autrichien par Gabrièle Rein * Nous pouvons traiter l’ordre social et sa transformation comme un problème technique d’organisation ou comme un problème politique, c‘est-à-dire poser la question de savoir quels intérêts et facteurs de pouvoirs sont en conflit et quels moyens servent chaque intérêt et chaque facteur de pouvoir particuliers. Dans ce cas, il faut prendre en considération, outre chaque explication causale, les processus psychiques. Mon étude devra mettre à nu ces processus psychiques dont l’homme politique ne sait d’abord rien, ou très peu, parce qu’ils nous sont de toute façon restés inconscients jusqu’à ce qu’une certaine méthode d’investi- gation des processus mentaux les ait rendus accessibles à notre connaissance. Cette méthode était la psychanalyse inventée par Freud. De nombreuses études sur l’individu ont montré des régularités psychiques qui doivent être appliquées ici à un problème de psychologie des masses. Dans l’intérêt général, cette étude vise à ce que, à l’aide de la connaissance psychologique acquise, des motifs plus profonds et innocents remplacent les conceptions incorrectes qui rabaissent l’adversaire. Notre ordre social a longtemps conservé, pour le socialiste intolérablement longtemps, des formes et des droits des siècles passés. Pendant la guerre, la contrainte exercée par cet ordre a énormément augmenté et s’est étendue, comme jamais auparavant, à toutes les activités intellectuelles et tous les besoins vitaux. Le peuple soumis supporta cette pression, l’âme tourmentée, seulement parce qu’il la considérait, tout comme les privations matérielles, comme un * D’après des conférences tenues à l’Association psychanalytique de Vienne et la Ligue des monistes par le docteur Paul Federn, Vienne, 1919. * Avertissement du traducteur : certains passages du texte original nous ont paru d’une écriture difficile même pour un lecteur de langue allemande. Tenant compte des diffi- cultés du texte original allemand, nous avons tenté de rendre le texte français aussi clair que possible tout en essayant de conserver le style de l’auteur. © Érès | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 187.106.40.183) © Érès | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 187.106.40.183) 218 phénomène passager de la misère de la guerre et ne voyait aucun autre moyen pour regagner l’indépendance nationale et économique. Après cette monstrueuse augmentation des violences manifestes de l’État, de l’Administration et de la Justice accompagnée de l’armée et de la police, suivit l’effondrement soudain de toutes les autorités de l’État et les mêmes hommes, qui avaient si longtemps accepté en silence la contrainte, éprouvèrent soudainement le désir insatiable d’un renouvellement et exigèrent une cadence rapide de la révolution. En Russie et en Allemagne, le mouvement a renversé son premier dirigeant. Chez nous, où la décadence de l’empire a conduit d’elle-même à la révolution politique, la révolution sociale est seulement naissante. Mais ressort déjà des réunions, des tracts et des conversations du peuple, l’énergie révolutionnaire grandissante et le contraire du travail judicieux selon le programme des dirigeants actuels, même si ceux-ci peuvent attirer l’attention sur de grands progrès tels qu’ils n’ont guère été atteints en un siècle jusqu’à présent. Ce radicalisme révolutionnaire s’est créé une forme d’action propre dans les conseils ouvriers et militaires. Si elle s’était limitée à la Russie peu industrialisée, une explication plus avancée serait superflue. Là-bas n’existait aucune organisa- tion centralisée qui aurait pu étendre la révolution et les ouvriers, soldats et paysans révoltés se réunissaient donc selon leur profession afin de constituer un inter-regnum jusqu’à la réunion d’une assemblée constituante ayant une forme d’action parlementaire. Mais il en advint autrement. L’assemblée constituante fut dispersée par les conseils. Et ces derniers arrivèrent au pouvoir et à la tête du pays malgré le chaos qu’ils trouvèrent à l’intérieur et les nouveaux ennemis qu’ils se firent à l’extérieur. Les socialistes majoritaires en Allemagne, de même que l’Entente, imputent la responsabilité de l’apparition des conseils d’ouvriers et de soldats dans tous les pays à la propagande russe. Mais nous considérons cette imputation comme un simple auto-apaisement de la part des hommes d’État. La propagande des rapatriés et des émissaires n’aurait eu aucun succès s’il n’avait pas existé les mêmes conditions et besoins psychiques au sein de la population auxquels ni le parlementarisme actuel ni l’organisation du parti et le syndicat ne correspon- daient. La soif révolutionnaire de liberté est seulement satisfaite par l’organisa- tion de conseils et c’est sur son terrain que la lutte sociale et politique doit être engagée, si toutefois elle doit être gagnée en faveur de la démocratie et contre la dictature du prolétariat. Tout autre chemin la conduit à la lutte fratricide qui déchire actuellement les partis ouvriers. Aujourd’hui déjà, est née de l’organisa- • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 7 • © Érès | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 187.106.40.183) © Érès | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 187.106.40.183) 219 LA SOCIÉTÉ SANS PÈRES tion des conseils une seconde chambre des députés représentant les temps nouveaux de manière évidente contrairement au Parlement, ce rebut du régime autoritaire renversé. Une telle seconde chambre née du pouvoir réel aurait vraiment une légitimation intérieure plus grande et un droit à une part de pouvoir plus juste que ceux que possédaient les Grandes Maisons d’Autriche ou de Prusse dont les privilèges ont été si longtemps intouchables. Cette seconde chambre serait comme un manifeste du fait que le pouvoir est passé du capita- lisme au socialisme. Ainsi nous voyons dans l’organisation des conseils la forme d’action des forces constructives de la révolution. Le signe de ses tendances destructrices sont les grèves gigantesques. Elles ne s’expliquent pas simplement par le fait que les ouvriers ont toujours été habitués à faire la grève dans la lutte économique et que, dans la lutte politique, la grève générale appartenait depuis longtemps aux idées des socialistes comme ultime recours décisif. Les grèves exprimeraient alors seulement le mécontentement économique et politique des ouvriers. Mais quels rameurs lâcheraient les rames au milieu des plus grandes vagues, s’ils n’avaient pas perdu leur équilibre psychique ? Aujourd’hui le peuple entier, torturé par le besoin, tend sa main suppliante vers chaque journée de travail des ouvriers ; la famine des villes proteste à grand cri contre chaque suspension du trafic. Et pourtant ils font la grève. Ce fait ne s’explique ni par un manque de conscience de l’individu ni par l’influence bolchevique. Les causes entraînant de façon viscé- rale et nécessaire, presque d’elle-même, la méthode suicidaire doivent se situer dans l’âme des masses, et les forces qui s’opposaient à ces causes ont dû se perdre. Essayons maintenant d’expliquer psychologiquement les deux phénomènes caractéristiques : l’organisation des conseils et la grève. Ce sont des phénomènes de masse qui ne peuvent s’expliquer qu’à partir des processus psychiques de l’individu si ces derniers s’additionnent dans la même direction. Tous les ouvriers doivent avoir vécu un bouleversement intérieur analogue et une réaction similaire. Il est probable qu’un soutien intérieur commun s’est perdu. Afin d’examiner cela, nous devons partir de l’état de perte de l’équilibre psychique et de l’ordre social, et nous demander grâce à quelles forces aupara- vant l’homme a pu s’intégrer dans l’ordre social normalement et calmement. Apparemment, par l’intermédiaire de l’armée et de la police, la tyrannie de l’État a forcé l’individu, souvent contre sa conviction, la plupart du temps contre son propre intérêt, à respecter l’ordre établi. Cette peur de la force a créé la menta- © Érès | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 187.106.40.183) © Érès | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 187.106.40.183) 220 lité servile qui caractérisait l’ordre maintenant déchu. Mais la brutale menace de sanction n’empêchait pas bon nombre de natures plus ou moins prédisposées au crime de briser ou contourner l’ordre, tandis que l’homme doté d’une prédispo- sition éthique normale n’en avait pas besoin pour s’intégrer socialement. Il est lié par des puissances émotionnelles plus fortes du domaine de la morale : la honte et la sauvegarde de sa réputation et de sa valeur morale, mais avant tout un respect social pour les institutions existantes. Ce sentiment donnait à tous les partis conservateurs, fidèles à l’État et uploads/Politique/ la-societe-sans-peres.pdf
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- Publié le Oct 20, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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